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Cela fait longtemps qu'un livre ne m'avait pas questionnée à ce point sur sa proposition romanesque. Durant toute ma lecture, j'ai oscillé entre enthousiasme et ennui poli. Un mois que je cogite à ma chronique pour essayer de poser des mots justes sur mon ressenti.

Ce qui est sûr, c'est que ce roman est surprenant, ne serait-ce par sa construction qui remonte le temps en faisant se succéder quatre récits racontées à l'envers : 1999, 1955, 1929 et 1900 qui est un formidable prologue, placée donc à la toute fin … sans qu'il ressemble à un épilogue. de quoi titiller le lecteur et augmenter la tension de mystère tout en tissant ensemble tous les éléments. Un tour de force de la part de Rebecca Makkai qui est parvenue à tisser un récit sophistiqué, tortueux et cohérent, remplit de surprises et de rebondissements. le moindre détail est signifiant ( la statue de jade, la photo mystérieuse, le choix du prénom de Zee ). Leur compréhension nous échappe de prime abord avant de se révéler à l'instant choisi par l'auteur … ou pas ! Il faut accepter de ne pas tout comprendre et se montrer vigilant à la recherche d'indices qui pourraient offrir des éclairages.

Chacune des quatre sections est très différente des autres. C'est sans doute la première ( celle de 1999 ) qui m'a le plus accrochée avec son humour très ironique pour décrire les destins croisés de deux couples contraints de vivre ensemble dans la fameuse maison de Laurelfield. Aucun n'est sympathique ni attachant, mais les voir se débattre dans un chaos de tensions ( conjugales, professionnelles, sexuelles, familiales ) et de secrets fonctionne vraiment très bien, d'autant plus que le regard qu'on porte sur eux varient au fil des révélations. On n'est pas très loin de la comédie de moeurs satirique à tendance vaudevillesque avec ses nombreux malentendus interdépendants. La plume précise et virevoltante de l'auteure apporte beaucoup vitalité.

Et puis, il y a des moments où mon attention s'est considérablement émoussée, notamment dans la troisième section, consacrée à l'époque où Laurelfield était une colonie d'artistes et écrivains, thématique qui m'intéresse pourtant beaucoup. Je me suis un peu lassée de chercher la poussière derrière le moindre meuble de la baraque. En fait, cette lecture est très exigeante et je pense que pour embrasser correctement le maximalisme de son intrigue, une deuxième lecture s'impose, ce que je n'ai pas fait. Mea maxima culpa.

Avec le recul, j'attendais plus de l'atmosphère de mystère qui plane durant tout le roman. La demeure de Laurelfield est présentée comme un personnage à part entière, un lieu où les gens qui y séjournent ont tendance à le hanter, à être hanté par lui, ou les deux. le fantôme de l'arrière grand-mère suicidée est même présent sous la forme d'un portrait. Mais, cet aspect m'a semblé sous-utilisé alors qu'il offrait de prodigieux possibles.

Reste un roman ambitieux au romanesque souvent brillant qui avance avec subtilité et intelligence.
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"Pour une histoire de fantômes, la légende de Violet Saville Devohr était vague et pour le moins décevante."
(incipit)

Hmm... au début je me disais exactement la même chose.
La quatrième de couverture promet un "roman gothique", une saga familiale sur un siècle "qui entremêle art et amour", mais je dois avouer qu'à la fin de la première partie, je peinais encore pour trouver quoi que ce soit de positif. L'histoire me semblait quelconque - un typique petit roman "américain" sur les cachotteries et les relations compliquées, le style aussi (sans parler de la traduction parfois laborieuse qui vous fait relire la même phrase deux fois), et pour couronner le tout, je trouvais tous les personnages totalement antipathiques.
Mais rarement, très rarement, il m'arrive de tout reconsidérer et changer d'avis à la fin. Je crois que le moment est venu de remercier la masse critique et Les Escales pour ce livre, car si je ne m'étais pas engagée à faire cette chronique, je l'aurais probablement abandonné sans regret à la page 190. Et je serais privée d'un coup de bluff final et magistral de la part de Rebecca Makkai, qui n'est même pas venu sur les dernières pages, mais seulement le lendemain, à tête reposée.

