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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Marivaux a fait paraître ce texte en livraisons successives entre 1731 et 1742, tout en écrivant par ailleurs un autre roman, le paysan parvenu, plusieurs pièces de théâtre, et le cabinet du Philosophe, que certains considèrent comme un véritable atelier du roman, une réflexion sur certains changements esthétiques qui appellent la mise en place de dispositifs narratifs et fictionnels nouveaux permettant de les traduire dans un nouveau discours romanesque, au service des attentes du public. C'est dans les romans écrits à la même époque que ces nouveaux principes sont mis en application.

La vie de Marianne appartient au genre du roman-mémoires. le roman de Madame de Villedieu publié en 1671, les Mémoires d'Henriette-Sylvie de Molière est considéré comme le premier roman notable relevant de ce genre. Dans ce genre romanesque, un personnage fictif fait un récit à la première personne de sa vie . Il ne s'agit pas de donner un récit de faits historiques, mais de s'interroger sur soi-même, sur son parcours ;ces romans sont souvent centrés sur la vie sentimentale des personnages. le récit à la première personne est censé donner un caractère d'authenticité au texte, les auteurs insistent souvent sur cet aspect.

Le roman de Marivaux utilise aussi une autre forme romanesque relativement récente, celle du roman épistolaire. le texte du roman, miraculeusement retrouvé par un éditeur dans une maison qu'il vient d'acheter, est constitué par des lettres, qu'une comtesse aurait écrites à une amie pour lui raconter son existence atypique. Nous n'avons pas les réponses de l'amie, mais la forme épistolaire permet à Marivaux d'interrompre son roman à certains moments, suivant les contraintes des parutions, et il permet une structuration souple, des digressions un peu comme dans une conversation avec une amie.

Marianne a donc connu un début d'existence mouvementé : âgée d'environ deux ans, elle a été retrouvée par des militaires dans un carrosse, dont tous les autres occupants ont été tués par des brigands, qui les ont dépouillé. L'identité de la petite fille est totalement inconnue et incertaine. Elle est prise en charge par le curé de village et sa soeur, bonnes gens modestes. Mais lors d'un voyage à Paris au chevet d'un parent, dont la soeur de curé espère un héritage pour sa protégée, le curé et la soeur décèdent, et la jeune femme se retrouve dans la capitale seule et sans ressources. Elle sollicite un religieux, qui était en lien avec sa mère adoptive, et celui-ci la confie aux bons soins d'un dévot, M. de Climal. Ce dernier est en réalité un hypocrite : il souhaite profiter de la situation de Marianne pour en faire sa maîtresse. Il la place chez une lingère, où elle fait son apprentissage, et lui fait des cadeaux généreux. Marianne ne comprend pas dans un premier temps la situation, ou peut-être préfère ne pas la comprendre, mais cela devient de plus en plus difficile, M. de Climal devenant de plus en plus explicite sur ses intentions. Marianne se refuse à les accepter, tout en essayant de ne pas le froisser pour ne pas se retrouver à la rue. Elle fait la connaissance à l'église d'un beau jeune homme, Valville qui l'accueille chez lui suite à une entorse. Il s'avère être le neveu de M. de Climal. Ce dernier devient plus que pressant, et Marianne quitte sa lingère pour se réfugier dans un couvent, dans lequel elle ferra la connaissance d'une dame noble et riche, qui la prendra sous sa protection et deviendra une véritable mère adoptive pour elle. Comme nous sommes dans un roman, cette Mme de Miran se révèle être la mère de Valville, et très vite elle est d'accord pour un mariage. Mais des parents puissants ne l'entendent pas de cette oreille : Marianne est enlevée, on veut lui faire épouser un autre homme de force. Les choses s'arrangent, mais Valville se montre inconstant, tombe amoureux d'une autre jeune femme, dont le rang social correspond davantage au sien. Qu'importe : un autre homme, lui aussi riche et noble, propose à Marianne de l'épouser. Entre temps, elle écoute la confession d'une religieuse, Trevire, dont la destinée ne semble pas plus simple que celle de Marianne. Nous ne saurons pas la fin de son histoire, ni comment elle est devenue religieuse. Et le roman s'achève, ne reprend pas l'histoire de Marianne. Nous ne saurons pas si elle a pu connaître son identité, si elle s'est mariée et avec qui, tous les scénarii sont possibles. Nous savons juste que vers 50 ans elle est comtesse et riche.

Le récit à proprement parlé (dont les événements se résument au final à peu de choses, un des événements majeurs étant une entorse) est en permanence accompagné par des digressions, mais surtout par des réflexions et analyses. Marianne ne fait pas que raconter son histoire : elle analyse avec finesse et profondeur ce qui lui arrive, ses sentiments, ses ressentis, et en tire quelques généralités sur la nature humaine, même si elle le fait toujours avec légèreté et esprit. Elle est qualifiée par Marivaux de « Femme qui pense ». Elle oppose cette pensée qu'elle revendique dans le cours du texte, à celle des professionnels de la littérature et de la philosophie. Ces derniers obéissent à des règles, écrivent pour gagner leur vie, devant donner à leurs lecteurs ce qu'ils attendent, leurs productions ne sont pas forcément authentiques ni nées d'une nécessité intérieure. Marianne met en valeur sa liberté d'exposer en partant du récit de sa vie les pensées qu'elle fait naître en elle, sans aucune règle ni contrainte formelle.

