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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Pierre Loti - Pêcheur d'Islande - 1886 : «Pécheur d'Island» renforce cette litanie du désespoir que fut la littérature du 19ème siècle. En effet combien de vies déchirées, d'amour déçus, de catastrophes sociales furent mis en page à cette époque donnant l'impression d'une société dénouée de joie de vivre et de bonheur. Les hommes ici sont graves et réservés comme ce grand escogriffe de Yan qui ne semble communiquer qu'avec la mer dans laquelle chaque saison il lance sa ligne pour pêcher la morue. Car Yan est ce qu'on appelle un islandais, dès février il remonte avec la flotte bretonne dans les mers du nord pour arracher à son habitat naturel ce poisson qui salé garnit les gardes manger des familles désargentés. Mais ce n'est pas tout de risquer sa vie dans les flots froids et démontés de Terre-Neuve, il faut aussi pour tous ces pécheurs donner plusieurs années de leur vie au service militaire employés par la marine nationale sous les horizons lointains des pays colonisés. Sylvestre le meilleur ami de Yan, son petit frère de coeur, laisse sa vie dans des combats au Tonkin abandonnant une grand-mère ratatinée comme une pomme trop blette par le chagrin et la triste existence solitaire à venir. Et puis dans ce livre il y a Gaud (le diminutif de Marguerite), le seul rayon de soleil de l'histoire. Une beauté pleine de Vierge à l'enfant même si aucun marmot n'est encore né de son ventre. Une fille droite, instruite, qui se meurt d'amour pour la beauté sauvage de Yan, pour sa carrure, ses épaules rassurantes et pour la douceur qu'elle ressent derrière sa mâchoire volontaire. Mais lui qui semble dans sa vie n'épouser que la poupe des bateaux l'ignore, la tance de son regard sombre, la rejette même pendant des semaines et des mois par orgueil, par timidité. Et puis un jour ils finissent par s'unir et par confirmer ce grand amour qui les brule tous les deux de l'intérieur depuis si longtemps. Mais le sort est facétieux, la malédiction frappe souvent les gens heureux et quelques jours après cette union, c'est dans l'écume bouillonnante de l'eau glacée que Yan sera emporté à jamais. Pauvre Gaud que tout le monde pourra voir pendant des années attendre en haut de la falaise le retour impossible de celui qui devait l'aimer pour toujours. Les flots lui ont pris l'être aimé tout comme les rizières indochinoises ont pris Sylvestre dans la fleur de l'âge. La terre et l'eau unis comme deux éléments d'un champ de bataille qui engloutit implacablement les jeunes hommes génération après génération... magnifique
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Le tour de force de Pierre Loti est de nous offrir d'innombrables tableaux marins. C'est un livre pictural. Je n'ai pas eu l'impression de tourner des pages mais de me balader de tableaux en tableaux. Ses thèmes de prédilection : le soleil, la mer, les ciels et ses nuages, le vent…un peu à la Emile Nolde…

« Les nuages achevaient de se déplier en l'air, venant toujours de l'ouest, se superposant, empressés, rapides, obscurcissant tout. Quelques déchirures jaunes restaient seules, par lesquels le soleil envoyait d'en bas ses derniers rayons en gerbes. Et l'eau, verdâtre maintenant, était de plus en plus zébrée de baves blanches ».

Quelques paysages exotiques s'invitent dans cette exposition, voici en quelques traits brossés, l'Inde :

« A travers l'épaisseur des feuillages, il recevait l'ondée tiède, et regardait autour de lui les choses étranges. Tout était magnifiquement vert; les feuilles des arbres étaient faites comme des plumes gigantesques, et les gens qui se promenaient avaient de grands yeux veloutés qui semblaient se fermer sous le poids de leurs cils. le vent qui poussait cette pluie sentait le musc et les fleurs ».

Et des personnages pour faire une histoire, quand même, des hommes et des femmes en errance dans ce décor qui reste le personnage principal de l'oeuvre même si ceux-ci n'en sont pas moins campés superbement. Hommes et femmes de tous âges, des marins un peu sauvages, un peu rustres, mais graves, tout en retenue, entourés des grands silences de la mer ; des femmes en attente, soeurs, amantes, épouses, mères, grands-mères. Des femmes endeuillées, des femmes désespérées. Et une femme très amoureuse !

