Le vent fouette mon corps mystique
La terre suce mon nez coulant
La mer lèche mes pieds plats de sorcière
Je vis dans la bouche peinte de Dieu mon père
Attendant sur la plate-forme qui surplombe l'espace
La fin du chaos ou la mort d'une fourmi
()
Ils ont oublié d’allumer mes bougies
Aide-moi mon amour
Ils dorment près de mon lit
Au lieu de veiller
Et j’ai peur dans le noir
Aide-moi mon amour
J’ai besoin de tes larmes
J’ai froid sans mon âme
J’ai peur du silence
Pleure mon chéri car mes yeux se dessèchent
L’angoisse mange mon coeur
Aide-moi mon amant
La vie m’a quittée
Si tôt
Et je ne peux supporter l’oubli
(Matrices)
Les bébés nus jaunis par la faim féroce qui les dévore
Pleurent dans le bois glacial des rêves enfantins
Leur bouche ouverte sans dents sans langue
Supplie la lune larmoyante de descendre
Car ils sont seuls parmi les bêtes et les fleurs
Seuls à comprendre l'émotion des marées
Seuls à pouvoir parler sans penser
Seuls à pleurer sans raison valable
Sauf celle d'être nus dans un monde cuirassé
La foule
Vos idées saugrenues vous suivent partout
Vos rires gutturaux - vos chiens - votre graisse
Tout en vous me donne soif
Soif de paix - de sang - de choses écrites
Pour être seul il faut être ermite
Ou bien mourir pour ne plus entendre
Les bruits informes de votre bouche décousue
()
Humblement humblement
Le vieux chien que je suis
Vous bénit
Tristement tristement
Je m’en vais
Mes yeux dorés de douceur
Mendient
Un dernier os, une pierre, une caresse,
Et vous bénissent
Malgré la cellule où meurent les vieux chiens
Malgré le rival qui dormira dans vos cœurs
À ma place
Moi qui ai si longtemps
Si fidèlement servi
Je vous bénis
(Matrices)
Joyce MANSOUR – La femme surréaliste (France Culture, 2005)
L’émission « Poésie sur parole », par André Velter, diffusée le 4 septembre 2005.