Sebastian O

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute. Il reprend les 3 épisodes, initialement parus en 1993, écrits par Grant Morrison, dessinés et encrés par Steve Yeowell, et mis en couleurs par Tatjana Wood. Yeowell & Morrison avaient déjà collaboré pour Zenith (1987-1992).

Le recueil s'ouvre avec une chronologie établie par Grant Morrison, sur 3 pages. En 391, un incendie détruit la bibliothèque d'Alexandrie, mais des textes révélant les secrets de l'Ancien Monde sont préservés et stockés à Rome. En 397, le soldat Stilicho, un vandale, supervise le massacre d'Alaric et des Goths en Grèce. En 590, le pape Gregoire premier unifie l'église, l'état et l'empire au Vatican. (…) En 1839, Kirkpatrick MacMillian, un forgeron écossais, invente la première bicyclette informatisée. 1867 : naissance de Sebastian O'Leary, dans une petite pièce d'une maison, un dimanche à Donegal. Il est surnommé l'enfant miraculeux doré. 1868 : mort de Eamon O'Leary, le père de Sebastian. 1868 : Alice O'Leary se remarie avec le capitaine Peter Stronzoli qui décide d'inscrire Sebastian dans l'armée des Enfants. 1875 : Stronzoli vend Alice O'Leary à des esclavagistes blancs, et il envoie son fils dans un atelier de travail de mineurs. (…) 1883 : Sebastian O détourne des fonds de son école pour publier son recueil de poèmes intitulé Hymnes à moi-même. En 1886, son nouveau recueil Petit-déjeuner avec Belzébuth est jugé impubliable. du coup, il se reconvertit en assassin gentleman aux doigts de fée. Par la suite, il hérite d'une demeure mécanique fort étrange, il aide à l'arrestation de du tueur de Whitechapel. Il fréquente la haute société et organise des orgies décadentes chez lui. Il fonde le club du Paradis Artificiel, avec L Abbé, George Harkness, Arnold Truro et Théo Lavender.

Cela fait quatre ans que Sebastian O'Leary est enfermé dans l'institution de l'hôpital de Bethlehem, surnommé Bedlam, un asile s'apparentant à une prison. Deux gardes effectuent leur ronde pour vérifier la présence des prisonniers. le plus jeune se renseigne sur Sebastian O que le plus expérimenté qualifie d'artiste de l'évasion. le plus ancien appose sa main sur le panneau de lecture des empreintes digitales pour pouvoir passer dans l'aile suivante de l'asile. Il évoque le livre obscène écrit par Sebastian O, et son incarcération avec Arnold Truro dans le même établissement, Truro étant décédé depuis. le jeune garde jette un coup d'oeil par le judas dans a cellule de Sebastian O : il n'y a personne. L'autre garde pénètre dans la cellule tout en demandant au jeune de rester à l'entrée. Au bout de quelques instants, n'entendant pas de bruit, il pénètre à son tour dansa cellule. Un peu plus tard, Sebastian O en sort, en ayant revêtu l'uniforme d'un garde. Il passe également la porte de séparation en appliquant la main sur le détecteur. Il continue d'avancer dans les couloirs d'un pas assuré, quand il se fait interpeler par un autre garde. Démasqué, il lui jette la main coupée du garde expérimenté. Dans sa demeure, Théo Lavender reçoit un appel de la reine mère qui lui demande de gérer l'évasion de Sebastian O de manière à ce que ça ne devienne pas un scandale.

Début des années 1990, l'entreprise Disney a l'idée de développer une ligne de comics pour adultes, appelée Touchmark. Elle confie ce projet au responsable éditorial Art Young qui emmène ces séries chez Vertigo, Disney ayant changé d'avis entre temps. C'est ainsi que
3 histoires sortant de l'ordinaire sont publiées par Vertigo : Enigma de Peter Milligan & Duncan Fegredo, Mercy de John-Marc DeMatteis & Paul Johnson, et Sebastian O. Cette dernière est une histoire assez courte en 3 épisodes, mais avec une chronologie en texte de 3 pages, dans laquelle Grant Morrison relate les faits qui ont conduit au développement d'une technologie steampunk bien implantée à la fin des années 1890, et raconte la vie de Sebastian O'Leary, en particulier ses voyages et ses séjours dans des institutions ou des régions du globe où il acquiert des compétences sortant de l'ordinaire. À lire ces 25 entrées chronologiques, le lecteur se dit qu'il y a matière à autant de miniséries pour raconter ces résumés de 4 ou 5 phrases. La bande dessinée commence par un dessin en pleine page, accompagné par un copieux cartouche de texte. Steve Yeowell donne une idée de l'architecture fortement influencée par les techniques industrielles. Grant Morrison s'amuse avec un texte littéraire sous-entendant la tendance voyeuriste du son lecteur.

