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EAN : 9782266328791
272 pages
Pocket (01/06/2023)
3.74/5   76 notes
Résumé :
Autour d'un Steinway qui a traversé le XXe siècle, les destins de deux femmes que tout sépare se rencontrent, liés par un ancien secret et l'amour de la musique.

New-York, juin 1937, Tillie Schultz perpétue la tradition familiale et entre chez Steinway & Sons pour travailler auprès des "immortels", ces pianistes de légende comme Rachmaninov et Horowitz. Grande mélomane, son talent n'égale pas celui des maîtres qu'elle côtoie. Pour vivre sa passion, el... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (51) Voir plus Ajouter une critique
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Comme son titre l'indique, "Les accords silencieux" parle avant tout de musique : de la musique qui nous accompagne tout au long de notre vie, de celle qui nous fait vivre, de celle qui nous soutient et nous réconforte, de celle qui nous illumine. Il y a la musique que l'on découvre par nous-mêmes et celle déjà ancrée dans notre héritage. Il y a la musique, telle une révélation, qui fait naître des émotions intenses dès les premières notes et qui nous transporte toujours plus loin.

Pour Tillie, Shen, Xià, Irina et Mei, la musique, c'est tout ça à la fois. Tombés dans la marmite de potion musicale quand ils étaient petits, elle les accompagne depuis toujours et fait partie intégrante de leur être. Alors qu'elle est une évidence pour les uns, les autres l'apprivoisent encore.

Mais "Les accords silencieux" ne parle pas que de musique. Roman choral et multi-temporel, Marie-Diane Meissirel nous parle de l'histoire de la Chine : occupation japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, guerre civile, Révolution culturelle, manifestations de Tian'anmen. L'histoire débute pourtant à New York en 1937, avec la jeune Tillie qui, par le biais de son journal intime, nous raconte son premier jour chez Steinway & Sons. de là, nous voyagerons des États-Unis à Shanghai, en passant par Leipzig, Hong Kong ou encore l'Inde. Nous traverserons le XXe siècle pour nous arrêter en 2014, moment où Xia et Tillie découvrent ce qui les unit.

Au premier abord et jusqu'à la fin, c'est avant tout le piano qui les lie bien évidemment. Nous découvrirons au fil de la lecture qu'il y a peut-être autre chose, que l'on devine assez rapidement mais qui n'enlève rien à l'envie et au besoin de continuer notre lecture. Parce qu'il ne s'agit pas uniquement de Tillie et de Xià : il y a aussi Mei, Shen, Irina ; et puis Vince, Roger, Gustaf, Zhu et Lì. Tous sont unis par une histoire commune. Ils l'ignorent, nous aussi, et nous allons en découvrir tous les fils petit à petit.

L'ultime révélation n'a pas été une surprise, j'avais compris cette vérité bien plus tôt mais elle n'a absolument rien gâché de ma lecture. Marie-Diane Meissirel a une plume magnifique, très douce et envoûtante, toute en émotions. On aime à suivre les différents personnages, qui nous touchent tous d'une manière ou d'une autre, à travers leurs histoires personnelles ancrées dans L Histoire avec un grand H. La musique nous accompagne tout du long, elle nous berce et nous grise, elle nous aide à traverser des époques quelque peu tragiques, comme la Seconde Guerre mondiale ou la Révolution culturelle, avec leur lot de drames et de deuils.

"Les accords silencieux", c'est l'histoire de personnages liés entre eux sans le savoir, c'est l'histoire d'un pays et de son peuple qui en a bavé, c'est l'histoire d'un amour perdu et de l'amour de la musique. C'est aussi l'histoire d'un piano d'un côté et d'une partition de l'autre, qui ont voyagé et traversé les décennies ; c'est l'histoire d'une boîte d'allumettes qui retrouve son propriétaire au bout de 50 ans...

