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Critique de clesbibliofeel


Je fais la connaissance de Toni Morrison par ce titre Love, publié en 2003, alors qu'elle a acquis une notoriété internationale. A la lecture de ce livre, j'ai compris pourquoi cette autrice est dans la liste des très grands de la littérature américaine. D'emblée, je découvre un livre attachant et la perspective de lectures marquantes avec ses oeuvres plus connues, telles que Beloved, L'oeil le plus bleu, Home...

Des premières pages mystérieuses... Qui est cette femme qui fredonne dans ce premier chapitre en italique, jetant un tourbillon d'informations que l'auteur va prendre le temps d'éclairer, à son rythme, au rythme de la vie qui va, sur fond de jazz et de soul.

Au début du récit apparaît Junior, une jeune femme tout juste sortie de maison de correction après avoir été accusée d'un meurtre. Elle trouve un travail chez les Cosey. Deux femmes Heed et Christine vivent là dans une haine mutuelle et le souvenir du mari de Heed, Bill Cosey. Celui-ci est mort depuis une trentaine d'années – on est au début des années 1960 –, un homme puissant ayant connu la réussite à la tête d'un hôtel très prisé. le passé, le présent aussi, sont contés par petits bouts, formant une sorte de puzzle. le style de l'autrice et ma curiosité ont retenu mon attention jusqu'à obtenir des explications plus précises par celle qui est seulement nommée L. Il s'agit de la femme de service embauchée par le généreux et charismatique Bill Closey, celle qui a tout vu, tout connu du destin de chacun des membres de la famille. Ce sont les pages en italique, récit de cette fameuse L, insérées régulièrement en fin de chapitre, regard neutre et bienveillant sur cette étrange famille.

On sort de ce huis-clos familial étouffant avec le jeune Romen qui est employé pour des travaux de jardin à la maison Closey, celui qui va connaître une dangereuse histoire d'amour avec Junior.

Le récit se déroule dans le sud ségrégationniste simplement rappelé par de brèves allusions. On devine qu'il s'agit essentiellement d'afro-américains, encore que je ne suis pas sûr avec cette étrange Junior. Est-ce que cette jeune femme plus que délurée représente cet avenir où la couleur de peau est une histoire ancienne dont il n'est plus utile de parler ou simplement choix compréhensible de ne pas catégoriser ?

Ce qui m'a conquis sans réserve c'est la qualité du style, sa poésie envoutante.

Je dois avouer que j'ai peiné au début à m'y retrouver dans les personnages et les époques ! Avec le recul je comprends cette construction qui va du présent du récit, vers 1995, et remonte en recherchant les origines de chacun des personnages, telle une enquête compliquée. le ton est désabusé avec une impression de lassitude face à une époque moderne en profond décalage avec le passé – avec cette autrice, cela peut-être les temps très lointains des origines – des temps difficiles qui avaient parfois le goût du bonheur.

Le passé esclavagiste est suggéré, de même que la violence de la domination blanche. Ils sont là à travers les rapports conflictuels au sein de cette famille dont le patriarche a réussi financièrement. Pas un héros mais un homme bon et monstrueux à la fois, qui laisse à sa mort un entourage près à s'entretuer pour les blessures passées et l'héritage. Chaque génération a ajouté à la précédente mais les situations ont évolué sans que chacun puisse réellement prendre sa vie en main. La peur de l'autre, la haine, tout comme l'amour, semblent incrustées dans la peau de chacun pour longtemps. On est là dans les conséquences de l'esclavage et dans la violence inouïe de cette histoire Etatsunienne, traversant les époques depuis la conquête par la guerre de ces immenses territoires, on sait de quelle horrible façon.

Je suis heureux de lire enfin cette autrice qui aborde avec tant de force et de poésie cet aspect essentiel de la réalité américaine : la violence sociale (vis-à-vis des noirs mais pas seulement...) et ses conséquences durables.
Présence des morts, fantômes, viols, meurtres, violence verbale (sauf avec Romen) forment un tourbillon de récits hallucinés. Autant dire que les tensions et frustrations sont plus au rendez-vous que l'amour du titre, apparaissant bien peu ici.

Les neuf chapitres portent un nom attaché à la figure de William (Bill) Cosey : le portrait, l'ami, l'inconnu, le bienfaiteur, l'amant, le mari, le gardien, le père, le fantôme... Je vois dans le récit de L, la voix de l'autrice et dans ce roman une évocation des figures paternelles.

Toni Morrison, de son vrai nom Chloe Anthony Wofford, est née en 1931 dans l'État de l'Ohio aux États-Unis. Après des études de lettres et une thèse sur le thème du suicide dans l'oeuvre de William Faulkner et de Virginia Woolf, elle fait une carrière de professeur aux universités de Texas Southern, Howard, Yale et Princeton. Elle travaille ensuite comme éditrice chez Random House, spécialisée en littérature noire. Toni Morrison est ainsi à l'initiative de la publication des autobiographies de Mohamed Ali et d'Angela Davis. En 1988, elle obtient le Prix Pulitzer pour son roman Beloved qui la rend célèbre. En 1993, elle reçoit le Prix Nobel de littérature pour l'ensemble de son oeuvre. Elle meurt le 6 août 2019, à l'âge de 88 ans.

Lien : https://clesbibliofeel.blog
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