Citations sur L'île d'Arturo. Mémoires d'un adolescent (21)
Les îles de notre archipel, là-bas, sur la mer napolitaine, sont toutes belles.
Leur sol est en grande partie d'origine volcanique, et, plus particulièrement dans le voisinage des anciens cratères, il y poussent des milliers de fleurs spontanées dont je n'ai jamais retrouvé les pareilles sur le continent. Au printemps, les collines se couvrent de genêts : lorsqu'on est en mer au mois de juin, on distingue leur odeur sauvage et caressante aussitôt que l'on approche de l'un de nos ports.
Au flanc des collines, vers la campagne, mon îles des petits chemins solitaires enfermés entre de vieux murs, par-delà lesquels s'étendent des vergers et des vignes qui ont l'air de jardins impériaux. Elle a plusieurs plages au sable clair et fin, et d'autres rivages plus petits, recouverts de galets et de coquillages, et qui se dissimulent parmi de grandes falaises. Dans des rochers escarpés qui surplombent l'eau, les mouettes font leur nid, les mouettes et les tourterelles sauvages, dont, surtout le matin de bonne heure, on entend la voix tantôt plaintive et tantôt joyeuse. Là, les jours de calme, la mer est tendre et fraîche, et elle vient se poser sur la rive telle une rosée. Ah! ce n'est ni une mouette ni un dauphin que je voudrais être : je me contenterais d'être un scorpène - lequel est bien le plus laid des poissons de mer - pourvu qu'il me soit permis de me retrouver là-bas et de jouer dans cette eau.
Ma maison n'est pas très loin d'une petite place presque citadine (ornée, entre autres choses, d'un monument en marbre) et des habitations groupées du village. Mais, dans ma mémoire, elle est devenue un lieu isolé, autour duquel la solitude crée un espace énorme. Elle est là, maléfique et merveilleuse, telle une araignée d'or qui aurait tissé sa toile iridescente au-dessus de l'île toute entière.
(Maintenant que tant de temps s'est écoulé, j'essaie de comprendre les sentiments qui, ces jours-là, commençaient à se chevaucher bizarrement dans mon cœur ; mais aujourd'hui encore, je m'aperçois que je suis incapable de distinguer leurs formes qui se mêlaient en désordre au-dedans de moi et n'étaient éclairées par aucune pensée. Dans mon souvenir, il me semble voir une vallée isolée et profonde, par une nuit couverte d'épais nuages : là-bas, dans cette vallée, une foule de créatures sauvages, des louveteaux ou des lions, a commencé, comme pour jouer, une mêlée qui devient grave et sanglante. Et pendant ce temps, la lune se déplace par-delà les nuages, dans une zone limpide, très lointaine.)
Mais non, au contraire, l'été aussi allait revenir immanquablement, semblable à l'été habituel. On ne peut pas le tuer, c'est un dragon invulnérable qui renaît toujours avec sa merveilleuse adolescence. Et l'affreuse jalousie qui me remplissait d'amertume, c'était la suivante : de penser à mon île de nouveau embrasée par l'été, sans moi !
Ainsi, Wilhelm Gerace venait de m'attirer dans son ultime piège. A la vérité, eût-il, pleinement conscient et intentionnellement, cherché le moyen le plus malicieux de me reprendre sous son charme, il n'aurait pas pu inventer un jeu plus perfide que celui dans lequel il venait de m'attirer à son insu ! Maintenant, veux-je dire, il m'apparaissait clairement que, dans ses pèlerinages à la Terre Murée, rien d'autre ne l'attendait qu'une honteuse solitude ; que, là-haut, il était mortifié et répudié comme le dernier des esclaves. Et à cette découverte, je ne sais pourquoi, mon affection pour lui, que je croyais étouffée et presque éteinte, se ralluma en moi plus douloureuse et plus dévorante, presque terrible !
Les livres qui me plaisaient le plus, il est inutile de le dire, étaient ceux qui célébraient, par des exemples réels ou imaginaires, mon idéal de grandeur humaine, dont je voyais en mon père l'incarnation vivante.
Les îles de notre archipel, là-bas, sur la mer napolitaine, sont toutes belles.
Leur sol est en grande partie d'origine volcanique, et, plus particulièrement dans le voisinage des anciens cratères, il y pousse des milliers de fleurs spontanées dont je n'ai jamais retrouvé les pareilles sur le continent. Au printemps, les collines se couvrent de genêts: lorsqu'on est en mer au mois de juin, on distingue leur odeur sauvage et caressante aussitôt que l'on approche de l'un de nos ports.
Ah, c’est un enfer d’être aimé par quelqu’un qui n’aime ni le bonheur, ni la vie, ni soi-même, mais qui n’aime que vous ! Et si l’on a envie de se soustraire à une telle tyrannie, à une telle persécution, elle vous appelle Judas ! (p. 152)
Maintenant je savais, avec une résolution extrême, que c'étaient là les dernières heures que je passais sur l'île ; et que le premier pas que j'allais faire au-delà du seuil de ma chambre serait pour m'en aller. C'est pour cela, peut-être, que je m'obstinais à rester enfermé dans ma chambre : pour retarder, de quelques heures au moins, ce pas irrémédiable et menaçant. p. 551
En même temps qu'allongeaient les soirées, j'avais repris l'habitude de lire et d'étudier à la cuisine, pour passer le temps en attendant l'heure du dîner ; mon livre préféré à cette époque était un gros atlas commenté par un abondant texte écrit. Ce volume contenait, pliées, d'immenses cartes géographiques que, chaque soir, m'agenouillant sur le dallage ou sur une chaise près de la table, je déployais devant moi. p. 292