C'est la majorité qui définit la norme, non les individus isolés.
Une nouvelle terreur a émergé de la mort, une nouvelle superstition a conquis la forteresse inexpugnable de l'humanité. Je suis une légende.
Il la regarda. Elle avait le sourire contraint d'une femme qui s'efforce de réprimer sa féminité dans l'intérêt de la cause qu'elle sert.
Le silence n'était jamais aussi mortel à l'air libre qu'entre quatre murs, en particulier ceux de cet énorme bâtiment de pierre grise abritant la littérature d'une civilisation éteinte.
Mais peut-être était-ce juste le fait d'être enfermé ; une impression purement psychologique. Pas de quoi se réjouir, cependant : il n'existait plus de psychiatre auquel il pût confier ses névroses et ses hallucinations auditives.
C'était lui,le spectre insaisissable qui laissait pour preuve de son passage les cadavres exsangues de ceux qu'ils aimaient.
C'est la majorité qui définit la norme, non les individus isolés.
Pourtant, en quoi ses habitudes sont-elles plus révoltantes que celles des autres hommes et animaux? Ses crimes sont-ils plus graves que ceux des parents qui étouffent la personnalité de leur enfant? Son seul nom provoque des réactions d'effroi. Mais est-il plus monstrueux que les parents d'un gosse névrosé, futur homme politique? Que l'industriel distribuant à des œuvres l'argent qu'il a amassé en fournissant en bombes et en fusils des terroristes kamikazes? Que le producteur de l’infâme tord-boyaux avec lequel s'abrutissent de pauvres types déjà incapables d'aligner deux idées à jeun ("Mande pardon; je suis en train de dénigrer le sein qui m'abreuve)? Est-il pire enfin que le patron du torche-cul qui souille les présentoirs d'un flot de calomnies et d'obscénités. Examinez bien vos consciences, mes petits cœurs, et dites-moi si le vampire est tellement épouvantable.
Tout ce qu'il fait, c'est boire du sang.
Pourquoi, dès lors, ce préjugé injuste et absurde à son égard? Pourquoi le vampire ne peut-il vivre là où il en a envie? Pourquoi l'obliger à se terrer? Pourquoi chercher à le détruire? Vous avez fait de ce pauvre innocent un animal traqué, sans moyen de subsistance ni possibilité d'instruction. Il n'a même pas le droit de vote. Pas étonnant qu'il doive mener l’existence d'un prédateur nocturne.
Couché dans l'obscurité, il se faisait l'effet d'un malade, forcé de progresser pas à pas. Mais il ne pouvait en être autrement. Allons, vieille carcasse! Mets donc un pied devant l'autre, puis l'autre, puis l'autre encore...
On n'entendait aucun bruit, à part celui des pas de Neville et le chant absurde des oiseaux. "Jadis, pensa-t-il, je croyais qu'ils chantaient parce qu'ils étaient heureux de l'harmonie du monde. Je me trompais: ils chantent parce qu'ils n'ont pas de cervelle ..."
Il pensait à elle, morte peut-être sans avoir connu l'amour ; sombrant dans ce hideux coma, puis dans la mort, et revenant peut-être, ensuite, errer sans fin, sans but, tout cela sans avoir jamais aimé ni été aimée. Et cela était pire encore que de devenir un vampire...