Un livre jauni dans les rayonnages, le flanc indique
Jean MAITRON et le nom de « Ravachol » ressort à côté du reste du titre « et les anarchistes ». Titre curieux au demeurant car, l'ouvrage, s'il parle d'anarchistes, se concentre en réalité sur une infime minorité d'entre-eux ; et non des plus fréquentables. Il n'en a pas fallu plus pour ma curiosité toutefois.
Ainsi le livre d'environ 200 pages retrace par extraits de lettres, de rapports de police, de compte-rendus de justice et d'autres sources encore, la vie et les combats de Ravachol,
Emile HENRY ou encore des membres de « la bande à Bonnot ». Si le nom de ces personnes n'évoque plus grand-chose plus d'un siècle après leurs méfaits, les stigmates hérités de cette période par l'Anarchisme en général sont encore bien présents et servent toujours d'épouvantail contre ce courant de pensée pourtant des plus féconds lorsqu'il s'agit d'interroger la légitimité de l'ordre – ou plutôt du désordre – social.
Non, les protagonistes de l'ouvrage de Maitron ne sont pas ce qu'on peut appeler des enfants de coeur ; et on ne parle pas ici de l'anticléricalisme commun à la majorité des anarchistes de toutes sensibilités.
Non, encore, ledit ouvrage ne cherche pas à défendre l'indéfendable, ni ne fait l'apologie de quelque stratégie ayant pu être employée par la frange à la fois la plus désespérée et la plus violente des révolutionnaires se revendiquant de l'Anarchisme.
Toutefois, sans cautionner, sans excuser, sans même juger, Maitron contextualise historiquement et laisse les protagonistes de l'époque s'exprimer avec toute leur franchise et leur rage contre la société de leur époque.
Les extraits sont saisissants. Ravachol racontant sa vie de misère, exposant en détail ses exactions, les assumant d'autant plus fermement qu'il décrit l'injustice qui a conditionné son existence depuis son plus jeune âge.
Emile HENRY ensuite, gamin bien instruit mais désillusionné par le choc d'une réalité inique, qui refusera par la suite toute soumission, n'hésitant pas entre le vol de subsistance et l'exploitation du salariat. Inégalement développée, enfin, la vision des « bandits tragiques » de la bande à Bonnot, tristement célèbre pour son recours à la poudre ; avant un dernier plaidoyer de Garnier au titre on ne peut plus plombant : « Pourquoi j'ai tué ».
La diversité des sources et des personnalités abordées rend difficile un exercice de synthèse qui nuirait obligatoirement à la complexité de l'Histoire telle qu'elle s'est déroulée.
Ce que l'on retient principalement, pour peu qu'on ait un minimum d'empathie, est l'immense misère dans laquelle ont vécu Ravachol et tant d'autres, et l'indignation que cela suscite à la lecture ; indignation édulcorée toutefois, car en rien en comparable à la réalité crue vécue de plein fouet par les protagonistes qui en seront profondément marqués. L'âpreté de leur vie, de la condition ouvrière en général, est objectivement destructrice et révoltante. Et révoltés, les personnes dont il est question le sont devenus par la force des choses. Personne ne naît ainsi. Assassin et terroriste ne sont aucunement des qualificatifs innés.
Le panorama fourni par Maitron est riche. Il fait la part-belle aux coupables assumés, certes, mais la sélection et l'agencement des textes ne font pas l'effet d'un déséquilibre. Au contraire, en leur laissant la parole, il rétablit, par petite touche, ça-et-là, la balance face à une condamnation populaire bien trop simpliste et unanime pour être tout à fait juste.
En parallèle, le livre, qui est structuré autour de trois époques (propagande par le fait, syndicalisme-révolutionnaire et illégalisme), apporte des éclairages pertinents et n'oublie pas de mentionner les prises de positions de certains anarchistes notables (
Victor Serge, Malatesta…) sur ces différentes stratégies ou envers les actes des protagonistes qui passeront tous ou presque par la guillotine.
Avec ce livre, comme avec les autres ouvrages de Jean MATRON, on n'est pas dans la catégorie de l'Anarchisme « grand public » (si cela existe...). Cet ouvrage convient avant tout aux personnes désireuses de creuser l'Histoire du mouvement sous ses innombrables facettes.
Toutefois, je lui trouve quand même un intérêt qui me semble important pour le plus grand nombre : il met assez bien en exergue le fait que la violence - loin d'être endémique au mouvement - n'est qu'un épiphénomène de l'Anarchisme, à la fois par le nombre restreint des personnes qui en usèrent et par l'époque tout aussi restreinte durant laquelle de telles « méthodes » furent revendiquées.
Il serait bien dommage de ne résumer « les Anarchistes » qu'à des poseurs de bombes, comme il est malheureusement encore coutume aujourd'hui de le faire.
A sa façon,
Jean MAITRON parvient à briser les préjugés sans compromis pour
L Histoire, en offrant un éclairage plus que bienvenu sur ces sombres moments ayant contaminé l'imaginaire collectif au sujet de l'Anarchisme.