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Citations sur Pour saluer Giono (17)

Mais, en revanche, le seul mot de « source » me ferait faire cent kilomètres à pied. Il éclate, et notamment ici, en feu d’artifice dans mon imagination : grotte à capillaires, menthes frémissantes cachant l’eau secrète, ruissellement sonore sur le plan miroir d’un bassin. Je m’engage, presque la tête la première, sur ce sentier prometteur. En quelques lacets où il n’y a pas une herbe ni une fleur et qui ont été tracés sous les ordres d’un ingénieur stratège, ce sentier descend vers un enfer de pierre. Il doit y avoir dix mètres de caillasse en profondeur sous mes pieds et le vallon majestueux déroule ses méandres au long des strates calcaires offrant partout la même cristallisation stérile, comme si un soc gigantesque avait récemment éventré ce gigantesque clapier. Comment peut-il y avoir de l’eau en bas dedans ?
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Nous sommes déjà debout, déjà prêts à nous enfuir, nous attendant au refus.
– Alors, vous allez faire un journal ? C’est très épatant ça ! dit Giono. Un journal de jeunes à Manosque ! Ça m’intéresse prodigieusement !
Je ne mens pas. Pourquoi mentirais-je à mon âge ? J’enregistre, à cette époque, comme je fais toujours. Ces deux termes, très épatant et prodigieux, seront les deux adjectifs préférés de Giono durant tout le temps qu’il aura la passion de sauver et que sa joie demeurera.
– Oui, dit Jef, et ce sera un journal pacifiste. C’est pour ça que nous avons pensé que si vous vouliez bien nous donner un article…
– Mais, naturellement, tout ce que vous voudrez !
Il était en train de bourrer sa pipe. Je sens encore, à cinquante-trois ans de distance, le parfum de ce mélange qu’il tirait d’un pot de faïence de Marnas, brun, constellé de grosses lunes jaunes. Je vois encore le geste de sybarite de son index effilé pour tasser minutieusement le tabac. Il l’alluma, éteignit l’allumette dans l’air en un mouvement que je ne vis jamais faire qu’à lui et soudain, comme frappé d’une inspiration subite, il nous dit :
– Mais au fait ! Pourquoi ne viendriez-vous pas au Contadour avec moi ? Tiens, c’est une idée ça ! Vous venez avec moi et là-haut je vous fais votre article.
Il voit sur nos visages, et surtout sur le mien sans doute, qu’il y a un obstacle majeur. Il doit y avoir de la dépense au Contadour et je n’ai que vingt francs par semaine.
– Allez ! dit-il. Je vous invite au Contadour. Vous resterez tout le temps que vous voudrez.
Il nous donne des détails pratiques :
– Habillez-vous chaudement et soyez à la Saunerie samedi vers onze heures, nous partons par la patache de Banon !
Quand nous sortons de là, Jef et moi, nous sommes l’un contre l’autre jetés par l’émotion et saouls comme des grives. Le plaisir, l’étonnement, l’enthousiasme, se partagent nos cœurs. Nous venons d’être percutés pour la première fois de notre vie par une émotion inconnue. Et Jef pour extérioriser sa joie se tourne vers moi et me morigène pour lui avoir laissé faire tout le travail. – Tu aurais pu au moins me soutenir ! À quoi ça sert que je t’aie traîné jusqu’ici ? Tu avais plutôt l’air d’un con que d’un moulin à vent !
C’était vrai. Mais il pouvait toujours parler. J’avais encore dans le nez le parfum de la maison Giono. C’était cette odeur particulière que je n’ai sentie qu’une dizaine de fois dans ma vie : mélange de cuisine de grand-mère, de vieux livres, de linge repassé dans les armoires, de fontaine de jardin à petit bruit qui entraîne par la porte ouverte un courant d’air odorant d’herbes mouillées. Il pouvait toujours parler mon ami Jef. J’étais au comble du bonheur.
Moi dont la machine à me souvenir est si exacte d’ordinaire, ici je ne me souviens plus de la couleur, de la texture qu’annonçait le couchant ce soir-là. Giono m’avait effacé le ciel.