Voilà comment Pierre Loti nous immerge totalement dans cette Bretagne du 19ème siècle, une Bretagne où le goémon traine sur les sentiers répandant son odeur saline, une Bretagne d'ajoncs verts sur la lande rase, une terre ponctués de grands calvaires aux carrefours des chemins, cette Bretagne aux maisons aux toits de chaume pointus comme des huttes celtiques, cette Bretagne si dépendante de la mer, la grande nourrice et la grande dévorante, aimée et crainte. Voilà comment il nous fait côtoyer une communauté de pêcheurs de Paimpol qu'il dépeint avec humanité. Puis, dans ce décor d'un réalisme troublant, il réussit à nous toucher par une histoire d'amour certes surannée mais vibrante et tragique. Son pinceau, c'est sa plume. Quelle magnifique écriture, étonnamment picturale donc…dans ma lecture murmurée, les teintes pastel des bords de mer s'éclairaient, le ballet des nuages modifiait sous mes yeux, au fil des mots, la couleur de la mer, les corps musclés des marins sur leur réduit minuscule bravaient les tempêtes. Quand il m'arrivait de regarder les eaux de pêche, même les poissons frétillaient devant mes yeux ébahis.

« Quelquefois, avec un coup de queue brusque, toutes les morues se retournaient en même temps, montrant le brillant de leur ventre argenté; et puis le même coup de queue, le même retournement, se propageait dans le banc tout entier par ondulations lentes, comme si des milliers de lames de métal eussent jeté, entre deux eaux, chacune un petit éclair ».

Les islandais sont ces pêcheurs bretons surnommés ainsi car ils partaient sur les côtes d'Islande pendant plusieurs mois, dès février jusqu'aux étés sans nuits, pour cette fameuse pêche à la morue. Des gens de vent et de tempête. le livre débute avec une telle pêche dans les eaux islandaises, en pleine nuit, alors que le jour y est éternel mais d'une lumière pâle, « qui traine sur les choses comme des reflets de soleil mort » et ôtant aux contours de toute chose leurs nuances.
« A ce moment, l'éternel soleil, qui avait un peu trempé son bord dans les eaux, recommença à monter lentement. Et ce fut le matin... »

Nous assistons au changement de quart, Yann et Sylvestre prennent le relais d'autres marins sur le pont. Deux presque frères, deux amis. Yann est un jeune homme au coeur bon, mais dont la nature est restée un peu sauvage, au regard superbe et un peu farouche; « aux prunelles brunes légèrement fauves, courant très vite sur l'opale bleuâtre de ses yeux », comme si en lui bonheur et douleur étaient réunis en une osmose complexe. Sylvestre, jeune homme doux, aimé et attendu par sa grand-mère de 76 ans est angoissé par son départ imminent aux combats sur les lointaines terres d'Asie. Yann, lui, est attendu avec espoir et amour par Gaud, la belle Gaud. Une fille honnête, droite, instruite qui se meurt d'amour pour lui. Yann l'ignore, la rejette durement dans un premier temps. Ils finiront par se trouver et s'unir, mais il n'y aura pas de fin heureuse…

Une histoire sombre et tragique dans laquelle la vie est fragile, la Mer, mais aussi la Terre, engloutissant ces pauvres hères. Les rituels religieux, immuables, offrent un semblant d'espoir à ces fins tragiques, tel que celui du saint-sacrement, procession lente de femmes, et du prêtre venant bénir les navires en partance. Mais qu'on se s'y méprenne pas, seuls les éléments, la Nature, les paysages subsistent et sont les témoins indifférents aux drames humains.

