Nous le savons, la Renaissance italienne marque la transition entre le Moyen Âge et l'Époque moderne en Europe. Cette transition est visible, avec le recul de l'histoire, dans les domaines économiques, politiques et culturels. Son héritage historique est celui d'un phénomène de type ‘Révolution culturelle', vécue avant tout par la noblesse et la bourgeoisie fortunée. L'époque est connue pour son retour vers la culture classique antique après ce que les humanistes de la Renaissance nommaient l'Âge sombre. Mais cet âge sombre et les conditions matérielles difficiles de la majorité de la population n'avaient pas beaucoup évolué au cours des 14è et 15è siècles, que l'on appelle encore le Quattrocento et le Cinquecento. Les changements ne se produisent donc que dans les plus hautes couches de la société, même si l'essor de la bourgeoisie marchande, avec ses innovations dans la banque et le commerce, a permis d'élargir l'accès à la prospérité pour la première fois depuis la chute de l'Empire romain, presque mille ans plus tôt. Tout au cours de cette période de la Renaissance, et plus précisément dans celle la Haute Renaissance, on ressent la tension forte entre l'Eglise et les nouvelles couches prospères, émergentes avec leurs idées humanistes qu'ils relient à la culture classique antique
De Grèce et de Rome d'avant l'ère chrétienne. le haut symbole de ce conflit est l'arrivée au pouvoir à Florence du moine austère Savonarole en 1497 lors d'une répression généralisée de la laïcité et de l'indulgence de la Renaissance. Après son tristement célèbre Bûcher des vanités de 1497, Savonarole devient à son tour victime de l'inquisition. Mais la tension perdure.
Je rappelle cet épisode charnière de l'histoire Européenne, d'abord car je crois toujours à l'importance de la contextualisation, puis, il me semble que cet aspect manque au beau livre de
Rénée Mulcahy. Beau car y figurent de nombreux tableaux exceptionnels et quelques sculptures créés, grosso modo, entre 1450 et 1550, le plus souvent dans le Florence des Medici. Les oeuvres de cette époque étaient commandées soit par l'Eglise, soit par les humanistes riches et puissants dans le sillage des Médicis. Celles destinées à l'Eglise ne figurent pas dans ce livre car un soupçon de message secret pourrait coûter cher à l'artiste. Mais les commanditaires férus de culture classique attendaient autre chose et ce livre l'illustre parfaitement. Les postures de personnages, les doigts qui pointent, les pieds qui se touchent, les regards par-dessus l'épaule, une main ou un pied cachés et tant d'autres détails vont régaler le lecteur et changeront à jamais son regard sur l'art de cette époque.
Renée Mulcahy insiste beaucoup sur l'influence de Mithra, dieu romain avec des origines qui remontent très loin à la déité védique Mitra, qui avait inspiré un culte religieux romain secret et vaguement dissident à son époque. La notion de Fraternité entre membres des métiers de l'architecture et de l'art, voire jusqu'à certains laïcs puissants autour des Médicis, est la toile de fond de cette pratique de messages cachés qui insiste sur le silence et la solidarité des membres. On frôle l'univers du code Da Vinci, la franc maçonnerie et autres visions plus ou moins comploteuses de l'histoire. Mais le texte et les abondants exemples restent ancrés dans les grandes oeuvres sélectionnées et on sent qu'il va falloir retourner à la Galerie des Offices à Florence, car tant choses nous ont échappé la première fois ! Qui ne s'est jamais interrogé sur la composition, les regards croisés, les mains expressives des tableaux de cette époque ? Ils s'y cachent tant de choses et ce livre nous invite à nous y pencher de nouveau.