Ce n'est pas le vieux portrait de Violet Devohr accroché au-dessus de la cheminée à Laurelfield qui fait de cette demeure un lieu hanté, même s'il met tout le monde mal à l'aise. Violet évite votre regard, tout comme elle évite de vous révéler la vérité sur son prétendu suicide quelque part dans cette maison, peu après sa construction en 1900. Les véritables fantômes sont faits des secrets de famille, vérités cachées et faux-semblants.
Le livre n'est pas particulièrement bien écrit, mais sa construction est ingénieuse : 1999, 1955, 1929, 1900... avec chaque nouveau pas dans l'histoire de Laurelfield, les boîtes à secrets s'ouvrent les unes après les autres, exactement comme des poupées russes mentionnées sur la quatrième de couverture. Ces retours sont de plus en plus courts, mais de plus en plus révélateurs, et la dernière partie vous renvoie directement "da Capo al Coda", comme on dit en musique, pour tout vérifier et boucler la boucle. "Laurelfield" est un peu comme "Sixième Sens" de Shyamalan, ou comme ces livres pour enfants, où il faut trouver une image cachée pour dévoiler la clé de l'énigme.

1999 : Zilla, surnommée Zee, et son mari Doug. Elle enseigne à la fac, lui peine sur une monographie d'un poète oublié, Edwin Parfitt. Ce même Parfitt qui a autrefois vécu à Laurelfield quand la maison hébergeait une colonie d'artistes, dans les années '20. Peut-être que le grenier cache encore quelques trésors qui pourraient faire avancer le travail de Doug, mais Grace, la mère de Zilla, y interdit tout accès. le grenier qui devient une obsession. Tout se complique encore avec l'arrivée du beau-frère de Zee avec sa femme Miriam, une artiste excentrique. Et dans tout ce beau monde, c'est comme si la maison avait choisi ceux qui doivent rester...
1955 : Grace et son premier mari George. Malheureux couple. Elle passe son temps dans le grenier à observer en cachette la vie dans le domaine, et les petits détails inquiétants, presque surnaturels... après tout, ne dit-on pas que tous les Devohr sont à moitié fous ? George est violent, et le seul point stable de Grace est l'intendant Max, qui s'occupe du domaine depuis des années. Mais même Max a ses secrets. Et d'où vient cette Amy, qui dit être la nièce de Max ?
1929 : La colonie d'artistes à Laurelfield : poète Parfitt, star de cinéma muet Marceline Horn, peintre Zilla Silverman, écrivains, sculpteurs, compositeurs... L'alcool coule à flot, en ces temps de prohibition, et l'inspiration devrait suivre. Mais une menace de fermeture plane. Comment la déjouer ? Sur le principe "dévore le Devohr, avant qu'il ne te dévore" ?
1900 : Souvenir de Violet, à la fois épilogue et prologue, qui semble dire encore une fois que la maison fait ses choix.

On a quelques belles révélations à la fin, doublées d'une leçon que parfois on interprète trop hâtivement les choses, mais un tas de questions reste sans réponse. Qui est Zee ? Amy ? Max ? Pourquoi Zilla porte le prénom d'une artiste que ses parents n'ont jamais connue ? Puis, d'un coup, vient le déclic... qui vous apporte d'autres révélations sur d'autres personnages : que ce soit Marceline, Sid Cole ou Edwin Parfitt.
Comme si toute une histoire non-écrite était tissée en filigrane dans l'écriture, et c'est précisément pour cette surprenante aptitude au tissage que Rebecca Makkai mérite, tout compte fait, presque 4/5.
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Roman complexe, très bien écrit, avec assurément du style et une élaboration sophistiquée dans sa structure et portant de nombreux messages que chacun peut percevoir selon sa réceptivité.

