Cette tendance de tous les objets à se projeter hors de leurs limites physiques produisait des sensations aussi précises que celles de la vue ou de l'ouïe. Il me fallut simplement plusieurs années pour m'habituer à elles, pour les domestiquer un peu. Aujourd'hui encore - et comme tous les aveugles qu'ils le sachent ou non -, c'est de ces sensations que je me sers quand je marche seul dehors ou à travers une maison.
J'ai lu plus tard qu'on appelait ce sens "le sens de l'obstacle", et que certaines espèces animales, les chauves-souris par exemple, en étaient pourvues, semble-t-il à un très haut degré.
Autant dire que je n'avais pas d'histoire, sinon la plus importante de toutes: celle de la vie.
Au bout d'un an à Buchenwald, j'étais persuadé que la vie ne ressemblait pas du tout à ce qu'on m'avait appris d'elle. Ni la vie, ni la société.
Mes parents étaient la protection, la souffrance, la chaleur. Je l'éprouve encore aujourd'hui, quand je songe à mon enfance, cette sensation de chaleur au-dessus de moi, derrière moi, autour de moi. Cette impression merveilleuse de ne pas vivre encore à son compte, mais de s'appuyer tout entier, du corps et de l'âme, sur d'autres vies qui acceptent.
C’était un préjugé - d’ailleurs commun à presque tous les hommes - : celui qu’il existe deux mondes, l’extérieur et l’intérieur. [...] Il y a un seul monde. Les choses extérieures n’existent que si tu jettes vers elles tout ce que tu portes en toi. Quant aux choses intérieures, tu ne les verras jamais bien, à moins que tu ne laisses entrer toutes celles du dehors.
Je comprenais que notre liberté n’est pas dans le refus de ce qui nous frappe. Être libre, je le voyais, c’était, acceptant les faits, de renverser l’ordre de leurs conséquences.
Cessant de mendier aux passants le soleil, je me retournai d'un coup et je le vis de nouveau: il éclatait là dans ma tête, dans ma poitrine, paisible, fidèle.
"Quand je serai parti, me dit-il, il ne faudra plus que tu penses à moi: cela te ferait du mal. D'ailleurs, je serai avec toi beaucoup plus qu'avant. En toi. Je ne peux pas dire cette chose. Non, je ne te dis pas de ne plus penser à moi... mais il faudrait que tu penses à moi autrement. Je suis ce que je suis, mais une fois parti, je serai autre chose."
La joie ne vient pas du dehors. Elle est en nous quoi qu'il nous arrive. La lumière ne vient pas du dehors. Elle est en nous, même sans les yeux.
Paris occupé avait l’air de prier sans interruption. Paris avait l’air d’appeler quelqu’un. C’était un grand cri muet.