Voilà un premier roman troublant tant sa composante autobiographique est évidente et tant il touche le lecteur par son authenticité et son réalisme. Un très beau roman qui nous parle de l'intérieur, d'un sujet encore trop souvent tabou : l'homosexualité.
Dans un style simple, sans fioriture et qui sonne toujours juste l'auteur y relate son enfance d'enfant "différent" et les rouages de la mise en place de l'homophobie parmi les gens simples, les "pauvres", ouvriers de son village, trop souvent enfermés dans leurs a-priori, leur vie sans avenir où chômage et alcoolisme guettent presque toujours au coin de la rue, comme ce sera le cas pour son père.
Rien n'est épargné au lecteur, ni les crachats, ni les insultes, ni les débordements familiaux, ni les scènes d'abus sexuels perpétrés par les plus grands et dont on l'accusera à tort d'être l'instigateur...
Eddy est différent parce qu'il n'aime pas le foot, pleure sans cesse, fait des manières, a peur du noir, joue à des jeux de filles et se met à aimer le théâtre...
Il voit bien que ce qu'il aime n'est pas la norme chez ses camarades.
Mais alors qu'il est petit, il s'interroge déjà sur cette homosexualité dont on l'affuble avant même de ressentir ses premiers émois amoureux pour les garçons.
Harcelé à l'école par les plus grands et obligé de s'en cacher pour ne pas répondre aux questions gênantes dont les adultes sont friands, il devient peu à peu le bouc émissaire de tout le village picard où il vit...
Cependant en famille comme au milieu de ses camarades, il faut montrer sa virilité avant tout et "être un dur"...
Eddy s'y emploiera mais n'y arrivera pas. Il subit alors la violence de son grand frère, alcoolique, et celle, parfois verbale de son père.
Et si au début alors qu'il est petit sa mère le défend toujours, plus tard elle ne saura plus comment aborder le sujet avec lui...ce qui se comprend.
Ce qu'il représente n'entre pas dans la culture familiale ni dans les normes dictées par son entourage mais cependant les siens sont fiers de sa réussite scolaire.
Son père tient des propos homophobes mais a défendu dans le passé, en douce, un homo sur le point de se faire casser la figure, un père qui "gueule" devant et qui, par derrière, est fier que son fiston réussisse si bien à l'école et fasse bien ses devoirs...un père sévère par devant mais qui raconte à tout le monde sa fierté d'avoir un fils comme lui.
Sa famille apparaît comme une famille pauvre mais digne qui sait lutter contre la sauvagerie extérieure et qui sait préserver l'intégrité familiale (et sans doute se préserver aussi du "qu'en-dira-t-on").
Mais le seul salut pour Eddy sera la fuite...
L'auteur
Edouard Louis est un jeune sociologue. Il est spécialiste de Bourdieu. Il n'a donc eu aucun mal à mettre dans son roman de nombreux clichés concernant les classes sociales donc sans aucun doute à aggraver la situation dans certains cas ou à ne pas dire toute la vérité dans d'autres. Il ne raconte pas les faits de façon linéaire mais débute par les actes de violence qu'il a subi au collège, puis revient vers ses années d'enfance, pour finir lorsqu'il rentre au lycée à Amiens comme interne.
Certaines descriptions de son milieu social m'ont gêné. C'est un milieu où tout le monde travaille durement : les pères passent leur temps à l'usine et y laissent leur santé. Les mères arrêtent l'école très jeunes pour s'occuper de leurs nombreux enfants, qu'elles ont plus tôt que prévu, ce qui coupe court à la moindre ambition de leur part : impossible de changer de vie...
Quoi qu'il en soit, je sens derrière ce roman-témoignage, à quel point l'auteur aime ses parents et à quel point sa famille a compté pour lui.
Il a voulu accentuer le rôle du déterminisme social et cela a créé une polémique alors que pour moi c'est évident que ce qu'il a fui avant tout, c'est son milieu social, et le rejet dont il faisait l'objet dans la micro société formée par le village, mais pas ses parents.
L'auteur a le courage de témoigner de cette différence qui est encore aujourd'hui mal acceptée dans notre société quel que soit d'ailleurs le milieu social, et qui attise la violence.
Finalement c'est l'école qui le sauvera !
Mais aussi d'avoir pu dire et libérer des paroles qui ne sont jamais dites...
Une chronique plus complète sur le blog...
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