Reçu et lu dans le cadre d'une masse critique privilégiée, je ne peux que remercier chaleureusement Pierre de Babelio pour la sélection et les éditions Pocket pour l'envoi de ce petit mais somptueux roman. "Les accords silencieux" est le quatrième roman de Marie-Diane Meissirel, je n'avais jusqu'alors jamais entendu parler de cette dame à la plume pourtant si jolie, sensible et douce. Je compte bien y remédier.
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1937, à New York. Si Tillie n'a pas le talent de son jumeau violoncelliste, elle n'en partage pas moins la passion pour la musique qui anime sa famille. Comme son père et son grand-père avant elle, elle entre donc chez Steinway & Sons, où la voilà bientôt au service des immortels, ces pianistes d'exception parmi lesquels Rachmaninov et Horowitz. 2014, à Hong Kong. La vieille dame qu'est devenue Tillie n'a plus la force de faire chanter elle-même son Steinway. Xia, une étudiante chinoise dont un concours raté a anéanti les ambitions musicales, vient jouer pour elle et ainsi garder en vie le vieux piano et les émotions qui lui sont attachées dans le coeur de sa propriétaire. Mais les deux femmes vont découvrir, qu'au-delà de cet instrument et de l'amour de la musique qui les ont réunies, elles ont aussi en commun un sombre secret, qui, sans qu'elles en aient jamais eu conscience, a infléchi le cours de leur existence.


L'idée de suivre à travers le temps le parcours d'un objet, d'une oeuvre d'art ou d'un instrument de musique n'est pas neuve. D'autres s'y sont déjà essayés, comme Mizubayashi Akira avec Ame brisée, ou Marie Charvet avec L'âme du violon, tant la vulnérabilité à la barbarie, aux guerres et à l'obscurantisme – entre autres – de ces choses rares et inestimables qui, non seulement incarnent la beauté et le génie, mais se chargent aussi au fil du temps de la mémoire des vies et des âmes qu'elles ont fait vibrer, comporte, il est vrai, de potentiel éminemment tragique et romanesque. Nous voici donc à voltiger en incessants allers-retours entre lieux et époques, sur les pas cette fois d'un piano fort opportunément reconnaissable à deux papillons gravés dans son bois : des lieux et des époques dont l'auteur use et abuse toutefois jusqu'à risquer de perdre son lecteur en chemin, comme autant de pièces de puzzle dont l'assemblage finit par dévoiler les fils blancs d'un improbable imbroglio, mêlant histoires d'amour et hasards tout autant impossibles les uns que les autres.


Reste une lecture légère et romanesque, dont les rebondissements prévisibles et pas absolument passionnants font néanmoins voyager, en musique, d'un continent à l'autre et à travers les époques. Surnagent aussi quelques jolies émotions musicales, même si Mahler s'en serait probablement énervé, lui qui jugeait les mots impuissants à décrire la musique, sauf quand elle est mauvaise.


Merci à Babelio et aux éditions Pocket pour cette masse critique privilégiée.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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"La musique à une résonance universelle, elle offre un espace de dialogue avec soi-même et les autres, 'elle crée un lien entre la terre et le ciel, votre désir viscéral d'oeuvrer pour l'harmonie du monde..."
Cette belle et juste phrase est la résonance de ce livre.
Que d'émotions, de poésie et d'amour retentissent dans ce roman.
Marie-Diane Messirel dans les accords secrets nous livre une partition admirable où seul la musique domine, elle embrasse la vie de deux familles dont un piano Steinway est leur lien commun.
Un très bel hommage est rendu aux victimes de la révolution culturelle sous Mao. Immanquablement, on pense au film : Adieu ma concubine qui nous renvoie à la barbarie des gardes rouges.
Malgré cette violence, les hommes s'aiment et la
musique est leur chant, leur point de ralliement, leur rédemption.
J'ai beaucoup apprécié tout au long des chapitres, ces petites phrases de François Cheng qui incarne la sagesse et la poésie de cet univers chinois si difficile à percevoir pour un occidental.
L'écriture du roman est tout en finesse, poétique comme cette phrase par exemple :
" Tous les pianos don't je m'occupe sont devenus des variations de ton coeur, je me suis mis à leur écoute comme j'aurais aimé passer ma vie à l'écoute de ton âme"