Dans la liste des thèmes évoqués au tout début de ce billet vous remarquerez que j'ai mis le soleil avant la mer. le soleil est en effet omniprésent, presque davantage que la mer, peint sans cesse en des teintes diverses, il est même à un certain moment, alors que Yann est en Islande, Sylvestre de retour sur les mers de Chine, un point de ralliement entre ces trois terres : le même soleil, couchant et flamboyant en Asie, un peu voilé au petit matin en Islande, haut et clair à midi sur Paimpol…C'est l'élément qui relie les personnages d'une même contrée. Ce passage est d'une grande virtuosité. le couchant, sanglant, fait écho à l'agonie de Sylvestre, tandis que le soleil de l'aube, pâle, timide et caché, entre en résonance avec le désarroi et la timidité de Yann. Alors qu'il est haut et flamboyant à Paimpol, pour les vivants en attente, pour ceux qui espèrent en vaquant à leurs occupations. le même soleil sans être tout à fait le même, le même soleil, témoin de tranches de vie entre des personnes reliées mais si éloignées, le même soleil écho des sentiments vécus…

« au couchant, on eût dit l'incendie de tout un monde, avec du sang plein les nuages; par le trou de ce sabord ouvert entrait une large bande de feu rouge, qui venait finir sur le lit de Sylvestre, faire un nimbe autour de lui. ... A ce moment, ce soleil se voyait aussi, là-bas, en Bretagne, où midi allait sonner. Il était bien le même soleil, et au même instant précis de sa durée sans fin; là, pourtant, il avait une couleur très différente; se tenant plus haut dans un ciel bleuâtre; il éclairait d'une douce lumière blanche la grand'-mère Yvonne, qui travaillait à coudre, assise sur sa porte. En Islande, où c'était le matin, il paraissait aussi, à cette même minute de mort ».

