En finir avec ce livre… En finir alors que je n'en suis qu'à la moitié. Mais je vais aller jusqu'au bout parce que je veux savoir s'il y a une fin.
Il n'y a pas d'antonyme au mot bienvenue. Alors je l'invente : malvenue. Malvenue au pays où les hommes sont divisés en deux, les durs qui picolent et se fendent la gueule en traitant les autres de pédés, de tarlouzes et autres amabilités. Malvenue au pays des gonzesses, celles qui font des mômes sans savoir faire autre chose, en sortant de l'usine ou du supermarché quand on n'a pas d'autre choix, ayant quitté le lycée ou le collège à seize ans, de toutes façons ça sert à quoi d'envisager des études quand il n'y a pas d'autre boulot derrière, et en plus ça coûte cher.
Vous connaissez les “Groseille”, cette famille du film d'Étienne Chatilliez, « La vie est un long fleuve tranquille », alors imaginez un village dont la population n'est constituée que de Groseille. Et quand on s'appelle Eddy Bellegueule, qu'on n'est pas un dur, qu'on se sent étranger dans son corps de garçon, avec des parents qui vous traitent de débile parce que vous parlez plus haut que les autres en faisant de grands gestes, vous êtes forcément le pédé de la famille.
Alors Eddy il souffre, et un jour qu'il est parti, il s'appelle Edouard et devenu adulte, il écrit son histoire au pays des Groseille.
Ce livre, un roman, aurait dû porter la mention chronique, histoire vécue ou autre chose. Mais roman, ça doit porter une part d'intrigue qu'elle soit policière, fictionnelle, romantique ou historique. Cette histoire c'est presque une biographie - seulement sur les années d'enfance. «
Chroniques de la haine ordinaire », ce titre déjà utilisé par
Pierre Desproges dans un registre plus humoristique, humour noir j'entends, aurait pu convenir à ce récit.
La haine, à l'égard des autres : ceux qui picolent, ceux qui ne picolent pas, ceux qui font des études, ceux qui ne branlent rien, les femmes, presque toutes des salopes, les bourges, les arabes, les noirs, les étrangers en général, l'épicier qui ne veut plus faire crédit, les patrons, et donc aussi les pédés et les gouinasses, le voisin avec qui on prend l'apéro jusqu'à plus soif et qu'on déteste parce qu'il reluque ta gonzesse ou ta fille.
Alors pourquoi il a écrit ce livre Edouard, sur Eddy, le pédé. Pour exorciser son calvaire, pour s'affranchir de sa propre histoire, pour dédiaboliser son corps ennemi, pour témoigner de cette violence quotidienne qui fait le lot d'une partie de la population, à l'école, à l'usine, dans la rue, chez soi… Quelles raisons à cette violence ? La misère à priori. La misère pécuniaire, la misère culturelle, intellectuelle, sexuelle, la misère des sentiments que l'on tait de peur de passer pour un faible.
Je ne suis pas sûr qu'au bout du compte Édouard se soit débarrassé d'Eddy, l'ait rangé au rayon pertes et profits, plus pertes que profits d'ailleurs. Il l'a enterré, avec son alcoolique de père, son “handicapée des sentiments” de mère, son connard de frère, et tous les durs du village. L'écriture, sans fioritures forcément, ressemble à tous les gens du village, dure, grossière, brute, ponctuée sans arrêt d'insultes, de jurons, de coups, de propos sexuels, viols, sodomie, humiliations, jusqu'à l'écoeurement. On me dira que justement, c'était cela qu'il fallait écrire, avec ces mots-là, ceux de tous les jours, ceux de la vérité. Peut-être, mais moi j'attendais plus au terme du livre. Une sorte d'apaisement, de prise de distance, d'élévation qui aurait pu calmer la colère qui sourd derrière chaque page. Et c'est pour cela que je ne pense pas qu'il ait réussi totalement. Il fait “comme si”. Comme s'il avait tendu non pas un voile pudique sur cette enfance volée, mais une barricade faite de tôles ondulées et de vieilles planches dont il faisait des cabanes avec ses “copains” pour se cacher et faire des “trucs” derrière.
Je n'ai pas adhéré, j'ai souffert, j'ai lutté, je ne regrette pas de l'avoir lu, mais je ne le recommanderai pas à quelqu'un d'autre.
Dommage.