Roman immobile qui se déroule presque exclusivement dans cette maison d'artistes, cette sorte de villa Médicis à l'américaine, immobilité qui s'étend sur un siècle, qui emporte le lecteur sur le toit, dans le grenier, à travers tous les espaces de cette demeure riche de mystères, de sons, dans une sorte d'atmosphère passant de l'étouffement à la simplicité brute, crue,du vécu et du non vécu, de l'imaginaire des protagonistes, le tout porté par les sentiments exprimés ou tus, hurlés parfois, contradictoires, changeants, ce qui fait la richesse de cette oeuvre dont la densité contraint le lecteur à ne jamais décrocher ou alors à le faire pour se perdre lui-même dans ses propres méandres sensoriels.

Des époques et des personnages émergent : le passage à l'an 2000 avec la persuasion de certains d'une fin du monde inéluctable, les années 50 qui incrustent le lecteur dans une réalité esthétique pathétique par moments, toujours troublante et diffusant un sens à détecter par chacun.

Parmi les personnages, ce sont les féminins qui dominent, les hommes même violents ou violeurs, ou bien réduits à une homosexualité diffuse, distillée au compte gouttes par Rebecca Makkai, à travers la photographie, le réel mêlé à l'imaginaire, n'ont qu'un rôle secondaire.

Ce n'est pas un roman qui passionne mais qui saisit, qui permet de réaliser une traversée des époques au milieu de l'art, des amours manquées, des passions avortées. Ce n'est pas un roman noir, mais pas un texte de bonheur davantage, les frustrations dominent, les longueurs étouffent admirablement au point qu'en lisant on finit par vouloir s'enliser dans cette demeure mystérieuse, fréquentée par une famille fracassée et des artistes dépeints sans complaisance dans leurs oeuvres improbables, souvent détruites par eux-mêmes.