Ce livre est Magnifique…


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Pêcheur d'Islande, c'est une histoire qui parle d'amour, de mer et de mort.
Quand on est breton, on sait que ces trois thèmes sont étroitement liés dans notre univers social et culturel, comme le déhanchement des vagues qui viennent frénétiquement se fracasser contre les rochers sombres et tordus. Les tourments du coeur ne ressemblent-ils pas à ces vagues qui se brisent dans leur dernier élan désespéré ?
Étrangement, « la mer », traduit en breton, offre « Ar Mor », ce qui a donné le Morbihan, petite mer, et les Côtes d'Armor, pour faire plus sexy en communication que les Côtes du Nord. Je dis étrangement, car la consonnance sonne avec celle de la mort. le meilleur exemple est peut-être à mon sens La légende de la mort d'Anatole le Braz, qui sous-tend l'idée d'une malédiction inexorable comme ici d'ailleurs .
Ici, traversé par la lumière des mots et l'épure des phrases, le roman est tout simplement magnifique.
Cette histoire d'amour nous amène à Paimpol en Bretagne au XIXème siècle dans les pas de Gaud Mével, cette jeune fille secrète et sensuelle et Yann Gaos, pêcheur fier et taiseux.
Bien sûr, lorsqu'on est breton, on pourrait déceler quelques invraisemblances qui n'altèrent pas pour autant la qualité du récit. Ainsi il est probable que, compte tenu de l'époque où se situe le récit, Yann ne parlait sans doute pas quotidiennement le français mais plutôt le breton, alors que Gaud, ayant séjourné à Paris, à l'inverse parlait sans doute bien le français et mieux que Yann. Cette différence n'apparaît pas dans le récit. J'imagine que les deux protagonistes sont bilingues, Yann devait bredouiller un français tâtonnant et j'aurais aimé voir comment ce détail se situe dans leur relation. En clair, en quelle langue ces deux êtres épris d'un même horizon, se fuyant et se courant tour à tour, se parlaient-ils ? Cet aspect des choses était-il une difficulté supplémentaire dans l'approche de leur relation ?
S'agissant de l'audace et de la sensualité du personnage de Gaud, il rompt bien sûr avec l'image traditionnelle des femmes bretonnes, image plutôt ancrée à cette époque dans une pudeur très forte du corps et du coeur. Il y a quelques jours, suite à une émission de France-Culture sur le thème de l'histoire du naturisme et du nudisme, j'ai découvert l'existence d'une affiche cocasse du début du vingtième siècle qui présente des bigoudènes outrées, s'offensant avec violence contre des baigneuses dénudées, c'est-à-dire que les tenues des belles naïades découvraient à peine leurs coudes et leurs genoux...
J'imagine que l'auteur a voulu puiser dans son fantasme personnel des matières inspirantes pour les mélanger aux personnages un peu exotiques que pourraient être les Bretons de l'époque.
La force de Pierre Loti, pour contrecarrer mon argument, est que Gaud a séjourné à Paris. Elle a un peu perdu de cette pudeur et de cette sobriété propres aux femmes bretonnes de l'époque. Ce point d'ailleurs pourrait m'être facilement discuté et en l'écrivant je m'aperçois qu'il ne tient pas forcément la route, qu'il peut être discutable. Je suis persuadé qu'il y a mille exemples prêts à être proposés pour évoquer ce contexte particulier de l'époque et ses nuances.
Si le personnage principal est bien la mer, il façonne le récit, lui donne force et sens. Dans l'affolement de ce paysage, Gaud et Yann surgissent et me prennent la main, j'ai couru les sentiers côtiers avec eux, j'ai pris la mer aussi comme on dit, avec ceux qu'on appelle les « Islandais ». Ils n'ont rien d'Islandais sauf à naviguer et pêcher dans les mers de là-bas, en revenir si possible, continuer d'aimer, retrouver des enfants qui ont grandi, découvrir les absents, ceux qui ne sont plus là... J'ai eu peur aussi au milieu de l'océan, moi je le dis, mais eux sont taiseux...
Ici dans le fracas de l'océan, j'ai aimé suivre leur périple amoureux. L'attente de Gaud m'a ému, silhouette fragile, debout entre terre et ciel.
Sur ce sentier, surgit dans le bruit de l'océan le porche de cette chapelle où figure la mémoire de ceux morts en mer.
La mer est un miroir, l'écho de deux coeurs qui battent nous reviennent dans la nasse des mots. Ici le soleil n'est jamais accablant, il sert juste à déchirer de temps en temps le ciel bas et lourd pour regarder ces deux visages qui se cherchent.
Parfois dans ce récit multiple, la mer prend le large vers des horizons exotiques, lorsqu'à cette époque les frontière de notre pays s'étendaient jusqu'en Indochine. Manche, Mer du Nord, Océan Indien, toutes les mers font autant rêver qu'elles effraient.
Est-ce la mer qui est cruelle ? Parfois l'océan devient un cimetière.
Pierre Loti est un véritable peintre des paysages et des coeurs pour les mélanger en une furieuse harmonie des sens. J'ai vu ce paysage, ces tons, ces nuances, j'ai vu ces personnages ballotés par les tourments du coeur sur ce sentier étroit des mots, à quelques encablures de la mer, de l'amour et de la mort...
J'ai aimé aussi la vieille Yvonne, qui protège ceux qu'elle aime et perd en même temps la mémoire. Elle ressemble à nos grands-mères. Ce personnage m'a totalement touché.
Et puis mes doigts se sont rouverts, peut-être à cause du froid, de l'attente, de la peur, de l'émotion, d'une crampe peut-être de les avoir serrés trop forts, les mains de deux personnages s'en sont échappées à travers les dernières pages remuées par le vent, les embruns et l'appel du large.
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Le vent, la mer, les vagues, les embruns, la brume, la tempête, les landes, le granit, et toutes les odeurs, les sons, c'est toute cette société de pêcheurs bretons, de Ploubazlanec et Paimpol (22), avec la religion, la famille, l'économie, la dureté de la vie, de la mort qui est superbement décrite dans ce roman, avec beaucoup de passions, de drames et de joies, une société fragile, avec des personnages simples et touchant, pudiques et passionnés.
L'écriture est riche, méticuleuse et lyrique dans son âpreté, comme un hommage respectueux à cet univers. Pierre Loti, en véritable marin, nous raconte avec poésie et précision mêlées, la Bretagne, les Bretons et la mer tels qu'il étaient à l'époque, les années 1880. Une histoire de fatalité.
Les “Islandais” sont en fait les bretons qui partent pour toute une saison dans les mers d'Islande pour la pêche à la morue, on parle plus souvent à l'heure actuelle des “Terre-neuvas”. Un monde que je retrouve, dont j'ai souvent entendu parler, pas si loin de ce qu'ont connu mes grands parents, les éléments naturels sont toujours là eux, ce climat humide et venteux, si rude. Ce roman c'est la Bretagne, l'Armor, pays de la mer, il m'a totalement envouté, ému, c'est un véritable joyau dans un écrin d'eau salée et de granit.
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J'ai toujours ressenti une attirance pour l'océan. Son immensité bleutée, sa beauté mystérieuse et changeante, son odeur fraîche et iodée, le bruit des vagues m'incitent à m'apaiser, lâcher-prise, rêver.