Cette grand liberté de l'héroïne provient aussi de sa situation sociale. Elle est orpheline, ses origines sont inconnues. Or la société de l'époque est une société d'ordre, la naissance détermine le rang que l'on peut prétendre y occuper. Marianne n'a pas de place dans cet ordre, elle peut aussi bien être la fille de nobles parents que de la domestique. L'identité est donc l'enjeu du roman : pas celle héritée, donnée une fois pour toutes, mais une identité qui doit se construire à travers les expériences vécues et les réflexions qu'elles suscitent.

Marivaux a créé un personnage complexe : Marianne exprime avec force une aspiration à la dignité, refuse de se prostituer, de subir un mariage qui ne lui convient pas, mais en même temps elle fonctionne aussi dans une forme de séduction, devenant de plus en plus consciente du désir qu'elle suscite, de celui qu'elle ressent et des avantages qu'elle peut en tirer. le roman pose donc une question au coeur des préoccupations de son époque : comment concilier une noblesse morale avec le désir. de l'objet de désir, Marianne devient un sujet désirant, avec toutes les ambiguïtés : le trouble que fait naître l'amour fait peur mais en même temps éveille une attente, est un plaisir.

Marivaux se joue des stéréotypes de genre : les femmes sont bavardes, d'où les digressions de l'héroïne. Mais il procède à une sorte d'inversion : Marianne ne se limite pas aux faits, elle les analyse, élargit le cadre, tire des généralités de ses expériences. C'est parce qu'elle réfléchit, qu'elle est une femme qui pense, une pensée différente des philosophes professionnels, car tirée de l'expérience, du monde réel et non abstraite et théorique. Cela lui fait contester le privilège masculin qui voudrait qu'ils soient les seuls capables de philosopher. Elle oppose ce faisant une pensée sensible à une pensée théorique, coupée du réel. Son outil de réflexion est l'introspection, par un retour sur soi elle tente de rendre intelligible ce qui lui est arrivé, et en tirer une vision plus générale.

Marianne est à la fois l'observateur et l'observé, mais l'art de Marivaux va plus loin. Même si la Marianne de 50 ans a une lucidité, une distance qui lui permet d'expliciter des choses qui n'étaient pas claires pour la jeune Marianne, elle peut se tromper, ne pas tout voir, ou ne pas le vouloir. le lecteur à son tour peut se livrer aux jeux des interprétations, voyant ce que le personnage ignore, ce qui est suggéré par l'auteur. le livre pointe ainsi les limites de la lucidité appliquée à soi-même.

La forme romanesque est pour Marivaux la forme idéale pour explorer l'humanité dans ses conditions les plus variées, dont les plus modestes, souvent ignorées par la littérature de son époque. Une lingère est observée au même titre qu'une grande dame. Il s'agit d'explorer le coeur humain, sans tenir compte du prestige social, l'être humain est le même quelle que soit sa position dans la société. A ce titre, une orpheline à l'origine incertaine est un sujet idéal.

Beaucoup de choses ont été écrites, supputées sur l'inachèvement du roman. le manque d'une fin « classique » n'est pas accidentelle : Marivaux aurait eu le temps de l'écrire. Mais d'une certaine manière, terminer le livre, dire précisément ce qui est arrivé à Marianne, dévoiler ses origines, irait à l'encontre du projet du roman. C'est en racontant son histoire que Marianne construit son identité, qu'elle la fantasme à certains moments : une identité mouvante, en perpétuel remaniement, jamais achevée.

Au-delà de tous ces éléments d'analyse, c'est un roman délicieux, même si Marianne pense, elle est malicieuse, a le sens de l'humour, ne se prend pas au sérieux. Marivaux manie le second degré à la perfection et maîtrise l'art de conter, de surprendre, de tenir son lecteur en haleine, tout cela dans un style merveilleux.

