Après «
Préférer l'hiver » d'
Aurélie Jeannin, j'étais curieuse de découvrir une autre oeuvre de la nouvelle collection Traversée chez Harper Collins, et me suis ainsi plongée dans le roman de
Nicolas Maleski : «
La science de l'esquive ».
Kamel Wozniak est en fuite, on ne sait pas pourquoi. Pourtant, on ne peut que pressentir l'urgence. Il faut partir, vite et loin, enchaîner les correspondances, entre trains et autocars, ne pas se faire remarquer, viser la frontière, encore et toujours, puis partir à l'autre bout du monde, sans concession aucune. Il est obnubilé par sa destination autant que par son point d'origine, sans jamais vendre la mèche.
Nicolas Maleski laisse le lecteur élaborer mille théories. Kamel a de l'argent sur lui… un braquage qui aurait mal tourné ? C'est un ancien boxeur… un concurrent qui aurait mal pris sa défaite ? Des paris qui se seraient envenimés ? Les pistes se multiplient au fil des indices glanés, on se croirait dans un polar. le suspense est omniprésent, on se dévisse le cou pour surveiller la ligne d'horizon, on marche sans fin à ses côtés… avec cette éternelle pression qui ne redescend pas.
Kamel s'accorde toutefois une pause avant le grand saut et règle cash une location saisonnière dans un petit village campagnard. Les femmes sont belles, sans artifices, les soirées dans le jardin – près de la rivière – reposantes. Kamel se ressource autant qu'il fascine puisque – qu'il le veuille ou non – dans ce genre de patelin, on attire forcément l'attention sur soi. À commencer par Richard, dépressif notoire et propriétaire de la maison que Kamel loue, qui n'hésite pas à s'incruster pour l'apéro et s'épanche à n'en plus finir. Loin de le recadrer, Kamel laisse couler. Il n'a pas aussi mauvais fond que ce qu'il cherche à nous faire croire. Il y aussi Kevin et sa bande de copains, de jeunes adultes animés par de grandes convictions, qui vivent dans l'air du temps tout en se rebellant contre le système. Ils finissent par entraîner Kamel dans un périple improbable à travers les montagnes, à la limite du road-trip délirant. Et puis il y a l'intrigante Laure, juste à côté, dans la maison mitoyenne à sa location. Laure est séduisante, mystérieuse, inaccessible. Laure est mariée. Et délaissée.
Si le style de
Nicolas Maleski est nettement plus conventionnel que celui d'
Aurélie Jeannin (entendez par là une intrigue ficelée pour appâter le lecteur, avec du suspense, des rebondissements et des dialogues), il n'en est pas moins tout aussi percutant et travaillé. Avec l'avantage d'être plus accessible. On retrouve cependant cette même tendance à l'introspection. Tout passe en revue chez son (anti)héros Kamel : le travail, la famille, les amis, les amours, le confort, le niveau de vie, sa qualité aussi. À quels sacrifices faut-il consentir ? Dans quelle mesure ces derniers nuisent au bonheur… ou y contribuent ? Kamel est intelligent, on le devine rapidement. Il avance en tâtonnant, il se cherche, ne sait pas ce qu'il veut. Juste ce qu'il ne veut pas, ne veut plus. Et l'argent, doucement, qui vient à manquer et le pousse, entre autres facteurs, à prendre des décisions étranges.
Nicolas Maleski m'a complètement désarçonnée avec ses choix narratifs imprévisibles. Il joue sur les codes du genre pour nous mener vers un polar. Kamel fuit ses crimes pour ne pas avoir à les assumer, il fuit les autres pour ne pas avoir à se dévoiler, mais Soraya, la gendarme, commence à envahir ses soirées. Quand enfin Kamel dévoile son passé, le rythme retombe comme un soufflé, se fait indolent à l'instar de la météo aux chaudes heures de l'été, avec les grillons qui stridulent à l'ombre des arbres. Puis l'auteur embarque Kamel dans un road-trip militant auquel il prend part sans en être vraiment. Embraye sur une romance pour mieux la démonter elle aussi. La plume de
Nicolas Maleski est audacieuse et j'ai apprécié ce point. Il a su prendre des risques, ne s'est pas cantonné aux codes du genre pour plaire.
Il y a un côté brut de décoffrage, une authenticité certaine au creux de ses pages. Kamel n'est pas un héros, ce n'est pas non plus un mauvais bougre. C'est Monsieur Tout-Le-Monde, il partage les mêmes aspirations et les mêmes doutes que bon nombre d'entre nous, jusqu'au jour où il décide qu'il en a assez, que c'est maintenant ou jamais. On rêve tous secrètement de cette fuite en avant. Certains franchissent le pas, d'autres non. le choix appartient à chacun d'entre nous, mais tout ceci rend Kamel accessible en dépit de la violence qu'il contient en lui.
Deux titres parcourus dans cette collection, deux surprises, comme une bouffée d'oxygène dans un paysage littéraire qui se veut assez conventionnel, avec ses grandes lignes à respecter et ses lecteurs à satisfaire. À l'image de Kamel qui ploie sous les règles de la société et le regard des patrons et des siens pour mieux s'en libérer, quitte à aller de Charybde en Scylla.
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