Un petit livre sublime pour tous ceux qui aiment la musique. Il nous porte vers la lumière.
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Le personnage fil rouge de ce roman mélodieux est un piano, un Steinway, marque mythique et prestigieuse. le Steinway qui hante ces pages est de plus unique et reconnaissable en raison d'une gravure incrusté sur son bois, et qui représente deux papillons unis pourl'éternité.
C'est aussi l'histoire d'une partition, qui reproduit un adagio de Bach, elle aussi unique, portant deux idéogrammes calligraphiés sur sa page de couverture. Ces deux éléments, l'auteur nous propose de les suivre dans leur périple complexe entre la Chine et les États-unis, tout au long d'une période qui va de la deuxième guerre mondiale jusque'à nos jours;

Il faut donc s'accrocher pour suivre les sauts dans le temps et l'espace et se repérer dans la généalogie des personnages, d'autant que l'auteur ne la dévoile dans son intégralité que tard dans le récit. C'est d'autant plus complexe que la chronologie n'est pas respectée.

Il n'en reste pas moins que l'histoire de cet instrument et des musiciens qui l'ont joué est émouvante par ce qu'elle laisse transparaître de la beauté et de la profondeur des émotions que peut susciter la musique.

On traverse aussi au cours des pages des périodes noires de l'histoire récente de notre humanité, où les remous de la haine ont pu broyer des destins pourtant prometteurs. de la répression du régime de Mao, aux massacres de la guerre en Europe, les hommes ont montré la noirceur de leur âme quand le pouvoir les consigne dans un univers si loin des destinées individuelles qu'ils sont censés protéger

Un beau roman sur fond de musique divine.

256 pages Les escales 6 janvier 2022
Sélection POL 2022
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Tout pour la musique

Le nouveau roman de Marie-Diane Meissirel est une ode à la musique, langage universel. de Shanghai à New York, en passant par Hong Kong, il raconte le destin de deux familles et celui de la manufacture de pianos Steinway. Éblouissant !

À travers le temps et à travers l'espace, la musique transmet un message universel, vertu que ce roman fort bien documenté déploie de la fin des années 1930 à aujourd'hui.
Il commence à New York en 1937, au moment où Tillie Schultz est engagée au Steinway Hall, suivant ainsi plusieurs générations de sa famille venue d'Allemagne. Aux côtés du grand-père et du père, accordeur, notamment pour Rachmaninov, elle baigne littéralement dans la musique. Aux côtés de son frère jumeau Joseph, elle rêve d'un avenir de création et de concerts virtuoses.
Durant ce même été 1937 Shanghai est la proie de violents combats. Après l'assaut des troupes japonaises, la riposte chinoise et les manoeuvres américaines et britanniques pour protéger les concessions internationales, la ville est une poudrière. Qiáng organise alors le départ de son épouse sur l'un des derniers paquebots, mais Mēi refusera de partir sans Ān et Shēn qui partagent leur vie. D'autorité Qiáng en décide autrement et part vers le port. Leur Buick est alors prise pour cible et, après leur chauffeur, le couple meurt après l'explosion d'une bombe. Shēn devra dès lors se débrouiller tout seul s'il veut poursuivre sa formation de pianiste.
On bascule alors en septembre 2014, au moment où Xià a rendez-vous avec son destin. Arrivée à Hong Kong pour y étudier, elle découvre cette annonce dans son foyer universitaire: Personne privée recherche jeune pianiste pour jouer au piano à son domicile à Happy Valley. le piano est un Steinway à queue de 1914. Musiciens confirmés et de confiance, adressez votre lettre de motivation et CV à contact@FuMusicFoundation.com.
Même si elle a déjà renoncé à une carrière de concertiste après un examen manqué, elle tente sa chance. Convoquée par Tillie Fù pour une audition, elle est choisie par la vieille dame pour jouer sur son Steinway. Les manifestations étudiantes pour davantage de démocratie l'empêchent toutefois d'honorer ses rendez-vous. À moins que ce ne soit le poids du passé.
Marie-Diane Meissirel a fort habilement construit son roman. D'abord autour de la musique et des pianos Steinway, mais aussi autour de pages d'histoire qui vont bouleverser le destin de deux familles que le destin finira par réunir. de la seconde Guerre mondiale jusqu'à la révolution culturelle et ses aberrations comme l'interdiction de la «musique bourgeoise», en passant par les jugements hâtifs et sans appel de la police politique soviétique, de sombres pages viendront contrarier carrière et amour.
Le journal de Tillie va s'insérer au fil des chapitres et dévoiler comment elle a fini à Hong Kong et devenir Madame Fù. Mais laissons à Shēn le soin de conclure la chronique de ce roman lumineux que l'on pourra lire tout en écoutant la playlist concoctée par la romancière: «Dans la nuit de son existence, il prit conscience qu'il y avait toujours eu une lumière, celle d'un amour infini qui lui avait appris à être par la musique et qui s'était révélé sous des traits aimés. Cet amour absolu qui anime, inspire, sublime, console, pardonne et porte l'espoir, était celui qu'il avait voulu mettre au centre de sa musique et de sa vie avec toutes les limites de son humanité mais avec une sincérité inaltérable. Cette révélation fulgurante embrasa son coeur.»

