La belle vie

Après vingt ans de cohabitation, ils étaient devenus experts dans l'art de nier l'évidence, et devenir parents n'avait fait que renforcer leurs talents pour le balayage des rancœurs sous le tapis de la routine domestique.

Dans des moments comme celui-ci, tout ce qu'il voulait c'était avoir à nouveau vingt-cinq ans, à l'époque où l'insouciance et l'audace dans l'abandon constituaient un programme esthétique.

Aimer ce n'est pas comme désirer, Luke. Et c'est encore moins comme posséder. Ce n'est pas une question d'attirance ou de satisfaction. Au bout du compte, il s'agit de vouloir ce qu'il y a de meilleur pour l'autre personne...

- en fait , dit Corrine en souriant comme si elle avait failli ne pas le reconnaître, Luke et moi avons travaillé ensemble à la cantine cet automne.
- Alors c'est à cause de vous que ma femme passait toutes ses nuits dehors ! dit Russel gaiement.
- Oui, enfin, c'était par charité, dit Sasha d'un ton sec et glacé, dont la portée échappa à Russel, si ce n'est à son épouse.

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(p.1) Les femmes s'en veulent ; les hommes en veulent.

Après vingt ans de cohabitation, ils étaient devenus experts dans l'art de nier l'évidence, et devenir parents n'avait fait que renforcer leurs talents pour le balayage des rancœurs sous le tapis de la routine domestique.

C'est comme un tremblement de terre qui met soudain au jour d'anciennes ruines. Les sédiments de la mémoires sont remués.

Luke se rappela soudain que sa belle-sœur n'était pas aussi aveuglément charitable qu'il y paraissait : elle ne parvenait toujours pas à juguler le sentiment de rancœur qu'elle éprouvait à voir le premier-né pourri gâté se rôtir au soleil de l'amour maternel, tandis que son jeune frère s'échinait consciencieusement dans l'ombre, sans jamais recevoir la reconnaissance et l'affection qu'il méritait.

Quand on élève des chevaux, c'est pour qu'ils acceptent la soumission et le service. Quand on élève des enfants, on n'espère qu'une chose, c'est qu'ils trouveront leur liberté.
C'était une notion si généreuse qu'il n'eut pas le cœur d'y parer en invoquant une conception plus sophistiquée, selon laquelle les enfants ne grandissaient que pour devenir esclaves des mêmes impératifs que ceux qui avaient aliéné leurs parents.

A présent que sa fille avait plongé dans les eaux agitées de l'adolescence, il était condamné à observer depuis la rive, hurlant des conseils qui se perdaient dans le vent.