Macha avait immédiatement proposé la bibliothèque - sa bibliothèque -, j'avais essayé de l'en dissuader, convaincue qu'elle aurait les plus grandes difficultés à y revenir. Elle n'avait rien voulu entendre. La raison était simple : c'était l'œuvre de Jo, il en avait construit les immenses étagères qui couraient du sol au plafond, rien que pour elle, pour ses livres : pour sa littérature russe dans le texte, et leur version française.
Je ne l'aurais jamais avoué à personne pour ne pas être prise pour une folle mystique, mais parfois j'avais la sensation que les murs de La Datcha vibraient d'excitation à l'approche du plein de vie de la saison. Le cœur aussi impatient que le mien. Cette maison vivait quand il y avait du monde, se nourrissant du passage incessant des gens qui arrivaient, repartaient, se baignaient, mangeaient, s'amusaient, se détendaient, se reposaient. Et nous, qui prenions soin de cette noble dame, nous devions aussi prendre soin de nos clients, les accueillir, sans faiblir, un sourire permanent aux lèvres.
Ne méritais-je pas d’être aimée, sans condition, sans rupture, sans séparation ? Ne méritais-je pas de vivre sans ce vide permanent au fond du ventre et du cœur ? Sans être seule à chaque instant, sans vivre avec la terreur que quelqu’un s’en aille.
Avec Matcha et Jo, j'avais découvert l'amour. L'amour qui fait du bien, qui soigne, qui répare, qui fait grandir.
- ... j'espère que tu comprends mieux mes décisions, mes réactions ...
- je comprends, mais je n'accepte pas, lui répondis-je d'une voix douce.
Je n'aurais pas supporté les blancs dans une conversation téléphonique, le silence était plus rassurant, finalement.
Quand elle m'avait appelée ma colombe dans sa langue maternelle pour la première fois, j'avais compris que je faisais partie d'elle, qu'elle m'offrait son cœur, son affection. Son amour.
Ne méritais-je pas d'être aimée, sans condition, sans rupture, sans séparation ? Ne méritais-je pas de vivre sans ce vide permanent au fond du ventre et du coeur ? Sans être seule à chaque instant, sans vivre avec la terreur que quelqu'un s'en aille.
Ne méritais-je pas de vivre sans ce vide permanent au fond du ventre et du cœur ?
À La Datcha, on ne portait pas de noir. À La Datcha, on portait du blanc, du jaune paille, du rose, du vert, du bleu. À La Datcha, on portait les couleurs de la joie. J’aurais voulu être courageuse, m’afficher avec une robe en lin colorée. Mais le chagrin m’empêchait de faire un coup d’éclat. Me le pardonnerait-il ? Se moquerait-il de moi ? Comprendrait-il ma colère ?