Il y a quelques temps maintenant, j'ai créé une liste de livres sur le thème de l'océan intitulée « A l'inverse des hommes, l'océan se retire pour que la mer garde ses poissons » dans laquelle j'ai ajouté de nombreuses suggestions de lecteurs. Je reviens régulièrement y piocher un livre. Après le révoltant « les mensonges du Sewol », le poétique « Ultramarins », et le troublant et funeste « Mers mortes », mon choix s'est porté vers la littérature classique et « Pêcheurs d'Islande » de Pierre Loti. J'ai lu beaucoup de grands classiques de la littérature du XIXème siècle plus jeune, mais je n'avais encore jamais rien lu de cet auteur.

*
« Pêcheurs d'Islande » a des parfums d'enfance, j'ai aimé retrouver cette Bretagne qui m'est chère et mes souvenirs des côtes bretonnes se sont mélangés aux descriptions de l'auteur, la lande, les plages balayées par le vent, les chemins rocailleux, les tempêtes terrifiantes au large, le ciel sombre et menaçant.
J'ai aimé ce texte très coloré, sensoriel qui rend l'océan si vivant, si attirant, si majestueux mais si tragique.

*
L'intrigue est belle dans sa simplicité, généreuse dans ses sentiments, poignante dans les émotions que j'ai ressenties. Elle nous parle d'amour et d'amitié, du temps qui passe et du temps qui reste, de la solitude, de l'angoisse de ne plus revoir celui qui est parti au loin, risquer sa vie. Vivre dans l'absence et l'incertitude du retour des pêcheurs devait être une terrible épreuve.

« Les nuages inférieurs étaient disposés en une bande d'ombre intense, faisant tout le tour des eaux, emplissant les lointains d'indécision et d'obscurité. Ils donnaient l'illusion d'un espace fermé, d'une limite ; ils étaient comme des rideaux tirés sur l'infini, comme des voiles tendus pour cacher de trop gigantesques mystères qui eussent troublé l'imagination des hommes. »

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L'histoire se déroule au XIXème siècle dans la région de Paimpol, en Bretagne du Nord.
Pierre Loti décrit les campagnes de pêche à la morue dans les mers hyperborées d'Islande, les conditions de travail extrêmement rudes sur les goélettes. Il n'oublie pas de décrire la vie quotidienne des femmes restées à la maison.

La vie était organisée autour du calendrier de la pêche à la morue.
De février à août, les pêcheurs bretons que l'on surnommait les Islandais, quittaient leur famille pour de grandes campagnes de pêche. Il fallait beaucoup de courage et de robustesse à ces hommes pour partir, affronter la mer mauvaise et les eaux glaciales. le travail y était épuisant, la pêche dangereuse, mais la paye était bonne.
Pendant ces longs mois d'absence, leurs familles attendaient, contemplaient la mer, espérant et priant pour leur retour. Il arrivait souvent que l'océan, capricieux, se fasse rétribuer pour ses largesses en emportant chaque année dans ses abysses, quelques bateaux et leurs marins.

*
Les personnages principaux de cette histoire sont plutôt bien développés pour un petit roman. On s'attache très vite à eux et c'est avec regret que j'ai refermé le livre.

Pierre Loti donne vie à de beaux personnages masculins.
La majeure partie de l'histoire est centrée sur le jeune Sylvestre parti faire son service militaire en Indochine et surtout, son cousin, Yann Gaos, un marin honnête et fier, un colosse au coeur tendre, qui, à l'approche de la vingtaine, est poussé au mariage. Cependant, Yann maintient que la seule femme de sa vie sera la mer, à jamais.

Mais, même si c'est un magnifique roman de marins, de très beaux rôles ont été attribués aux femmes d'Islandais. Leur vie, souvent marquée par le dénuement le plus complet et l'isolement, n'est pas facile non plus à cette époque.

« … la chaumière lui sembla plus désolée, la misère plus dure, le monde plus vide, — et elle baissa la tête avec une envie de mourir. »

Gaud Mével et la vieille Yvonne m'ont forcément touchée.
Malmenées par la vie, leur quotidien a un profond goût d'amertume, d'espoir, d'attente, d'abandon, de souffrance et de silence.

