IL N'Y A PAS DE COLLAPSOLOGIE HEUREUSE
"Développement durable", "Transition énergétique", "Croissance Verte", "Commerce Équitable", "Actionnariat Éthique"... Qui, parmi d'autres de ces expressions nées ces dernières années et pétries de belles et bonnes intentions, n'a entendu, vu, lu celles-ci, parfois répétées à l'envi comme des mantras d'un genre nouveau, comme si, à elle seules, elles allaient nous sauver de l'entropie, de cette fameuse nouvelle période dans la longue histoire de la Terre : l'anthropocène ; de son cortège de bouleversements climatiques, de réchauffement moyen global de la planète, de pollution généralisée, de fin annoncée des ressources, de fonte des glaces et de hausse du niveau des mers, d'excès de carbone dans l'atmosphère, d'effet de serre, de destruction sans fin ni rémission ni retour de la biodiversité, etc, etc, etc ?
Ces expressions, souvent rassurantes et même lénifiantes, parfois sincèrement exprimées par certains de leurs promoteurs (les plus naïfs et/ou les moins informés), ont non seulement une origine principale - le monde industriel et financier - mais, surtout, ont un but massif : nous faire prendre des vessies pour des lanternes ! Par exemple, ce fameux "développement durable", dont la presse et l'essentiel du public aura retenu qu'il est apparu à l'occasion du rapport Brundtland intitulé "Notre avenir à tous" (en 1987), massivement repris au Sommet pour la Terre de Rio, serait en fait l'enfant monstrueux d'un de ses membres les plus éminents, un certain
Maurice Strong, canadien très peu connu du grand public quant à lui, et qui fut l'un des plus grands entrepreneurs que la terre ait porté en matière d'industrie pétrolière (entre autres choses dans cycle du grand salopage de la Planète), tout en maintenant au fil de son existence (il est décédé en 2015) un lien très fort avec les instances onusiennes qu'il noyauta avec assiduité. Je tiens cependant à préciser que cet exemple n'est pas cité dans l'ouvrage que nous chroniquons ici mais qu'il me sert d'illustration tirée de mes lectures quant à ce qu'avance l'auteur dans ce texte essentiel *.
En effet, nous explique ainsi
Vincent Mignerot dans
L'énergie du déni, essai aussi court que dense, d'où qu'on se place, dans quelques direction que l'on se tourne, ces histoires de transitions énergétiques sont des leurres car, contrairement à ce que la belle usinerie marketing pourrait laisser songer, les énergies renouvelables (ainsi que le nucléaire, qui est à mettre dans le même "sac" que les précédentes en ce sens que ce sont des ENS, les énergies dites de substitution, a contrario de la triplice infernale, charbon, pétrole, gaz qui sont des énergies dites primaires, c'est à dire presque immédiatement utilisables et ne nécessitant par ailleurs pas d'une technologie particulièrement avancée pour être mises en oeuvre. Ce qui n'est pas le cas des ENS ce qui, de facto, élimine de leur mise en oeuvre systématique les pays et régions du monde moins avancées économiquement et technologiquement que, pour aller vite, l'occident, premier "hic" s'il en est) n'ont eu de cesse, depuis qu'elles sont mises à contribution dans ce qu'on nomme "le mixe énergétique" de provoquer encore plus d'émission de carbone dans l'atmosphère, et pas seulement en raison des modes de production de ces énergies alternatives ! Ainsi, et d'une manière parfaitement "contre-intuitive" comme il est d'usage de le dire aujourd'hui, nucléaire, solaire et éolien ont été plus néfastes dans l'augmentation globale du CO2 de notre atmosphère que s'ils n'avaient pas existé puisqu'ils ont permis d'extraire, de produire et d'utiliser mieux et plus d'énergies primaires que si ces même ENS n'avaient jamais été développées !
