Citations sur Souvenirs Dormants (75)
Paris, pour moi, est peuplé de fantômes.
Nous avions débouché sur cette rue très large qui borde les bâtiments modernes de l'Ecole normale supérieure et de l'Ecole de physique et chimie et qui vous donne l'impression d'être perdu dans une ville étangère... au point que vous vous demandez si vous ne marchez pas dans un rêve, et que vous finissez par douter de votre propre identité.
Je pourrais d'abord évoquer les dimanches soir. Ils me causaint de l'appréhension, comme à tous ceux qui ont connu les retours au pensionnat, l'hiver, en fin d'après-midi, à l'heure où le jour tombe.
Geneviève Dalarme aura été la dernière personne que j'ai connue à habiter dans une chambre d'hôtel. Il me semble qu'au cours de ces années 1963, 1964, le vieux monde retenait son souffle avant de s'écrouler, comme toutes ces maisons et tous ces immeubles des faubourgs et de la périphérie que l'on s'apprêtait à détruire. Il nous aura été donné, à nous qui étions très jeunes, de vivre encore quelques mois dans les anciens décors. A l'hôtel de la rue Monge, je me souviens de l'interrupteur en forme de poire, sur la table de nuit, et du rideau noir que tirait chaque fois d'un geste brusque Geneviève Dalarme, un rideau de la défense passive que l'on n'avait pas changé depuis la guerre.
Si l'on pouvait revivre aux mêmes heures, aux mêmes endroits et dans les mêmes circonstances ce qu'on avait déjà vécu, mais le vivre beaucoup mieux que la première fois, sans les erreurs, les accrocs et les temps morts, ce serait comme de recopier au propre un manuscrit couvert de ratures...
Au cours de cette période de ma vie, et depuis l'âge de onze ans, les fugues ont joué un grand rôle. Fugues des pensionnats, fuite de Paris par un train de nuit le jour où je devais me présenter à la caserne de Reuilly pour mon service militaire, rendez-vous auxquels je ne me rendais pas, ou phrase rituelles pour m'esquiver : « Attendez, je vais chercher des cigarettes... », et cette promesse que j'ai dû faire des dizaines et des dizaines de fois, sans jamais la tenir : « Je reviens tout de suite. »
Il me semble aussi qu'au cours de ces années 1963, 1964, le vieux monde retenait une dernière fois son souffle avant de s'écrouler, comme toutes ces maisons et tous ces immeubles des faubourgs et de la périphérie que l'on s'apprêtait à détruire. Il nous aura été donné, à nous qui étions très jeunes, de vivre encore quelques mois dans les anciens décors.
J'ai longtemps été persuadé que l'on ne pouvait faire de vraies rencontres que dans la rue.
Depuis l'enfance et l'adolescence, j'éprouvais une très vive curiosité et une attirance particulière pour tout ce qui concernait les mystères de Paris.
" Vous avez de la mémoire "...
" Oui, beaucoup... Mais j'ai aussi la mémoire de détails de ma vie, de personnes que je me suis efforcé d'oublier. Je croyais y être parvenu et sans que je m'y attende, après des dizaines d'années, ils remontent à la surface, comme des noyés, au détour d'une rue, à certaines heures de la journée".