Certaines grosses tortues vivent parfois près de deux cents ans. Elles sont contemplatives, passent la plupart de leur temps à dormir et restent immobiles pendant si longtemps qu'on les confondrait presque avec des minéraux.
Alors que je portais nos achats dans deux sacs en toile canevas, elle courait sur le trottoir devant moi en écartant les bras au milieu des feuilles d'or qui tombaient en planant autour d'elle. Son sourire était à tomber. Comme je l'avais déjà remarqué, elle pouvait être parfois très attachante.
Il faisait déjà froid en ce début d'automne mais le ciel était magnifique et, en longeant Central Park West en cette saison, on pouvait admirer les arbres dont les feuilles étaient en train de prendre une jolie teinte dorée.
Puis, elle m'entraîna dans les luxueux magasins de lingerie de la 5e Avenue, me demandant tour à tour un avis éclairé sur un déshabillé pastel, une nuisette de dentelle blanche ou un ensemble en coton couleur prune. Et je dois bien avouer que c'est non sans plaisir que je la suivis à travers ces boutiques à l'intérieur desquelles les vendeuses nous prenaient immanquablement pour un couple très amoureux.
En début d'après-midi, nous sortîmes faire des courses au Chelsea Market, une galerie marchande de la 9e Avenue où les grossistes alternaient avec d'élégantes petites boutiques d'alimentation. Comme nous commencions à avoir faim, elle m'emmena manger des "petits-suisses" chez Périgord Attitude, un salon de thé tenu par des Français dans lequel nous dénichâmes aussi des "french kisses" -- de formidables pruneaux en forme de coeurs, marinés à l'armagnac et remplis de foie gras -- que nous dévorâmes tout en buvant un café parfumé à la noisette.
-- L'année dernière, j'ai claqué 20 000 dollars dans une robe de soirée sur mesure d'une grande marque italienne, se vanta-t-elle. Je n'ai ressenti aucun état d'âme, aucune culpabilité, aucun scrupule, rien qu'une formidable revanche sur la vie car, si je n'ai jamais été pauvre, je ne suis pas née riche.
Seule me manquait peut-être la luminosité intense de l'Atlantique qui éblouit la ville certains jours. Cette lumière bleu acier très particulière qui donne un vernis éclatant à Manhattan et régénère ses habitants.
Je n'ai jamais fait partie des accros de Big Apple qui ne jurent que par la 5e Avenue, les yellow cabs ou les Twin Towers. Je ne regrettais ni le rythme accéléré que peut prendre la vie là-bas ni le cri des sirènes de police qui déchire la nuit et donne l'impression de vivre dans un climat de siège permanent.
Un Château Margaux 1961. Grandissime millésime pour les médocs. Les conditions climatiques, parfaites cette année-là, donnèrent une fantastique récolte considérée comme l'un des meilleurs millésimes du XXe siècle.
Il y a tant de personnes qu'on croit heureuse parce qu'on ne fait que les croiser...