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Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Sur la banquette en face d’elle, une fillette dans sa robe d’uniforme à col Claudine tient, serré contre son buste frêle, un étui à violon. À côté d’elle, son père pianote sur son téléphone portable. L’écolière ne sourit pas, ses yeux sont cernés par la fatigue, une profonde lassitude se lit dans son regard. Où est la joie de l’enfance sur ce visage déjà usé par la pression parentale ? s’interroge Xià. Réussir, il n’y a pas d’autre chemin en ce monde et l’apprentissage de la musique fait partie de cette marche uniformisée vers l’excellence. Parmi tous ces petits soldats armés de leurs instruments, combien seront touchés, au plus profond de leur être, par le mystère de la musique ? Xià a envie de souffler à l’oreille de l’enfant de chérir son violon comme son meilleur ami, car peut-être détient-elle entre ses mains le secret de son harmonie au monde mais elle désire tout autant la mettre en garde contre le danger de pénétrer dans cet univers intense, riche en émotions et plein de promesses de liberté.
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La pianiste est allée chercher dans les profondeurs de son être des notes si délicates qu'elles m'ont semblé posées à l'extrême pointe du cœur, là où la joie et la tristesse se rencontrent pour atteindre une vérité sincère, là où l'expression la plus intime éclôt pour libérer le chant d'une âme, prête à pousser un souffle plus grand qui embrase, console , porte vers la lumière.
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Je me sens terriblement vieille, comme si ces deux dernières années avaient été deux décennies. Comment être jeune en pleine guerre, quand l'insouciance est une offense ?
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Seule dans le noir, Tillie guette les derniers rayons du soleil. Ils sont les rares visiteurs de sa maison de Happy Valley, les compagnons de ses interminables journées. Elle aimerait aussi accueillir le vent, sa caresse, ses murmures mais ici, il est sauvage et ne vient qu’en rafales alors les fenêtres restent closes pour éviter que les portes ne claquent et se referment sur sa solitude.
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(Le premier chapitre du livre)
Hong Kong, 25 septembre 2014
Seule dans le noir, Tillie guette les derniers rayons du soleil. Ils sont les rares visiteurs de sa maison de Happy Valley, les compagnons de ses interminables journées. Elle aimerait aussi accueillir le vent, sa caresse, ses murmures mais ici, il est sauvage et ne vient qu’en rafales, alors les fenêtres restent closes pour éviter que les portes ne claquent et se referment sur sa solitude. Chaque faisceau lumineux soulève une poussière d’étoiles et pave une voie vers cet autre monde où l’attendent ceux qu’elle porte dans son cœur. Pourquoi ne pas partir maintenant ? Fermer les yeux et se laisser glisser vers cet au-delà peuplé de visages familiers… Mais la vie s’accroche et la retient malgré elle. Ce mystère la dépasse : que lui reste-t-il à faire sinon s’y abandonner, elle qui n’a plus personne à qui donner ?