Ainsi les grandes sociétés liées à l'extraction sont elles presque naturellement passées d'un moment où elles n'exploitaient généralement qu'un seul type de ressource à celui que nous connaissons actuellement où l'on voit, par exemple, toutes les enseignes de l'industrie pétrolière se vêtir d'un nom au goût plus que douteux, parfaites illustrations de "greenwashing". Ainsi pour Total - la plus connue chez nous mais pas forcément la plus puissante dans le monde, ce qui ne la dédouane en rien - qui est subitement devenue et avec le plus grand cynisme "Total Energies", tandis que, les chiffres à l'appui sont terribles, la part du capital annuel investi dans ces fameuses énergies renouvelables au sein de ces compagnies au poids économique, écologique et social absolument invraisemblable (et qui ne paieront JAMAIS le coût écologique incommensurable de leurs errements passés, présents ou à venir, soyons en assurés) en représente moins de 1% du total et, elles l'ont par ailleurs affirmé (l'info est parfaitement trouvable sur le net sur le site tout à fait officiel qu'est l'IEA), n'ont pas moindrement l'intention de rapprocher leurs volontés "vertes" des critères de l'accord de Paris ! Bien sûr, tout cela relève du plus sordide et honteux greenwashing - pratiqué tout à fait uniment tant par les banques d'investissement, les grandes compagnies d'assurance que les industries ou encore des mesures politiques très largement éloignées de ce qui devrait être promu (n'oublions pas la surpuissance des lobbies de ces secteurs), mais le terme étant défaillant à y changer quoi que ce soit,
Vincent Mignerot propose de lui en substituer un autre, sans doute plus en phase avec la réalité du moment : celui de "collapswashing", c'est à dire ce qui serait nécessaire pour qualifier «tout récit trompeur qui omettrait ou invisibiliserait les effets sur le milieu et sur d'autres humains des stratégies liées à l'obtention ou la conservation d'avantages adaptatifs par ceux qui en bénéficient, alors qu'il serait possible d'attester que ces avantages ont des effets négatifs dans l'immédiat ou à terme sur le milieu ou sur d'autres humains.» Bien entendu, il ne s'agit là que d'un mot. Mais il faut toujours avoir en tête qu'on ne peut comprendre, critiquer, éventuellement combattre, que ce que l'on peut et sait nommer.
Petit livre tout à la fois terrible et salutaire, d'une densité qui pourra en rebuter d'aucuns : il passe ainsi en revue tout aussi bien les aspects purement scientifiques quant à ce que l'on sait de l'Énergie, de sa production, ses évolutions techniques, que ses acteurs économiques, industriels, financiers, politiques en jeu, des répercussions mondiales de notre économie presque exclusivement carbonée, des ressorts liés à ce fameux "greenwashing", des fables que l'humanité quasiment dans son ensemble tâche de se raconter depuis l'émergence des ENS consécutivement à la prise en considération des bouleversements climatiques et écologiques en jeu, du déni tant individuel que collectif, tant élitaire que populaire quant à ce qui touche au fondement même de notre système globalisé - à quelques rares exception près - d'existence. Loin de toute collapsologie heureuse (celle qui vendrait une fin de cycle finalement pas si tragique, pourvu que l'on s'y soit préparée), cet essai,
L'énergie du déni n'annonce certes rien de bon et les esprits invariablement optimistes pourront d'évidence lui reprocher ou bien de ne voir que le verre à moitié vide, ou bien d'être parfaitement démobilisateur. Quant à nous, nous l'estimons avant tout essentiel, parfaitement limpide et clairvoyant dans ses conclusions - malgré des attendus parfois tellement enchevêtrés les uns aux autres qu'il est parfois ardu d'en suivre le fil - et dénué de ce cynisme des uns ou de cette niaiserie des autres dont les résultats sont, paradoxalement assez identiques et que la célèbre phrase du roman de
Giuseppe Tomasi di Lampedusa,
le guépard, résume cruellement, lucidement ainsi : «Pour que tout change, il faut que rien ne change.»
À tout seigneur, tout honneur, remercions en premier lieu les excellentes éditions Rue de l'échiquier, qui creusent leur sillon dans plusieurs domaines, tels que celui, crucial, de l'Écologie mais que nous avions déjà eu le bonheur de découvrir grâce à un véritable et noir chef d'oeuvre de la Bande Dessinée coréenne,
Un matin de ce printemps-là, de
Park Kun-woong (à la suite duquel nous n'avions pu résister au bonheur de commander et de lire le poignant
Mémoires d'un frêne, du même auteur, et que nous ne pouvons que conseiller aux lecteurs curieux au coeur bien accroché), remerciements doubles quant à cette Masse Critique non-fiction puisque l'ouvrage était accompagné d'un fort sympathique agenda, ce qui n'était absolument pas attendu ! Merci, bien entendu, à notre site de lecture, de lectrices et de lecteurs en ligne pour l'organisation de ces véritables fêtes du livre mensuelles que sont ces mêmes Masses Critiques !
*Source : https://fabrice-nicolino.com/?p=1256