Il faut donc se laisser pénétrer par Laurelfield et je remercie Babelio ainsi que les éditions Les Escales de m'avoir offert ce livre par le biais de la masse critique privilégiée, un texte qui ne s'oublie pas et dans lequel on continue de flotter même après avoir commencé une autre lecture.
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Je viens de finir « Cent ans de Laurelfield » de Rebecca Makkai. C'est la chronique d'une maison qui s'étale sur trois périodes. C'est un roman en demi-teinte qui demande le temps d'entrer dans l'histoire pour l'apprécier pleinement.
Si j'ai trouvé la construction et le style originaux voire intrigants, je reconnais avoir manqué d'intérêt pour les deux premières parties et les personnages. J'ai été portée par certaines phrases et aussi certains détails de la maison.
J'ai adoré la partie traitant de la colonie et des artistes qui redonne vie à cette demeure. Quand au prologue en quelques pages mais quelles pages ! Rebecca Makkai nous révèle la triste et courte vie de Violet Devohr ainsi que les raisons de la construction de Laurelfield.
Finalement cette idée de remonter le temps permet de lever le voile sur certains détails ainsi que sur quelques personnes. Tout a une raison pas forcément celle que nous imaginons lors de la lecture.
« _ Cet endroit a toujours recueilli les égarés. Les gens qui ont besoin de trouver Laurelfield trouvent toujours Laurelfield. »
Merci aux éditions Les escales dont j'avais déjà lu Balèze et Glory et à Babelio pour ce bon moment de lecture.
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Etrange roman dont je me demande, alors que je viens juste de refermer ses pages si j'ai aimé ou pas ...
Saluons la construction, conçue comme des poupées russes , puisqu'on suit quatre époques, chacune s'imbriquant dans la plus âgée pour divulguer un secret, un pan de l'histoire.
1999 : Alors que Zee est logée gracieusement dans la remise de la propriété familiale avec son mari Doug, par sa mère Gracie, ils se voient obligés de partager les lieux, avec Case 'le fils du mari de Gracie) et sa femme Miriam, artiste. Cohabitation qui ne plaît pas à Zee mais qui fait le bonheur de Doug, qui essaie de devenir écrivain, et qui voit en Miriam , une complice dans sa quête de renseignements sur un poéte ayant séjourné dans le manoir vers 1929.
Puis nous basculons en 1955 : Grace se voit offrir Laurefield par son père, après son mariage avec George. mari qui s'avère violent... et on en apprend un peu plus sur la propriété et les gens qui y ont habité..
1929 : Laurefield était alors prêtée à une colonie d' artistes, lesquels veulent absolument maintenir la magie du lieu.
1900 : Laurefield n'est que prés et chênes, qu' un certain Augustus veut acheter en vue d'en faire une splendide demeure pour lui et sa jeune femme Violet Devohr, celle-là même qui, presque un siècle plus tard, continue de hanter les lieux.
Car , ne nous y trompons pas , la vraie vedette de ce livre est une maison, pas les personnages. Car les gens n'ont fait qu'y passer, certains l'ont aimée passionnément, d'autres détestée, d'autres y ont trouvé un refuge, certains y sont morts. Pour certains , elle fut une prison, pour d'autres la liberté. Certains l'ont fuie , d'autres, ne pouvaient la quitter.
Ce qui fait toute l'originalité de ce roman, c'est la narration, à rebours. Beaucoup de temps morts , de passages inutiles entre temps, comme ceux consacrés à Zee et aux coulisses de son lieu de travail (elle est prof de fac).
Parfois, l'auteure botte en touche et conclue ses chapitres un peu trop rapidement, il faut être vigilant, pour ne laisser rien passer, aucune pièce du puzzle reconstituant l'histoire de Laurelfield.
Parfois, ses personnages son étonnement désintéressés, et se dépouillent volontiers, un peu trop facilement...
Etonnement aussi sur la place consacrée au fantôme. Je m'attendais à lire un roman du gente Fantastique, avec une Violet qui hante chaque page, il n'en est rien . Rien du tout.
Pas le moindre fantôme , mais un secret (des secrets ), un chantage, et une maison où les artistes furent heureux le temps que cela a duré..
Une demeure conçue pour le bonheur, qui a abrité des couples, des hommes, des femmes , et c'est là tout le "squelette" du roman, leurs relations, leurs" non-relations" .
Ah ! si les maisons pouvaient parler...
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Ce roman nous fait traverser un siècle mais à reculons. Autant dire que l'on ne voit donc pas très bien où nous posons les pieds, ni vers quelle direction sa créatrice nous oriente. Une chose est sûre, toutes ces années s'écoulent sur le territoire isolé de Laurelfield, une grande maison avec ses dépendances construites au tout début du siècle dernier, à proximité du lac Michigan dans l'Illinois.
Il est mentionné que l'aïeule Violet Saville Devohr, qui s'est donné la mort dans la demeure, y est présente, du moins en peinture sur un gigantesque tableau, mais sa présence semble aussi être quelque peu fantomatique. À vérifier !

Première étape en 1999. L'auteure s'attarde alors sur la dernière descendante des Devohr, Zee, l'arrière petite-fille. Elle vient de revenir sur le domaine familial avec son mari Doug pour y occuper la remise. Alors qu'elle travaille à l'université, Doug se penche soi-disant sur son éternelle monographie en cours au sujet du poète Edwin Parfitt. Zee complote pour que son mari obtienne un poste à l'université mais l'arrivée d'un autre couple dans la demeure viendra bouleverser ses plans : le fils de son beau-père et surtout sa femme Miriam, une artiste extravagante qui trouvera à Laurelfield une réelle inspiration pour ses mosaïques faites de morceaux d'objets disparates.
Le manoir, déserté au début du siècle par son premier propriétaire après le suicide de sa femme Violet, fut l'espace de quelques années le refuge d'artistes divers, sculpteurs, écrivains, peintres, compositeurs… Serait-ce donc un lieu propice à la créativité ? Une chose est sûre, la demeure ancestrale préfère choisir ses occupants et d'après la mère de Zee apporte la chance ou la malchance.
Comme Edwin Perfitt y a effectué plusieurs séjours, cette ancienne présence pourrait probablement aider Doug à parfaire son travail sur le poète mais sa belle-mère semble farouchement réticente à lui ouvrir la porte du grenier. C'est pourtant là, comme dans tous les greniers, que se concentrent les souvenirs du passé.