Tillie rêve, des après-midi entiers, allongée sur la méridienne du salon. Elle quitte son corps, usé par les années. Un rire d’enfant dans la rue : elle s’évade vers les ateliers de Steinway dans le Queens, y joue à cache-cache avec son jumeau, parmi les ceintures de bois, jusqu’à ce que leur grand-père les gronde et les oblige à attendre sous les pianos qu’il règle avant leur sortie de l’usine. Elle respire alors, à pleins poumons, le parfum du bonheur : celui qui mêle l’aigreur de la colle et du vernis à la douceur de la sciure et du feutre. Une bouchée de strudel : elle retrouve la cuisine de sa grand-mère, au cœur des maisons ouvrières de Steinway Village, et lèche le fond de la casserole où les pommes, le beurre et le sucre se sont imprégnés du goût de la cannelle. La sirène d’une ambulance : elle court hors d’haleine dans les rues de Manhattan pour rattraper son retard ; le concert va commencer, toute sa famille a déjà pris place à Carnegie Hall, les applaudissements retentissent pour accueillir Sergueï Rachmaninov ; derrière le rideau de velours rouge, elle aperçoit le sourire de son père, l’oreille tournée vers le piano qu’il a accordé dans l’ombre. Le sifflement discordant d’un coucou koël : elle marche sur un sentier qui s’enfonce dans la jungle pour ressurgir sur un col perdu dans les nuages, avant de replonger à pic vers la mer. Elle admire les coulées de lave végétale qui déferlent vers des eaux de jade ainsi que la découpe ciselée de la côte hongkongaise où se nichent des croissants de sable ocre. Sous le dais fleuri d’une allée de flamboyants, elle court vers la plage et plonge dans les reflets du soleil couchant. Le ciel s’embrase, enveloppe d’un halo orangé les îlots rocheux et transforme les jonques, aux voiles déployées, en ombres flottantes. Là-bas, au loin, son mari lui fait signe : la nuit tombe, Tillie tente de le rejoindre mais le vent s’est levé, elle peine à avancer, des vagues furieuses s’enflent à la surface de l’eau, à bout de forces, elle se laisse emporter par le courant qui l’attire vers les abysses. Elle ne respire presque plus, son corps inanimé gît au fond de la mer de Chine. Tout est silencieux. Six notes timides, un accord qui enfle, une mélodie, celle de l’Adagio de Pa, on la joue sur son piano. Son cœur se remet à battre, une main la tire vers la surface. Une quinte de toux lui déchire la poitrine et la réveille en sursaut. Le piano se tait.
Le couvercle de l’instrument est refermé avec précipitation. Dans le silence s’élèvent, de part et d’autre du grand paravent, deux respirations rapides. L’instant se prolonge dans l’écho des souffles. Tillie trouve la force de se lever. Avec l’aide de sa canne, elle vient poser son œil contre la séparation. Derrière les interstices du feuillage de bois, elle aperçoit une jeune femme assise devant son Steinway. Un rayon de soleil se pose sur ce visage de lune et révèle un ovale parfait, un teint de porcelaine, des cheveux noirs et soyeux, des sourcils à peine tracés, de grands yeux en amande, un nez plat, relevé par des lèvres charnues et un grain de beauté, unique, posé comme une larme sous l’œil gauche. Cette jeunesse l’éblouit et l’attire.
De l’autre côté de la pièce, le miroir lui renvoie l’image de son visage oblong, encadré par ses cheveux de neige ; sous ses yeux d’opale, le temps a creusé de profonds sillons tandis que le soleil a moucheté sa peau laiteuse dont la finesse laisse apparaître des veines bleutées. Elle sort de sa cachette et se dirige d’un pas hésitant vers l’instrument. Son piano, Tillie l’évite depuis des mois : le tremblement incessant de ses mains l’a séparée de son dernier confident. Observer son silence est devenu trop douloureux. Elle pensait l’avoir, lui aussi, perdu pour toujours.
