Si l'expédition de l'Endurance et son dramatique naufrage en janvier 1915 en mer de Weddell sont demeurés aussi célèbres que son charismatique chef Sir
Ernest Shackleton, nettement moins connue est l'épopée extraordinaire de l'Antarctic qui eut un destin similaire 11 ans plus tôt en 1903 en sombrant, broyé par les glaces dans la même mer !
Vingt-deux mois dans les glaces compile les récits de 4 des principaux protagonistes de cette incroyable aventure de l'âge héroïque de l'Antarctique. L'ouvrage est agrémenté de quelques cartes de l'Antarctique qui montre le tracé connu de la Péninsule Antarctique avant et après l'expédition ainsi que le détail des excursions menées en traineaux. On ne peut s'empêcher d'être impressionné par le nombre de kilomètres ainsi parcourus ! Il est aussi illustré de nombreuses photos ou peintures qui restituent avec force et émotion l'héroïsme de ces hommes engagés dans une lutte pour survivre dans un des lieux les plus hostiles de la planète.
Le premier récit est celui de
Otto Nordenskjöld, un suédois de 31 ans, docteur en géologie, qui mena l'expédition de l'Antarctic en 1901-1903. Avec un équipage de 29 hommes, commandé par le capitaine norvégien Carl Anton Larsen mais battant pavillon suédois, l'ancien navire phoquier puis baleinier est reconverti en navire d'exploration polaire, rebaptisé l'Antarctic, et quitte Buenos Aires pour se diriger vers la Péninsule Antarctique.
Les objectifs scientifiques d'
Otto Nordenskjöld sont très précis et ambitieux : il souhaite explorer durant l'été austral 1902 l'extrémité nord-est des terres de la Péninsule Antarctique afin de comprendre si elles sont reliées ou non et notamment statuer sur l'apparente insularité de la Terre Louis-Philippe, puis hiverner sur le continent Antarctique durant de nombreux mois jusqu'au printemps suivant, en novembre quand l'Antarctic reviendra les chercher.
Mais l'expédition ne va pas se passer comme prévue !
Le 12 février 1902,
Otto Nordenskjöld débarque donc avec 5 hommes dont le lieutenant argentin
Sobral, et des chiens de traineau sur le glacier de Snow Hill, avec plusieurs tonnes de vivres, du combustible, des instruments scientifiques, du matériel d'excursion et du bois pour construire la cabane d'hivernage et un observatoire magnétique, bref de quoi tenir sur le glacier pendant 20 mois ! Même si l'Antarctic doit revenir en novembre, soit seulement 10 mois plus tard, la prudence est de mise en matière de survie... L'hiver austral est rude. Les hommes affrontent des ouragans violents durant tout le mois de mai qui ébranlent leur cabane, puis des températures négatives qui ne cessent de descendre pour atteindre -41,3 le 6 août... Malgré ces conditions extrêmes, ils ne chôment pas, poursuivent leurs relevés météorologiques et leurs explorations des terres.
Les mois passent, le beau temps revient en septembre avec des températures en hausse et la débâcle de la banquise. Nordenskjöld explore le sud durant 6 semaines sur plusieurs centaines de kilomètres en traineaux avec 5 chiens et 2 hommes : ils cartographient les îles rencontrées, affinant ainsi les relevés exécutés par Larsen en 1893 et réalisent quantités de relevés astronomiques, d'observations géologiques et même botaniques avec la découverte de mousses et lichens. Leurs nuits comme leurs journées sont épuisantes et sans aucun confort : la nuit, ils dorment tout habillés dans leurs sacs en peau de renne, enveloppés d'une peau de guanaco, le matin quand ils se réveillent, la sueur et la vapeur d'eau accumulées pendant le sommeil gèlent sur leurs vêtements. Ils manquent de tomber dans des crevasses, l'un des hommes se blesse, leur tente est déchirée par la tempête, ils souffrent d'ophtalmie et, presque aveugles, prennent le chemin du retour quand les conditions deviennent trop dangereuses pour poursuivre. Ils reviennent épuisés, avec plusieurs kilos en moins mais néanmoins heureux de la richesse de leurs observations scientifiques et d'avoir établi que la Terre Louis-Philippe est reliée à la Terre du Roi Oscar. Novembre est là et l'attente du retour de l'Antarctic commence... Mais le 15 janvier 1903, toujours pas de navire ! Qu'est-il arrivé à l'Antarctic ?