Et c'est justement dans cette mansarde que s'ouvre la seconde étape avec Grace, en 1955. Elle y trouvera refuge contre sa plus monumentale erreur : son mariage avec George, caricature de l'homme violent, volage et alcoolique.

En 1929, on passe d'un artiste à l'autre, de soirées bien arrosées à l'ébauche d'un tableau, de sentiments qui se forment à un chêne foudroyé.

Des révélations surprenantes ponctueront chaque tranche de ce décompte d'années et feront toute l'originalité de ce roman.
Au fil d'une narration qui ne laisse rien au hasard, portée par une très agréable plume spécialement attractive et que l'on parcourt avec impatience, Rebecca Makkay imbrique dans le quotidien des différents personnages des petits traits qui s'ajoutent les uns aux autres et nous éclairent, sans qu'elle ait besoin de le spécifier explicitement, sur leurs véritables identités. J'ai été réellement séduite par sa façon de titiller la concentration du lecteur en introduisant des éléments qui traversent les époques et nous font remonter jusqu'à leur origine, à l'image de ce tableau sur toile de lin non signé, de cette photo compromettante, d'un vieux fauteuil et de classeurs à tiroirs cachés dans le grenier.
Alors que l'on pense être tranquillement installé dans une saga familiale, l'étonnement naîtra de ces constatations : les apparences sont souvent trompeuses et les interprétations de vestiges du passé s'avèrent rarement coller à la vérité. C'est donc une lecture qui, avec ses différentes incursions dans les murs de ce riche domaine, ne manquera pas de dérouter agréablement son lecteur.
Tout en étant confinée dans cette demeure, la variété des époques, des résidents et des vérités qui se font jour ouvrent de multiples fenêtres qui m'ont permis de sauter allégrement les cent ans qui séparaient Violet du début du roman.

Avec une porte ouverte sur les archives du grenier, je remercie Les Escales et Babelio pour m'avoir donné la clé de cette singulière lignée des Devohr.
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« Nous ne discutons pas la famille. Quand la famille se défait, la maison tombe en ruine » (Antonio de Salazar)


Dans l'atavique demeure de « Laurelfield », dans l'Illinois près de Chicago, l'aïeule centenaire, Violet Saville Devohr, qui naguère s'y serait suicidée, hante les lieux. Elle observe depuis son portrait suspendu au mur de la salle à manger, ses descendants et les résidents qui vont et viennent.


Sur le mode des poupées gigognes et empruntant un chemin à rebours, l'auteur écrit une saga familiale impertinente et audacieuse.


1999. le 31 décembre, veille du passage au deuxième millénaire, sont présents : Zee, enseignante universitaire, marxiste, qui dédaigne la fortune de ses parents, tout en profitant de celle-ci en habitant le domaine familial avec son mari, Doug, doctorant ès Lettres, ainsi que sa mère, Grace, aussi étrange que mystérieuse - dissimule-t-elle un abominable secret ? -, et son beau-père, Bruce, obsédé à faire des provisions pour prévenir la catastrophe annoncée du passage à l'an 2000.


1955. Grace et son mari, George - alcoolique et violent -, emménagent à « Laurelfield ». Mais Grace perçoit des indices dont elle est persuadée qu'ils augurent de mauvais présages dont certains sont comme surréels. Désormais, sa situation se trouve sens dessus dessous. Néanmoins, et fort heureusement, Grace s'agrippe à Max, le majordome. Mais celui-ci est également perclus de mystères se traduisant pour Grace par l'incapacité de celle-ci à découvrir qui est réellement la jeune Amy, la prétendue nièce de Max.


1929. « Laurelfield » est une colonie d'artistes accueillant le « gratin » de la création artistique de l'entre-deux-guerres, une communauté esthète et libertine.


« Cent ans de Laurelfield » (Les Escales, janvier 2021) est le troisième roman traduit en français de Rebecca Makkai (Lake Forest - Chicago, Illinois) après « Chapardeuse » (Gallimard, 2012) et « Les Optimistes » (Les Escales, janvier 2020).