« le temps était resté beau sur ce jour des séparations ; au large seulement une grosse houle lourde arrivait de l'ouest, annonçant du vent, et de loin on voyait la mer, qui attendait tout ce monde, briser dehors. »

Leurs printemps ne sont que peine, anticipant le départ des hommes. La douceur des mois d'été ne peut cacher la solitude, l'inquiétude et la peur chevillée au corps. Et lorsque les premiers bateaux reviennent au port au tout début de l'automne, l'attente devient insupportable. Et le dernier bateau arrivé, il ne reste plus que le vide de ceux qui sont restés dans les entrailles de l'océan.

« Et comme elle se sentait loin de chez elle !... Mon Dieu, tout ce trajet qu'il faudrait faire, et faire décemment, avant d'atteindre le gîte de chaume où elle avait hâte de s'enfermer — comme les bêtes blessées qui se cachent au terrier pour mourir. C'est pour cela aussi qu'elle s'efforçait de ne pas trop penser, de ne pas encore bien comprendre, épouvantée surtout d'une route si longue. »

*
Très visuelles, les descriptions de la côte bretonne, de l'océan sont de toute beauté. On ressent l'air du large, la lumière qui s'étire à l'infini, les mouvements de la houle. L'écriture est douce, envoûtante.
L'émotion vous saisit, grisé par la beauté du texte, la justesse des mots, la magie de cette peinture qui prend vie devant vous.

« le soleil, déjà très bas, s'abaissait encore ; donc c'était le soir décidément. A mesure qu'il descendait dans les zones couleur de plomb qui avoisinaient la mer, il devenait jaune, et son cercle se dessinait plus net, plus réel. On pouvait le fixer avec les yeux, comme on fait pour la lune.
Il éclairait pourtant ; mais on eût dit qu'il n'était pas du tout loin dans l'espace ; il semblait qu'en allant, avec un navire, seulement jusqu'au bout de l'horizon, on eût rencontré là ce gros ballon triste, flottant dans l'air à quelques mètres au-dessus des eaux. »

La prose de l'auteur est sobre et cette image d'une vie simple, laborieuse et honnête est d'autant plus bouleversante.

*
Pour conclure, j'ai aimé cette histoire tragique entre terre et mer, les belles descriptions de l'océan. L'intrigue, rythmée entre les départs et les retours des pêcheurs, laisse la place à de beaux portraits. Les personnages m'ont plu pour leur générosité, leur force, leur sensibilité et leur réserve naturelle.
J'aurais peut-être aimé davantage éprouver la rudesse de la vie des pêcheurs bretons, mais ce n'est qu'un minuscule détail.
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Énorme coup de coeur pour ce roman classique !

Je ne connaissais "Pêcheur d'Islande" que de notoriété. de Pierre Loti, je n'avais lu que "aziyadé", son premier roman, que j'avais également beaucoup apprécié pour le voyage et le dépaysement qu'il propose.

"Pêcheur d'Islande" est un roman qui mêle la rudesse de la mer à la douceur d'une romance poignante et exempte de mièvrerie. le combat inégal de Gaud, l'amoureuse, et de la Mer, redoutable dans ses emportements, pour conquérir le coeur de Yann, le beau pêcheur d'Islande - cf. les terre-neuvas - est un spectacle réjouissant pour le lecteur qui en apprécie tout le sel grâce à la prose magnifique de Pierre Loti. Avec des mots simples et justes, il communique une émotion d'une rare pureté. A travers des chapitres tantôt courts et tantôt longs, il donne un rythme incroyable à la narration et fait vivre la Bretagne paimpolaise dans ses traditions et ses métiers. de l'océan Atlantique à Singapour en passant par Port-Saïd, le dépaysement est total, l'immersion complète.

Rude est la mer, rude est la pêche, rudes sont les hommes mais doux sont les liens qui attachent ces rudes hommes à leurs familles, à leur terre natale et à leurs aimées. "Pêcheur d'Islande" est un roman flamboyant qui me marquera durablement.