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Non, Giono n'était pas mon copain et, au surplus, ce n'était pas Giono en tant qu'homme que j'aimais, c'était le fluide de la langue française qui l'avait choisi pour exprimer tant de choses nouvelles avec la plus grande limpidité. C'était les voix des lacs et des montagnes et le souffle des vents et le juste mouvement de la vie irrésistible des personnages dressés devant le destin, puis abattus, puis ressuscités, tordus, généreux ou retors (je préférais les retors), c'étaient les dévastatrices stridences des trompettes de la mort qui retentissaient en lui, en un mot ce que j'aimais en Giono, c'était ce tabernacle qui contenait la création.
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Mon travail bien sûr ne sera lu que par peu de gens, mais là n'est pas la question. Il existe le dépôt légal, c'est-à-dire trois volumes déposés à la Bibliothèque nationale de tous les ouvrages qui paraissent. (Je me demande bien où, à la fin, ils peuvent les fourrer !) S'il y a des biographes de Giono scrupuleux au XXIe siècle, ils ratisseront tous les fonds d'ordinateurs et ils trouveront cet ouvrage.
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- Tu le connais Giono ?
- Non.
C'est faux. Giono nous le voyons tous les jours déambuler par Manosque, allant à la poste ou s'installer au café-glacier sur la terrasse pour contempler d'un oeil inexpressif l'immensité de ce qu'il fomente. L'oeil bleu de Giono, principale caractéristique de son visage, est comme celui des menons cornus des grands troupeaux. Nous le savons déjà très bien pour l'avoir si souvent contemplé à la dérobée : vide, vacant, anodin, ne voyant volontairement personne mais voyant tout. Toute sa vie, Giono promènera par Manosque ce regard objectif mais qui trie ce qu'il veut du spectacle du monde. p. 13
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Comme si un oiseau venait de se poser sur le rebord de la fenêtre et qu'il importât de ne pas l'effaroucher . Alors , sans que sa main gauche qui avait imposé silence s'abaissât , il tirait de sa main droite le fameux carnet à spirale qui traînait toujours ouvert sur sa table , il l'attirait à lui comme un naufragé s'agrippe à une bouée et, le silence obtenu , il écrivait une ligne , deux lignes , cinq lignes ,jamais plus ,qu'il entourait d'un trait léger.
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Voilà, c’est la deuxième fois de ma vie que je quitte la maison. La première c’était pour Digne et l’examen des Bourses, en petit d’ouvrier costumé en bourgeois et pour une nuit seulement.
Aujourd’hui, c’est pour huit jours au moins. J’ai vingt-cinq francs en poche. J’embarque avec douze ou quinze compagnons - certains gardent leur quant-à-soi n’étant pas contadouriens -, dans la patache de Banon conduite par le célèbre Bienvenue qui la promènera, elle ou celles qui lui succéderont, pendant quarante ans sur ces routes du rêve. Pendant ce temps, celui de la patache de Moutiers s’appelait Bienaimé. Les Basses-Alpes seules sont capables de tresser ensemble de tels noms pour en fleurir les routes.
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Dans cinquante ans d'ici, quand nous seront rentrés dans la nuit des temps, on lira Proust pour retrouver le sommet de l'art de vivre et on lira Giono dans les écoles pour apprendre aux enfants ce que c'était qu'un arbre, ou un torrent, ou un glacier.
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Il est toujours un peu étonnant pour une âme naïve, de constater que la terre ne se modèle jamais sur le malheur des hommes, qu’elle continue à rire à soleil éclatant ou à dormir paisiblement sous les étoiles tandis qu’ils agonisent.
Sur tout ce pays que je parcours, l’immense effervescence qui bouleverse les nations est invisible, impalpable, parfaitement ignorée de tout et même de tous, si l’on considère que dans les champs les paysans ramassent les courges et que les distilleries de lavande fument leur parfum nostalgique. Qui dirait que, dans trois jours, presque toutes les femmes de ce pays seront seules dans leur lit et pour certaines d’entre elles définitivement ?
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La Provence, amère, sombre et sonore citerne, sillonnée de remords et de regrets que portent ses gens muets sur leurs visages, toute grondante de refoulements et de renoncements, sournoise de bénévolence et de malévolence, délicieusement hypocrite et menteuse avec un art consommé, comment Giono aurait-il pu se divertir sans elle, lui à qui étaient nécessaires de si grandioses divertissements ?
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