Citations sur La ville des prodiges (24)
Et si ça a effectivement été un malfaiteur, qu'est-ce que ça peut faire? disaient-ils: parce qu'il y a, peut être, une autre issue, par les temps qui courent, dans ce pays?
La cause qu'il défendait n'était pas une entreprise dans laquelle on entrât pour faire carrière: c'était un idéal pour lequel il fallait tout sacrifier sans rien attendre en échange, sans réclamer de compensation ou de reconnaissance. Cet apparent idéalisme, raisonnait à par lui Onofre Bouvila, est ce qui permet de se servir des gens sans se soucier de leurs intérêts légitimes, sans s'occuper de leurs besoins; tout paraît bon à ces fanatiques, qui sert la révolution.
Avant cette époque, le temps dont était faite la vie d'un être humain n'était pas mesuré....À présent, tout cela avait changé: tous les jours, on commençait à travailler à la même heure, on arrêtait le travail à la même heure. Il n'était pas besoin d'être augure pour savoir comment seraient les jours et les heures de la vie d'une personne, de l'enfance à la vieillesse; il suffisait de savoir à quoi elle travaillait, quel était son métier.
La grande guerre n'avait pas encore eu lieu, et les armes conservaient quelque chose de décoratif. Dans un poème composé pour l'occasion, Frederico Rahola synthétise cette idée de la façon suivante:
"La canonnade sauvage
Fait frisonner la terre.
Ce sont les monstres de la guerre
Qui à la paix rendent hommage?"
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Un mois après l’exécution d’Odón Mostaza, Onofre Bouvila demanda de nouveau la main de sa fille Margarita à don Humbert Figa i Morera, qui cette fois la lui accorda immédiatement et sans réticence.
– En quoi consiste le travail ? demanda Onofre.
– À faire ce que je dis, répondit don Humbert Figa i Morera, et à ne pas poser de questions hors de propos. La police est au courant de tes activités. Sans ma protection, tu serais déjà en prison. Tu n’as pas le choix : tu travailles pour moi ou tu en prends pour vingt ans.
Il travailla pour don Humbert de 1888 à 1898, l’année où l’on perdit les colonies.
La vérité était qu’Onofre ne dépensait pas parce qu’il ne savait pas à quoi le faire, et qu’il n’avait personne qui pût lui apprendre à dépenser, ni aucun motif pour cela.
Onofre Bouvila remit tout ce qu’il possédait à la señora Agata. Cela lui faisait une semaine payée, mais il n’avait plus un sou en poche. Le lendemain matin, à la pointe du jour, il se jeta dans la rue à la recherche d’un emploi.
De temps en temps, et comme si quelqu’un l’en eût instamment prié, il jetait le journal et s’exclamait : « Je vais voir quel temps il fait. » Il sortait dans la rue et scrutait le ciel. Puis il rentrait, et annonçait : « Dégagé », ou bien : « Nuageux, frisquet », etc. On ne lui connaissait pas d’autre activité.
(...) "J'ai peur, maman. - Ça va, dit-elle en abandonnant son air irascible, reste si tu veux, mais pas dans mon lit. Tu ne vois pas que j'ai de la compagnie ?", ajout-t-elle en portant son index à ses lèvres et en désignant ensuite un homme qui ronflait à ses côtés et qui n'était pas, soit dit en passant, mon père le garde forestier, (...) moyennant quoi je m'étendis sur la natte, au pied du lit, et je me mis à compter les pots de chambre que je pouvais voir de là.