«Voilà, voila, c'est fini... Et je n'ai pas su que c'était le bonheur... Et à présent, c'est fini...»
- Tous les mêles, murmura t-elle, la voix un peu altérée... tendresse, désir... quelque chose, là.... Pourquoi ne pas dire tout bonnement : l'amour ? Est-ce que vous avez peur du mot ?
Aimer sans être aimé
Etre au lit sans dormir
Et attendre sans voir venir
Sont trois choses qui font mourir
L'amour qui naît de la peur de la solitude est triste & fort
Fils, petit-fils de riches, d'oisifs, il souffrait du manque d'aisance, d'insouciance, comme on souffre de la faim, du froid.
Ils s'en allèrent ensemble, tandis que Jessaint demeurait sur la terrasse pour achever son café. Yves regardait marcher devant lui la jeune femme vêtue de blanc : ses cheveux noirs, dans l'éclatante lumière, étaient légers et bleus, comme les anneaux de fumée des cigarettes orientales ; au pied du perron elle se tourna vers lui, en souriant.
– Au revoir, monsieur… À bientôt, sans doute…
Il redécouvrait, avec une émotion profondément douce, des lignes, des nuances, le contour des montagnes, la surface miroitante du golfe,la chevelure vivante et légère des tamaris. Et quand il eut perçu de nouveau, dans l'air , ce parfum de cannelle et d'orangers en fleur qu'y apporte le vent d'Andalousie, il fut tout à fait réconcilié avec l'oeuvre du temps, et l'ancienne allégresse lui dilata le coeur.
Aimer sans être aimé,
Etre au lit sans dormir,
Et attendre sans voir venir
Sont trois choses qui font mourir
dit-on à peu près.
Ce garçon, qui avait été pendant quatre ans une manière de héros, était lâche devant l'effort quotidien, le travail imposé, la tyrannie mesquine de l'existence.
Elle se pencha vers lui, le prit par les épaules.
- Yves, est-ce que vous m’aimez ? demanda-t-elle, et sa voix ne ressemblait pas à celle d’une amoureuse qui murmure : « Tu m’aimes ? », comme une affirmation, divinement sûre d’avance de la réponse ; elle était pleine d’anxiété et de souffrance, au contraire. Tout de même, elle espérait. Il ne répondait rien. Il dit enfin :
- A quoi bon les mots, Denise ? les mots ne signifient rien.
- Dites-le moi quand même, je vous en prie… Je veux le savoir.
- C’est que, justement, je me demande si je peux aimer, aimer comme je voudrais, soupira-t-il. Et, cependant, Denise, je sens que vous m’êtes infiniment chère. Le désir que j’ai de vous est mêlé à une immense tendresse…
- Mais, c’est cela, l’amour, balbutia-t-elle, comme une imploration, le cœur serré, les yeux attachés sur lui.
Il répondit simplement :
- Si vous jugez que c’est l’amour, je vous aime, Denise.
Elle sentit, pour la première fois, une sorte de barrière entre leurs deux cœurs, comme une petite frontière mal définie, mais infranchissable. Mais elle ne dit rien ; elle préféra fermer les yeux, s’oublier, ne pas voir, ne pas être sûre, mais ne pas le perdre, surtout ne pas le perdre. Et, furtivement, tandis qu’il l’embrassait, elle essuya de la main deux grosses larmes qui débordaient de son cœur trop lourd.