J'habite un petit village situé aux portes d'un des plus grands aéroports du monde. Il est 22h00 et le ballet incessant des atterrissages a commencé. À ma gauche, les lucioles les unes derrière les autres. À ma droite, quelques décollages impatients.
Pourquoi je vous décris ce spectacle nocturne ? Parce qu'il me ramène à un rythme de vie fascinant. Des gens qui partent et qui reviennent, qui vont travailler, qui voyagent. Quelles que soient leurs douleurs.
Parce que ce cinéma en plein air me coupe de ma lecture comme une délivrance.
Pour l'instant, je ne parviens pas à aboutir à la fin de ce livre. Il m'épuise. J'ai pourtant bien avancé. Je suis en cours de chapitre, page 367. Au début, je n'ai pas réussi à rentrer dans l'histoire. Comme un déni.
Maintenant j'y suis. Trop même.
"Partout je regarde, je vois des traces des gens dont les noms reviennent dans les dossiers. Alcide, avec sa casquette roulée dans son point, sur un chemin de terre à Hecker, ses filles sur ces pas. Bessie en train d'ajuster la béquille qui lui mordait l'aisselle, puis se penchait pour faire les lits des enfants avant qu'ils rentrent à l'école. Et à présent Bessie et Alcide sous une dalle de béton, dans le sol. La chaleur étrangle les champs, elle a poussé tout le monde à s'enfermer. Ce territoire ressemble à une ville fantôme, un lieu qu'une histoire a emporté tel un ouragan."
Des films empreints de violence, j'en ai vus un nombre certain, car l'aspect dramatique l'exigeait. Les livres soutenus par la fureur font partie de mon quotidien. Je suis métalleuse, j'aime les groupes agités par la tempête.
La violence, je ne l'aime pas pour ce qu'elle représente à l'état pur, mais pour ce qu'elle contient. de tout ça, j'ai une grande distance et beaucoup de recul.
Le thème de la pédophilie transpire ici dans chaque ligne. Plusieurs enfants. Des familles entières décimées par le fléau. L'enfance est touchée et meurtrie de plein fouet. Arrachée. Je n'ai aucun recul. Je prends tout, j'aspire, une éponge. Je suis fatiguée.
Alors je regarde passer les avions. Je cherche un endroit calme dans un parc où je croise beaucoup d'enfants, avec leur innocence.
Ce témoignage nous rappelle la nature du crime qui agit telle une épidémie. Dans vos vies personnelles, quand vous creusez chez vos proches, vos amis ou en vous, il est si fréquent de découvrir une empreinte indélébile. Si souvent. Des témoignages, de près ou de loin, j'en ai trop entendus. Il suffit d'un pour changer votre vision du monde. Alors, pour l'instant, je suis essoufflée.
Alexandria Marzano-Lesnevich est troublante de vérité. J'aime ses mots, parfois soumis à une certaine maladresse, où elle se sent obligée d'expliquer que la vague qui déferle en elle, avec sa petite amie, n'est pas un orgasme, mais la terreur. J'avais compris, nous avions compris. Je sens ce besoin irrépressible de nous expliquer, animé par la peur d'être incomprise.
J'ai commencé
l'empreinte mi-août. Je suis partie en voyage quelques jours avec un autre livre. Une coupure nécessaire.
Mon salon est parsemé de livrets, bandes dessinées ou récits de tout type. Plusieurs échappatoires.
Ce roman, je le terminerai. J'espère que mes propres mots partagés en confiance, avec vous, parviendront à apaiser la suite de ma lecture, avec le recul nécessaire.
Ce livre est une cicatrice ouverte.
Commencé le 19 août et terminé le 19 septembre 2019.