Chien de Printemps de
Patrick Modiano nous rappelle qu'un écrivain c'est d'abord un regard personnel sur la vie " qu'il doit se fondre dans le décor "P113, ce roman nous ouvre les clés du regard de
Modiano sur les gens et sur le monde.
La construction de ce texte nous en dit beaucoup sur l'écriture de
Modiano, sur sa façon de construire une intrigue et de donner du sens à une histoire, mieux que bien des interview ou des critiques universitaires, et constituer me semble t-il la matière de ses fictions si imprégnées de choses vues," pas une seule silhouette aux fenêtres" P110 ...
C'est un regard qui se pose sur les lumières ou sur les ombres, sur les objets posés là comme sur les absences et les choses dérobées, « il ne restait plus qu'une tache de couleur pâle à la place de la photo de
Robert Capa ».
Le narrateur se remémore, trente plus tard, sa rencontre avec le photographe Francis Jansen, qui a fréquenté
Robert Capa, photographe bien connu, et reporter pendant la guerre.
Ce duo est disséqué dans "
Chien de Printemps", dialogue incessant entre l'écrivain et le photographe " il aurait trouvé tout cela trop bavard".
Autant de photos qui semblent ne pas avoir vraiment d'intérêt, à 'image du romancier qui accumule un flot de paroles, de signes, de souvenirs.
Mais la puissance de la photo quand elle exprime l'indicible emporte le lecteur c'est aussi l'ambition de ce livre, nous faire toucher du doigt la force de l'expression de la lumière, du vide, des ombres," transparaissait un vide une absence"P111.
Il est étonnant que
Modiano se soit ainsi mis en scène, s'identifiant au photographe ami de Capa, ses yeux comme des lentilles photographiques, déclenchant les prises de vues pour le romancier, qui rebobinant les pellicules encore dissimulées à la lumière du jour, les garde dans sa mémoire en attente d'être tirées et révélées au lecteur.
Combien de photos son esprit a t-il stocké pour nous les montrer, un jour, au détour d'un événement pour qu'elles prennent sens, celui que le romancier va pointer juste au bon moment.
C'est à la fin du livre que l'on parcourt la centaine de photos qui composent Neige et Soleil, et que
Modiano nous en dévoile le sens :
" A mesure que je tournais les pages, je ressentais de plus en plus ce que Jansen avait voulu communiquer et qu'il m'avait mis gentiment au défi de suggérer moi aussi avec les mots: le silence."
Silence de Francis Jansen libéré de Drancy, qui ira en vain rassurer les habitant du 140, il trouvera l' immeuble vide là où vivait la famille de son camarade et de son amie.
Ce silence est latent et nous revient en mémoire cette autre phrase "Il m'a dit qu'au bout d'un certain nombre d'années nous acceptons une vérité que nous pressentions mais que nous nous cachions à nous-même par insouciance ou lâcheté : un frère, un double est mort à notre place à une date et dans un lieu inconnus et son ombre finit par se confondre avec nous".
Ce dernier silence des destinées croisées de Jansen et de
Modiano,
Modiano qui a perdu son frère à 8 ans, il le pressentait avant de le savoir, Jansen est imprégné aussi par une ombre on le découvre à la fin du livre.
En relisant ce texte lu par Édouard Baer on est saisi par la fluidité des phrases et des messages insolites parfois qui nous hantent et reviennent .Ce roman est comme une initiation à l'observation des êtres et des choses de la vie, à l'art de la la photo.
Le défi de « suggérer le silence » avec les mots devient au fil des pages une réalité obsédante.
Dénouer le fil de ses errances m'aura encore une fois apporté un plaisir unique de lecture.