Eisenbraun's, éditeur américain spécialisé dans les études sur l'ancien Orient, a publié en 2011 la seconde version, augmentée, repensée et corrigée, du livre de Piotr Michalowski sur l'un des premiers recueils de lettres jamais parvenus jusqu'à nous, celles des rois sumériens de la dynastie d'Ur III, au XXII°s avant notre ère. Le texte sumérien a été transmis en des copies postérieures de quelques siècles, car on a longtemps étudié ces lettres dans les écoles mésopotamiennes.
Quel est l'intérêt de cet ouvrage pour le lecteur curieux du XXI°s après Jésus-Christ ? Le simple fait que ce livre n'a pas été traduit en français, montre clairement qu'aucun public n'est prévu pour lui en France par les éditeurs et décideurs culturels. Je me bornerai à signaler les bienfaits que cette lecture peut apporter à qui lit l'anglais.
Il fournira bien sûr une connaissance historique sur le premier état "centralisé" au monde, celui d'Ur III, plus encore que l'état pharaonique du Moyen-Empire qui était son contemporain, car ses frontières sont plus étroites et le contrôle plus facile. Michalowski confronte brillamment les documents d'époque dont nous disposons et les études historiques faites depuis un siècle sur "l'effondrement" du royaume d'Ur III sous les coups d'envahisseurs barbares. Il semblerait que les historiens modernes aient pris pour argent comptant des chroniques et des textes de propagande écrits bien après et à de tout autres fins que de raconter le passé. Ensuite, l'auteur étudie en profondeur les enjeux littéraires d'un nouveau genre d'écrit, la lettre, dans la perspective de la naissance du roman épistolaire, de la chronique et de l'école : ces lettres, réécrites, furent des textes-modèles à étudier dans les "universités" akkadiennes pendant plusieurs siècles. Enfin, il se livre à une analyse détaillée des relations entre les correspondants et leurs rois, afin de reconstruire, autant que possible, les événements et les personnes concernés par les lettres. Les textes viennent ensuite, en sumérien translittéré et en traduction. On a accès aux photographies des tablettes originales dans un cd joint au livre. Ma seule réserve concerne la rareté des commentaires grammaticaux du texte, ce qui exige de l'amateur de gros efforts d'analyse pas toujours couronnés de succès.
En somme, ce beau livre n'est pas fait pour le grand public au sens large, mais il n'est pas non plus réservé à une petite minorité de spécialistes. On peut s'intéresser à l'histoire, ou seulement aux lettres, ou seulement à la langue, et tirer un grand profit de cette lecture.
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(Sur deux récits sumériens racontant l'invention de l'écriture, de la lettre et de son enveloppe). On ne peut fixer la date originelle à laquelle ces deux textes littéraires furent composés, mais il ne parait pas accidentel qu'ils nous viennent de l'époque même où les lettres devinrent littérature - c'est-à-dire, quand le genre épistolaire est étendu et reformulé par son insertion dans le monde de l'écriture, où l'attention se porte sur les mécanismes mêmes du langage et du discours.
p. 21 (traduit)