Si l'on osait une comparaison artistique entre la littérature et l'opéra, on pourrait dire que le roman « Cent ans de Laurelfield », par opposition à un récit plus conventionnel, rappellerait l'une des traditionnelles altérités de l'art lyrique. Quand le « Bel canto » de Verdi commence par une ouverture qui expose, en quelques mouvements, l'intégralité et l'ampleur des passions en sursis, l'opéra Wagnérien joue de ressorts spéculatifs. Avec circonspection et toutes proportions gardées, l'on peut dire que Rebecca Makkai, dans « Cent ans de Laurelfield », déploie un récit aux allures wagnériennes par l'usage de thèmes étroitement imbriqués au sein d'intrigues, entremêlées les unes aux autres, parfois relevant de la magie, voire du mythe. de même, l'on retrouve des fondamentaux - leitmotivs et fils conducteurs - au soutien de la composition du récit exhaussé suivant une construction antéchronologique - de 1999 à 1900, en s'achevant par un prologue – où, à chaque instant, Rebecca Makkai révèle des messages au lecteur :


« Tout ce fichu siècle aurait eu bien plus de sens s'il s'était déroulé à rebours» (P. 154).


C'est un point essentiel qui traduit le coup de maître réalisé par l'auteur dans ce roman d'une intelligence outrageante. Mais que l'on ne s'y méprenne pas, pas de providence, ni Dieux ni Déesses sur la propriété de « Laurelfield », mais des intrigues et des personnages, de chair et de sang, empreints de points de vue contraires et opposés, magistralement mis en scène, qui demeurent et se meuvent, mais tous dans la filiation de générations successives.


Rebecca Makkai n'est pas avare d'intrigues et de contradictions dont
« Laurelfield » est un modèle de creuset. Zee, universitaire marxiste, aux liens familiaux contrariés, accepte, toutefois, d'emménager dans la remise de la propriété avec son mari, Doug, astreint à rédiger, pour l'université, une monographie sur un mystérieux poète, Edwin Parfitt. Peu inspiré, il écrit en secret des romans pour jeunes filles. À la demande de Grace, les époux doivent partager cet espace avec le demi-frère de Zee, Case, et sa femme, Miriam, une artiste fantasque. Mais l'équilibre du couple formé par Zee et Doug semble être remis en question depuis l'arrivée des deux autres. Également, Amy, une jeune fille moquée pour son physique, qui est présentée par Max comme sa prétendue nièce, sème le trouble.


Les personnages du roman, qui évoluent au sein de conflits permanents, présentent tous les caractères pour s'y attacher ou les détester. Leurs défauts, leurs contradictions et leurs évolutions – à ce dernier égard, il est prudent de se méfier des apparences, les bons ne sont pas toujours ceux auxquels nous pensons. Mais, tous concourent à faire de cette fiction un excellent roman.


Quelques réserves cependant :


En premier lieu, sur ces deux derniers points – intrigues et personnages -, on ne saisit pas toujours, et pour tous, ce qu'ils deviennent au fil de la lecture et, plus particulièrement, dans la deuxième et la troisième partie du roman. Aussi, une seconde lecture - voire une deuxième - peut s'avérer nécessaire pour bien comprendre, le cas échéant, ce que sont devenus certains personnages et le sens de certaines situations (Zee et Max par exemple). Mais, tout compte fait, Rebecca Makkai n'écrit pas un roman sur ce qui va arriver, mais sur le passé révolu et le pourquoi de celui-ci que seul le lecteur peut saisir en fin de roman.


Ainsi, comme l'on sait, dans les années 20, « Laurelfield » était une colonie accueillant des artistes - dont Edwin Parfitt. Doug est persuadé que le grenier contient des archives et documents précieux pour son travail. Il s'affranchit, alors, de l'interdiction, très énigmatique de sa belle-mère, Grace, que seul le lecteur comprendra, mais plus tard, tout comme tant d'autres mystères et intrigues.