A découvrir absolument.
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la vie de Marianne est ma première rencontre avec l'oeuvre de Marivaux.
J'ai beaucoup aimé le style, l'histoire, les personnages.
Un style très original, Marianne retrace sa vie par écrit pour l'une de ses amies à qui elle s'adresse. Ainsi l'écrivain disparait de son oeuvre pour laisser parler Marianne, l'illusion est parfaite, Marianne est si réelle, qu'on a vraiment l'impression que c'est elle qui raconte ses aventures.
Difficile aussi de se dire que ce roman est écrit par un homme, tant il y a de détails sur l'état d'esprit et les sentiments des personnages, féminins pour la plupart.
Le petit bémol est qu'il y a une histoire dans l'histoire (et ce n'est pas quelques pages seulement, mais près d'un quart du roman), que j'ai appréciée mais trouvée un peu longue.
A ce bémol près, je ne me suis jamais ennuyée, bien au contraire, c'est un roman pleins d'aventures et de rebondissements, qui se lit très vite, mais dans lequel les personnages pleurent beaucoup (il y a 150 fois le mot "larmes").
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Voilà , j'ai déjà terminé ce livre qu'on pourrait définir de pavé . Personnellement je n'aime pas cette dénomination qui laisse penser qu'un livre sera lourd et ennuyeux . La plume de Marivaux ravira , par ces mots dont l'orthographe berce l'oreille , n'importe quel français fier de sa langue ou tout simplement adepte des tournures de phrases magnifiques . Concernant l'histoire , là encore , l'auteur utilise un procédé toujours efficace , celui du conteur qui déroule au fil des pages son histoire , de plus y est mêlée une seconde histoire qui nous tient en haleine jusqu'aux dernières pages .
Je conseille donc au curieux de ce procurer ce livre !
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Super livre et très bien écrit. Je vous le conseil! :)
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C'est tellement bien écrit! quel bonheur, quelle bénédiction! un bol d'air!
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De nos jours, Marivaux est considéré, aux côtés de Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, comme l'un des plus grands dramaturges du XVIIIe siècle. L'île des esclaves, Les Fausses confidences ou encore le jeu de l'amour et du hasard sont des références incontournables. Mais il existe une autre facette de Marivaux qui est souvent occultée à tort, celle du romancier. Car Marivaux nous a laissé deux superbes romans: le paysan parvenu, ainsi que La Vie de Marianne. À l'automne 2015, quand j'étais étudiant en classes préparatoires littéraires, notre professeur de Français nous avait dressé un panégyrique de cet ouvrage. J'avais été intrigué en ce temps là, et je m'étais juré de le lire dès que possible. Six ans plus tard, je me plonge enfin dans ce beau roman, et mesure à quel point mon professeur avait raison. Dès la première page, je me suis senti happé. Impossible de reposer ce roman, je devais poursuivre coûte que coûte. L'intrigue est la suivante: à travers des échanges épistolaires, une comtesse d'environ cinquante printemps retrace le récit chaotique de sa vie: lorsqu'elle était toute petite, alors que sa famille se rendait en carrosse à Bordeaux, l'équipage fut attaqué par des bandits de grand chemin. Seule la fillette fut épargnée. Recueillie par un curé et sa soeur, la petite fut nommée Marianne.

Revoilà le topos de l'orpheline abandonnée, me direz-vous. Soyez sans crainte, le parcours de Marianne n'a rien à voir avec celui de Julien Sorel ou d'Eugène de Rastignac. Vous n'êtes pas au bout de vos surprises. Quelques années plus tard, Marianne, âgée de quinze ans, est amenée à gagner Paris. Son arrivée dans la capitale est le point de départ vers une succession d'épreuves qui amèneront l'adolescente à surmonter les obstacles qui se dresseront sur sa route. Car la jeune fille est dotée de grâces innées que remarquent beaucoup de Parisiens qu'elle ne laisse pas de marbre. La vie de Marianne nous offre le beau parcours d'une jeune fille en quête de ses origines, et surtout d'elle-même: elle veut reconquérir sa place dans une société qui ne la reconnaît pas encore. de ce fait, nous avons affaire à un roman d'apprentissage. Marianne, qui ne soupçonnait pas l'existence du mal jusqu'à son arrivée à Paris, découvre le vice, la perfidie et l'hypocrisie. J'avoue que la plume de Marivaux m'a subjugué: le romancier déchiffre les profondeurs des âmes et dresse un vaste éventail de portraits dans ce roman. La narration de l'héroïne est délicieuse: on s'émerveille devant son style, sa répartie et les récits qu'elle nous soumet.

Mon seul regret concerne bien entendu le statut inachevé du roman qui emporte des mystères à jamais irrésolus. Comment Marianne est-elle devenue comtesse? Valville s'est il repenti de ses infidélités et de son inconstance. Il ne reste aux lecteurs que le loisir d'extrapoler à ce sujet.
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C'est un journal écrit par une jeune qui n'a pas de repère dans la vie. Dans ce genre de récit, elle parle de ces entretiens avec Mme de Miran, son amour pour M. de Valville et ses peines.

Les personnages du livre comme M. de Cilma, la vendeuse de vêtement et les religieuses. Chaque personnage est détaillé avec des personnalités bien définient. Vu que ce livre est parue au XVII siècle, les dialogues étaient respectueux avec le vouvoiement et les formes de respect de ce siècle. le personnage de Marianne qui écrit ses sentiments et ses malheur. Durant tout son récit, elle pleure pour tout: pour les remercier, pour ses peines. de tout ce qu'elle peut ressentir.

Un récit intéressant racontant sa vie chaotique avec beaucoup de détails nous permettant de rentrée dans l'histoire. C'est un livre plein de péripétie qui est centré sur la personne de Marianne.
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