Aujourd’hui, elle le retrouve avec l’émerveillement de leur première rencontre, enrichi de ce qui les lie depuis. Elle se souvient de la joie teintée de tristesse qui lui avait alors serré le cœur et c’est avec ce même pincement qu’elle avance vers lui, que son regard l’embrasse dans toute sa longueur, que son nez hume son parfum de bois, de vernis et de feutre, que ses doigts frôlent ses cordes nues, glissent sur son manteau fauve et satiné et s’arrêtent sur les deux papillons. Au contact des ailes délicates, gravées dans la ceinture de bois, son corps tout entier se met à trembler. Elle perd l’équilibre et s’accroche au Steinway pour ne pas basculer en arrière. La jeune femme, jusque-là restée immobile, se précipite derrière elle et la maintient, son corps pressé contre le sien. Le long de son cou, Tillie reçoit le souffle de l’inconnue ; au creux de son dos, elle accueille les battements de son cœur. Ce rapprochement soudain l’apaise. Elle ne tremble plus. Avec confiance, elle se retourne. Gênée, l’autre fait un pas de côté et baisse le regard. Tillie s’étonne de se trouver face à un être si frêle : elle a ressenti une telle force derrière elle, un soutien venant de bien plus loin. Elle s’adresse à la visiteuse :
— Avez-vous joué l’Adagio de Pa ou était-ce encore l’un de mes rêves ?
Dans un anglais timide, au fort accent, la Chinoise répond à la vieille dame :
— C’était l’Adagio du Concerto italien en ré mineur de Bach, BWV 974. Je suis désolée de vous avoir réveillée. C’est votre aide qui m’a autorisée à me mettre au piano. Je suis…
— C’est troublant, l’interrompt Tillie, vous l’avez interprété exactement comme mon père : ce tempo plus lent, ces ornements si mélancoliques… Ce morceau, c’est le seul qu’il jouait ; chaque jour passé à ses côtés, je l’ai entendu. Pouvez-vous le rejouer pour moi ?
— Bien sûr, bredouille l’inconnue, encore gênée.
Tillie lui fait signe d’avancer un grand fauteuil en orme près du tabouret. Elle veut voir les mains sur les touches, capter les vibrations du corps, sentir la chaleur du souffle, s’approcher au plus près de la source intime qui jaillira et fera vivre ce chant aimé. Posées sur ses genoux, ses mains presque centenaires ne cessent de trembler. La jeune femme ajuste son assise, baisse la tête, ferme les yeux, inspire profondément, retient sa respiration avant d’expirer en trois temps, déjà son souffle épouse le rythme de l’Adagio. Alors, son majeur gauche vient à la rencontre du clavier et égrène six notes timides, son index le retrouve pour lui donner la force d’un accord, puis son petit doigt vient en renfort et offre à sa main droite l’élan nécessaire pour porter la mélodie. Le corps de Tillie s’est enfin immobilisé, son âme vibre à nouveau. Le morceau fini, les deux femmes écoutent les résonances du silence. Lorsque enfin elles se regardent, elles se rencontrent dans la sérénité d’un même sourire.
— Vous reviendrez, j’espère, dit Tillie. Xià, n’est-ce pas ? Je me souviens maintenant : Xià comme l’été, 夏. De toutes les réponses à l’annonce que nous avons passée, je n’ai retenu que la vôtre. C’est votre parcours qui m’a intriguée, il y avait une brisure… si rare…
La vieille dame marque une longue pause avant de reprendre sur un ton moins évasif :
— Je suis désolée, je ne me suis même pas présentée, je suis Mathilda mais tout le monde m’appelle Tillie. C’est moi qui ai fait mettre l’annonce pour trouver un pianiste pour mon Steinway. Je ne peux plus jouer, vous comprenez…
Elle montre ses mains tremblantes, soupire longuement avant d’ajouter :
— Venez quand vous voulez, ma porte vous sera toujours ouverte.
— Madame, vous êtes sûre ? répond Xià, incrédule. Vous ne voulez pas m’entendre jouer un autre morceau ? Vous savez, cela fait longtemps que j’ai arrêté, peut-être que je n’ai plus le niveau…
— Peu importe le niveau, vous avez l’envie ! C’est de cela dont j’ai besoin. Excusez-moi, je suis très fatiguée, je dois m’allonger. Revenez vite, c’est tout ce que je vous demande.
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