De même, mais ce point n'est pas en lien avec l'apparente tortuosité du roman particulièrement bien conduit, il faut lire une centaine de pages pour ne pas abandonner la lecture en cours de route. Si celles-ci ne sont pas outrageusement ennuyeuses, elles ne sont pas d'emblée passionnantes en raison, précisément, de la structure du roman et du fait que l'on ne sait pas très bien ce qu'il en est et où l'on va. Mais tout vient à point à qui sait attendre…


En bref, si le livre demande une lecture un minimum soutenue, il est extrêmement riche, intelligent et passionnant et, paradoxalement, léger et drôle sur fond de comédie, voire de satire historique, de spectres et apparitions, agrémenté d'humour à caractère sexuel, mais toujours spirituel.


Je conseille très vivement la lecture de ce roman.


Bonne lecture.

Michel.


Lien : https://fureur-de-lire.blogs..
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D'abord, je remercie BABELIO et les Editions Les Escales de m'avoir envoyé ce roman dans le cadre d'une Masse Critique privilégiée.
Ensuite, je vais tenter de me plier à cet exercice difficile qui est de développer une opinion négative sur un livre généreusement offert. Mais j'ai beau disposer les arguments et contre-arguments dans n'importe quel ordre, le résultat demeure le même : je n'ai pas aimé ce roman, alors qu'il avait tout pour me séduire.
J'ai eu du mal à entrer dans cette histoire de propriété vaguement hantée de l'Illinois (la Laurelfield du titre) qui, pendant un quart de siècle, a servi de colonie à des écrivains et artistes en panne d'inspiration ou plus simplement d'atelier. La faute à cette construction alambiquée du roman, qui fait démarrer l'histoire en 1999, pour la poursuivre en 1955, puis en 1929, avant de s'achever par le prologue en 1900 ; peut-être aurais-je dû commencer ma lecture par la fin, pour y trouver un plus grand intérêt... La faute aussi à tous ces personnages, pour lesquels je n'ai éprouvé aucune sympathie : leurs cachotteries et leurs sournoiseries m'ont agacée, puis ennuyée.
Mais ce qui m'a le plus dérangée, c'est que la complexité de la structure de ce roman ne lui apporte finalement que peu de plus-value, comme si l'auteur s'était avant tout fait plaisir en ciselant son architecture compliquée, avec pour conséquence de maltraiter à la fois ses personnages et ses lecteurs.
C'est donc une déception pour moi, qui m'attendais à autre chose ; je n'y ai pas retrouvé la touche de gothisme promise pas le Los Angeles Times, ni la référence à John Irving évoquée par le New York Times. Mais ouf !, je l'ai enfin terminé.
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Livre cadeau d'une littérature qui ne m'est pas habituelle.
Découverte d'un univers qui se veut haletant et intriguant.
En effet, l'originalité proposée dans ce roman, un compte à rebours dans le temps, happe la lecture mais contient un lot de restrictions.

Des anecdotes, une famille au centre de relations complexes, un manoir que l'on veut mystérieux avec le fantôme d'une ancêtre suicidée, une colonie d'artistes évoquée et que l'on découvre en troisième partie dans un méli-mêlo de sentiments et de rêves créatifs, tout est construit pour nous entraîner entre époques, personnages étranges et événements de grande ou petite importance.

Un monde avec son lot de disputes, de mensonges, de regards qui guettent, de rebondissements légers et de vilenies dans une maison craquante à souhait.
La vie à Laurelfield se déroule entre problèmes conjugaux, actes répréhensibles, auto-destruction et de multiples détails qui tentent de combler une certaine superficialité.

On peut s'y perdre en lâchant trop longtemps la lecture.
On a envie de relier les différents faits et de connaître motifs et conséquences de tout ce monde éparpillé dans le temps.
On y arrive péniblement, un peu insatisfait de ce qui pourrait s'appeler saga sans l'être et roman gothique??? Je le cherche encore.

Lecture distrayante sans plus.

