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Pour une fois, je n'ai pas envie d'être un autre, juste Theodore Finch, le garçon qu'elle voit. [...] un garçon qui a sa place - bien dans ce monde et dans sa peau. Un garçon qui est exactement celui que j'aimerais être. Et mon épitaphe serait : Le garçon qu'aime Violet Markey.
Charlie hoche la tête.
- Il faudrait vraiment que tu tires un coup .
Il fait sans doute référence à l'incident du clocher . D'après lui , si je couche , je n'aurai plus envie de me suicider . Pour Charlie , tirer un coup, c'est la solution à tout . Si tout les grands dirigeants du monde avaient une vie sexuelle satisfaisante et régulière , il n'y aurait plus de problèmes sur cette planète .
Un visage, un rire, une façon de marcher, va me le rappeler. Comme si j'étais entourée de mille version de lui.
- Parce que tu m'as souri.
- Quoi ?
- Tu m'as demandé pourquoi je voulais faire équipe avec toi. Ce n'est pas parce que tu es allée en haut de ce clocher, même si d'accord, un peu quand même. Ce n'est pas parce que je me sens l'obligation de veiller sur toi, même si un peu quand même aussi. C'est parce que tu m'as souri, ce jour-là, en classe. Un vrai sourire, pas la grimace forcée que tu plaques en permanence sur tes lèvres. Quand ta bouche sourit, et que tes yeux disent le contraire.
Les gens qui se suicident ne pensent jamais à ceux qui restent. Non seulement leurs parents et leur famille, mais aussi leurs amis ou petites amies, leurs camarades de classe et professeurs.
– Je vais te poser une question : crois-tu en la notion de jour parfait ?
– Quoi ?
– Un jour parfait. Du début à la fin. Où rien d’affreux, de triste ni d’ordinaire ne se produit. Tu crois que c’est possible ?
– Je n’en sais rien.
– Ça t’est déjà arrivé ?
– Non.
– Eh bien, moi non plus, mais c’est mon but.
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Cette fois, Violet m'attend. Comme je reprends mon souffle, plié en deux, elle me demande :
- Pourquoi tu fais ça ?
Cette fois, je vois bien qu'elle n'est ni contente ni gênée, elle est furax.
- Faut qu'on coure sinon tu vas être en retard.
- Je ne courrai nulle part.
- Je ne peux rien pour toi, alors.
- Bon Dieu. Tu me rends dingue, Finch.
Je me penche vers elle, elle recule vers les casiers. Elle jette des regards en tout sens, redoutant visiblement qu'on nous voie ensemble. Que Ryan Cross passe par là et se fasse des idées. Je me demande ce qu'elle lui dirait... "Ce n'est pas ce que tu crois. Theodore Fêlé me harcèle. Il ne veut pas me lâcher, je n'en peux plus."
- Bah, tant mieux, parce que toi aussi.
Maintenant, c'est moi qui suis furax. Je prends appui sur le casier situé derrière elle.
- C'est bizarre, tu es beaucoup plus sympa quand on est seuls tous les deux sans personne pour nous voir.
- Tu devrais peut-être essayer d'arrêter de courir dans les couloirs en criant sur tout le monde. Je ne sais pas si tu comportes ainsi parce que c'est ce qu'on attend de toi ou parce que tu es vraiment comme ça.
- A ton avis ?
Mes lèvres sont à quelques centimètres des siennes... J'attends qu'elle me gigle, qu'elle me repousse, mais elle ferme les yeux, et là, je sais - c'est bon.
OK. Les événements prennent une tournure intéressante.
Mais avant que j'aie pu faire un geste, quelqu'un m'attrape par le col et me soulève de terre.
M. Kapel, l'entraîneur de base-ball, braille :
- En cours, Finch.
Il fait signe à Violet.
- Et toi aussi. Une heure de retenue chacun.
Après les cours, elle entre dans la salle de permanence sans même me jeter un regard.
- Il y a une première fois à tout ! s'exclame M. Stogler. Nous sommes ravis de vous accueillir parmi nous. Mllle Markey. Qu'est-ce qui nous vaut ce plaisir ?
- A lui, répond-elle en tendant le menton vers moi.
Elle s'assied au premier rang, aussi loin de possible.
Fêlé, cinglé...
J'ai toujours été ça et je le resterais.
Mal aimé, ignoré...
Je ne peux rien y faire pour y remédier.
Détesté, Maltraité...
C'est sûrement pour ça que je suis paumé.
Mais une chose est sûre et certaine,
Je serais toujours ce fêlé qui aime Violet
— Non, je t’ai raconté ça pour t’expliquer ce que je ressens en ce moment. Comme si Pluton et Jupiter étaient alignés avec la Terre. Je flotte.
Une minute plus tard, elle murmure :
— T’es vraiment bizarre, Finch. Mais c’est le truc le plus mignon qu’on m’ait jamais dit.
Elle est constituée d'oxygène, carbone, hydrogène, nitrogène, calcium et phosphore. Les mêmes éléments chimiques que nous tous, cependant je ne peux m'empêcher de penser qu'elle est plus que ça, qu'il y a en elle d'autres composants dont personne n'a jamais entendu parler, qui font qu'elle est à part.