L'auteur nous parle de son grand-père, son père, de sa vie, de leurs vies, des épreuves, de racines… puis des autres, de l'ironie de l'Histoire, des fous, des aliénés, de la recherche de racines, de pays, de naturalisation, d'ancrage, de guerre, de survie, d'hérédité.
On fait immédiatement la connaissance de Chaïm, juif balte, qui a fui les pogroms pour trouver une meilleure vie en France, dont il veut embrasser la culture, la nationalité et la terre. Lui, l'étranger, va se battre dans les tranchées pour honorer ce pays qui l'accueille… dont il devient un enfant bien après la bataille (les…). Pourtant sa vie n'est pas si belle ; gazé à la moutarde, son comportement inquiète sa femme, de 10 ans son aîné, et qui souhaite à tout prix protégé ses enfants du premier lit et leur fils (le père de l'auteur, donc)…
Alors, il va être soigné, dans un asile, ou quelles que soient les nombreuses dénominations ultérieures. Un fou, un déséquilibré, un homme perdu, enfermé à Sainte-Anne à Paris, puis à Cadillac en Gironde (le pire du pire) où il va mourir de faim (cachexie ; comme une certaine Camille Claudel quelques années plus tard… dans le Vaucluse), en mars 1941…
Lui qui a fui les pogroms, va finir sans histoire, car « les fous n'ont pas d'histoire » écrit l'auteur.
Petit à petit,
François Noudelmann reconstitue l'itinéraire de son grand-père jusqu'à son inhumation dans le carré des fous, sans fleur, couronne et nom.
Puis, il nous conte l'histoire qui a manqué à Chaïm… son fils Albert, le père, qui a fui la lignée juive, l'absence de père, obstination d'être français et sa détention dans les mines de sel de Silésie… pour finir par son suicide…
Les passages sur Albert/Philippe sont intenses, plus graves, avec quelques bons mots de ce père taiseux, par choix et obligation, et aussi les années perdues en Allemagne entre privation, liberté, collaboration humaine et peur de la mort.
A force de silences, d'absences comblées comme il le peut, l'auteur poursuit l'héritage de ses grand-père et père, et confirme l'enracinement de sa famille, sauf qu'il est affranchi d'être français à plein temps…car entre judaïsme, la France, la vie, le poids du passé, les non-dits, les pertes et la justesse d'une vie, il peut s'interroger, refuser, accepter tout, ou rien. Il est détaché de ce poids, mais inconsciemment, Chaïm et Albert rôdent…
Le texte est fort, grave et nous interroge aussi sur cette irrépressible envie de remonter nos lignées, de savoir qui étaient nos ancêtres… sur l'antisémitisme, la conscience collective, ce dont nous avons hérité, les grandes joies et peines, sans en être conscient…
J'ai vraiment beaucoup aimé ma lecture qui célèbre des figures familiales, mais surtout ces hommes et femmes abandonnés à la folie, à la guerre, à l'ignorance, à l'indifférence, à la cupidité de leurs soignants, à l'abandon de l'Etat, de la vie, de nous, les « moins fous » ou les moins « abîmés ».
Les dernières pages sont très fortes en émotion et ouvrent un débat avec soi-même.