Comprenant qu'ils sont piégés sur la glace, les hommes se préparent donc à un second hivernage et abattent à contrecoeur des centaines de manchots et de phoques pour reconstituer un stock de vivres. Ce deuxième hivernage sera plus difficile que le premier et se poursuivra jusqu'au 8 novembre 1903, date à laquelle ils seront enfin secourus par l'Uruguay, un navire envoyé par le gouvernement argentin.
Tout ceci est relaté consciencieusement et plutôt sobrement par Nordenskjöld, qui ne cache rien des difficultés et souffrances rencontrées mais sans s'y appesantir non plus. Sans doute un peu plus d'émotions n'aurait pas nuit à son récit...
Ce qui est arrivé à l'Antarctic et à son équipage fait l'objet de deux autres récits, plus détaillés et très riches en péripéties. En effet, l'Antarctic qui devait revenir chercher les 6 hommes à Snow Hill en novembre ou décembre 1902, soit pendant l'été austral, s'est retrouvé bloqué par une banquise exceptionnellement compacte. le capitaine Larsen débarque donc le 29 décembre 1902 à la Baie de l'Espérance un deuxième groupe de 3 hommes, Andersson, Duse et Gründen qui ont pour mission d'aller secourir et ramener le groupe de Snow Hill par voie terrestre. le navire devra revenir les chercher entre fin février et début mars. Mais une fois de plus, rien ne se passera comme prévu ! C'est le docteur Gunnar Andersson qui relate leur mission de secours ratée et leur hivernage forcé à partir de mars 1903, avec des provisions plus que limitées et dans l'inconfort total d'une petite hutte régulièrement envahie par la neige, puis par l'eau qui ruisselle lors des périodes de dégel. Son récit est plus agréable à lire que celui d'
Otto Nordenskjöld car il est plus riche en émotions.
On comprend que l'Antarctic n'est jamais revenu les chercher. Et pour cause, le 14 février 1903, le navire est broyé par les glaces et coule dans la mer de Weddell ! Les 20 hommes de l'équipage sont sains et saufs et se réfugient sur l'île Paulet sur laquelle ils construisent une hutte de pierre dans laquelle ils vont hiverner jusqu'en octobre 1903, se nourrissant de la tonne de nourriture sauvée du navire et des 1100 manchots Adélie qu'ils vont tuer. Un seul homme mourra, probablement d'une maladie cardiaque. le naufrage et l'hivernage sont racontés par le capitaine Larsen et le botaniste Carl Skottsberg, dans un style plein de suspense, qui tient en haleine et qui serait digne d'un film catastrophe.
Donc pendant de nombreux mois, chacun de ces 3 groupes de l'équipage initial –
Otto Nordenskjöld et ses 5 hommes sur Snow Hill, Gunnar Andersson et ses deux compagnons à la Baie de l'Espérance, Carl Larsen et le reste de de l'équipage de l'Antarctic se sont trouvés séparés sans rien savoir du devenir des uns et des autres, tous hivernant loin des autres et attendant d'être secourus ! Ils le seront par le navire l'Uruguay au terme d'une extraordinaire aventure de survie, aussi héroïque que le sera celle de l'Endurance 11 années plus tard.
L'épave de l'Endurance vient d'être retrouvée en mars 2022 par 3000 mètres de fond dans la mer de Weddell. Y retrouvera-t-on un jour celle de l'Antarctic ?
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