Le lecteur fait ensuite connaissance avec Sebastian O'Leary, le temps qu'il s'évade de sa cellule. C'est un individu qui n'hésite pas à tuer, à sectionner un membre (une main), qui fait montre d'une solide assurance pour se promener dans les couloirs, juste déguisé avec un uniforme. Par la suite, il fait la preuve de son absence de remords à tuer, et de ses compétences en termes d'assassinat rapide et efficace. Il manie avec la même précision élégante les armes à feu et les armes blanches. Il s'avère être athlétique, sans force surhumaine, toujours dans des mouvements gracieux. À peine rentré chez lui, sa première préoccupation est d'enfin prendre un bain, et de pouvoir se changer pour une tenue plus élégante, originale et bien sûr appropriée à la situation. le dessinateur se charge de concevoir ces tenues : un beau costume mauve chic et simple avec un gros noeud papillon blanc, un beau costume beige, et enfin un beau costume taupe. Sebastian O se doit d'être raffiné, légèrement décalé par rapport à la mode en vigueur, avoir une allure précieuse, originale et recherchée, et un langage choisi. Il est à la fois l'incarnation d'une frivolité arrogante et d'une forme de révolte contre l'ordre établi. L'artiste s'emploie à donner à voir ces caractéristiques : les postures affectées de Sebastian O, parfois maniérées, la décoration précieuse de sa demeure, et la tenue risquée de ses femmes de chambre. Il insuffle ces mêmes éléments de dandysme dans d'autres personnages : la veste de velours boutonnée strictement de Théo Lavender, la délicatesse exquise des fleurs mécanique de l'Abbé, et sa robe ouvragée, le chic de l'habit de chasse de George Harkness et la magnifique robe de sa compagne Amanuensis.

Pour créer son personnage, Gant Morrison a indiqué qu'il s'était inspiré d'Aubrey Beardsley (1872-1898) graveur et illustrateur britannique, dans le mouvement Art Nouveau, dandy aux productions jugées grotesques et décadentes à l'époque, mais revues après coup comme constituant une critique de la société victorienne. Pour autant, le scénariste ne se contente pas de promener son personnage de situation décadente en affrontement avec du style. L'histoire repose bien sur une intrigue : dans cette réalité divergente steampunk, une personne s'en prend aux membres du club du Paradis Artificiel, et Sebastian O est déterminé à découvrir qui et pourquoi. Son enquête l'emmène du centre de détention pour fous de Bedlam, à un voyage en train vers Londres, en passant par la propriété privée mécanisée de l'Abbé, et au cottage élégant de George Harkness. Steve Yeowell sait rendre compte des volumes de ces différents lieux, les personnaliser avec des meubles et des accessoires d'époque, et les rendre habités par la personnalité de son propriétaire. le lecteur peut se projeter dans ces différents endroits et laisser son regard s'y promener, avec des traits de contour un peu cassants, et un bon niveau de détails.

Le lecteur suit donc Sebastian O qui commence par se refaire une beauté, en tout cas par prendre un bain chez et retrouver une apparence humaine, enfin de dandy avec une tenue correcte. Il ne peut pas s'empêcher d'admirer cet individu un peu hautain et suffisant envers le commun des mortels, se comportant avec la nécessité de relever le niveau par son élégance et son niveau d'exigence envers lui-même. Il est également impressionné par ses talents à survivre à des attaques diverses et variées, et à progresser grâce aux éléments d'information qu'il récupère progressivement. le lecteur sourit en découvrant que la vengeance de Sebastian O le conduit à devenir paradoxalement le défenseur de l'ordre établi, de la couronne en particulier. Grant Morrison réussit son exercice de style : une variation de dandy à l'époque victorienne, avec quelques petites piques sur la pédophilie des prêtres et l'homophobie irrationnelle. le lecteur se laisse prendre au jeu de cette fiction, tout en remarquant que l'auteur n'arrive pas à ciseler ses dialogues et à les nourrir de bons mots, comme seul savait le faire Oscar Wilde (1854-1900).

Vraisemblablement, seul un amateur de Grant Morrison peut avoir la curiosité de s'intéresser à cette histoire à la genèse peu probable (jamais Disney n'aurait pu publier cela). Il découvre une histoire bien ficelée, entremêlant l'époque victorienne, avec de la rétro-fiction de type steampunk, et un personnage principal ayant fait de nombreuses expériences qui l'ont amené à dépasser la dichotomie morale entre le bien et le mal. Steve Yeowell réalise des dessins marqués d'une forme de préciosité, en cohérence avec l'histoire, suffisamment nourris de détails historiques. le lecteur en ressort le sourire aux lèvres, content d'avoir bénéficié d'un divertissement original, bien qu'un peu court et gratuit.