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A Paimpol au XIXème siècle la pêche dans les mers Islandaises est une institution. On appelle ces marins "les Islandais". Embarquant au début du printemps, ils ne sont de retour qu'à la fin de l'été. le pays vit donc au rythme des allées et venues des navires. Laissant leurs familles à terre dans l'interminable et angoissante attente du retour, les marins vivent les plus grands dangers dans les eaux tourmentées du Nord, là où le soleil ne se couche jamais.
Yann est de ceux-ci, Force de la nature, honnête gaillard peu loquace il a voué sa vie à la mer lui ayant promis son coeur excluant toute autre prétendante. C'était sans compter sur sa rencontre avec Gaud, fière et élégante jeune femme.
Passant au delà des conventions, la passion qui l'anime l'amène à forcer des rencontres avec Yann pour lui dire son amour. Mais malgré ses efforts, soit elles ne se produiront jamais soit elles le laisseront en apparence indifférent. Il faudra plusieurs saisons de pêche avant qu'un évènement les rapproche...

C'est un peu une oeuvre picturale, chatoyante et ondoyante que nous livre Pierre Loti. La mer dans tous ses états y est somptueusement décrite et souvent semble nous submerger. Son style parfois désuet est pourtant entrainant et suscite l'émotion ainsi qu'une tension permanente. Une belle fresque sur la vie des marins Bretons, de la société de cette époque et une touchante histoire passionnelle.
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Que nenni ! de désuétude quand l'écriture est un don. D'autres vous impatientent, vous torturent, vous accablent et icelui qui vous entraîne par les flots ; ce Loti « Pêcheur d'Islande ». C'est du bel ouvrage vous dis-je. Voilà des gens qui vivent leur vie et aucune autre, soit-elle dure et affligeante et l'amour si peu donné aussitôt repris. La peur quelque peu allégée par la croyance, la coutume et les us, mais tout de même la vraie vie. Ses lenteurs, ses emballements, ses aléas. Un livre goûteux, des mots avalés, ça glisse et vous entraîne. C'est beau !
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Magnifique roman de Pierre Loti lu au lycée et relu dernièrement.
L'histoire des pêcheurs de la morue en Islande et des femmes qui attendent leur retour est très attachante.
Il faut prendre le rythme de lecture de cette époque pour accrocher au livre.
Pas question de lire trop vite, on se gâche le plaisir des mots, des ambiances.
De passage à Paimpol, je n'ai pas pu m'empêcher d'aller sur cimetière et me recueillir le long du mur des disparus.
Un très grand roman.
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Voici un livre dont le titre m'était si familier que j'avais l'illusion de connaître son contenu, son style.
Et bien je dois admettre que je me suis trompée sur toute la ligne.
D'abord les Islandais dont il est question dans le titre sont ces Bretons qui partent en mer d'Islande pour de longs mois de pêche, qui affrontent les dangers de la mer, la dureté du travail, le froid et le long jour sans fin de ces confins boréaux.
Ensuite, c'est l'histoire certes de ces Bretons mais aussi de leurs proches et surtout des femmes : épouses, mères, grands-mères, soeurs, filles qui attendent avec un patience infinie et une angoisse constante leur retour. Car oui, les retours ne sont pas certains. Ils sont nombreux à disparaitre dans les eaux glacées lors d'une campagne de pêche.
Et puis c'est aussi une histoire d'amour, l'amour fou du sauvage Yann et de la belle Gaud.
J'ai adoré la délicatesse avec laquelle Pierre Loti raconte leur amour naissant, l'évocation toute en pudeur de la souffrance de Gaud qui ne comprend pas le rejet de Yann, la fraicheur de cet amour enfin déclaré.
Ce roman m'a enchantée.
La séduction qu'il exerce s'explique aussi par le style de l'auteur qui décrit avec une grande virtuosité et aussi une magnifique simplicité les paysages maritimes, la Bretagne, les éléments déchainés ou apaisés, le temps qui passe et les sentiments de ces personnages si attachants que sont Yann et Gaud bien sûr mais j'ai aimé également le jeune Sylvestre, le presque frère de Yann et sa grand-mère, la vieille Yvonne qui en a tant perdu de ces hommes partis au loin ….
Je remercie le challenge solidaire d'avoir suggéré cet auteur cette année. Sans quoi je serais probablement passée à côté d'un véritable coup de coeur !

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