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Fait peu commun, l'héroïne de cette histoire est une maison, celle qui donne son titre au roman et dont nous allons suivre les habitants pendant trois générations. Et autre surprise, l'auteur a choisi de nous livrer son récit à l'envers, façon poupées gigognes : nous commençons par la fin et remontons le temps pour découvrir ce qui a conduit aux événements qui nous ont été narrés.

Laurelfield en 1999 c'est donc la magnifique demeure qui héberge la richissime Grace Devohr et son second mari Bruce et qui, dans ce qui fut l'ancien garage, va accueillir deux couples amenés à partager leur territoire, Zee la fille de Grace et son mari et Case, le fils de Bruce et son épouse. Mais Laurelfield a une histoire et c'est aussi une ancienne colonie d'artiste financée par les riches Devohr, colonie où vécut un poète maudit et suicidé sur lequel le mari de Zee essaie d'écrire un livre. Ca y est les poupées gigognes commencent à s'imbriquer et le lecteur curieux s'interroge sur le passé de la maison. Cette première partie prend un peu de temps à se mettre en place, ambiance "roman universitaire américain" avec ses rivalités entre professeurs, son artiste maudit peinant à finir son livre et acceptant des commandes pour vivre, ces deux couples contraints de cohabiter et un ton d'ironie pince sans rire qui est certes agréable à lire mais aussi beaucoup vu ailleurs.

Heureusement Rebecca Makkai a du talent et nous prend peu à peu dans ses filets : alors que je n'étais pas plus passionnée que ça par ma lecture, je me suis soudain retrouvée à tourner les pages frénétiquement quand le mystère s'est épaissi et que moi aussi j'ai voulu comprendre. Quel est donc ce secret auquel Grace fait allusion quand Doug, le mari de Zee, essaie de la faire chanter pour accéder aux secrets du grenier et de son poète chouchou ? Tout l'art de ce livre est de faire du lecteur un enquêteur en herbe en distillant de petits indices et des bribes de solution, nous contraignant constamment à réfléchir, à émettre des hypothèses et à essayer de comprendre les fragments qu'elle nous découvre peu à peu. Rien n'est jamais expliqué mais quel plaisir de comprendre enfin d'où sort un mystérieux objet qui faisait partie du décor dans la récit précédent ou de réaliser que tout ce que croyaient les personnages étaient en fait basé sur de fausses informations. Qui n'a jamais rêvé de voir derrière les apparences et de pouvoir remonter le temps à la recherche de l'explication manquante ?

Le saut en 1955, avec son émouvante histoire de Grace, pauvre petite fille riche mal mariée à un coureur de jupon violent et manipulateur, ne fera qu'épaissir le mystère en révélant une partie des secrets pour en installer d'autres. Et enfin la dernière partie en 1929 nous permettra de découvrir enfin la joyeuse ambiance de la colonie d'artistes qui jusqu'ici apparaissait en creux dans tout le roman, tel un négatif de film enfin révélé. le tout pour conclure avec un astucieux prologue (oui, oui, le prologue aussi est à la fin dans cette construction inversée) qui révélera le secret du fantôme qui peuple cette maison.

J'ai été étonnée des nombreuses critiques négatives de ce livre, apparemment on aime ou on déteste. Pour ma part, je l'ai trouvé particulièrement riche et passionnant, l'intrigue est bien construite et maîtrisée jusqu'au bout et surtout le procédé littéraire du récit à rebours dans lequel les secrets s'imbriquent les uns dans les autres est particulièrement plaisant et m'a tenu en haleine jusqu'au bout. Certes il y a quelques longueurs au début (j'avais le même reproche pour le précédent roman de Rebecca Makkai, Les optimistes) mais elles sont vite oubliées si on fait l'effort de rentrer dans l'histoire. Ce roman est aussi une belle peinture de la vie américano-canadienne au XXe siècle, que ce soit la riche aristocratie des années 50 ou les professeurs d'université contemporains. Et surtout il nous offre de jolies réflexions sur l'art, la condition d'artiste, la création, le mystère qui entoure toute oeuvre et la manière dont un récit se construit. Passionnant, plaisant à lire et intelligent, un roman original qui me donne envie de découvrir les prochains ouvrages de cette auteure !
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