Tout de suite, dès les premières pages, on est immergé dans le texte de
Pierre Loti, alors qu'il est absent,
Alexandre Noyer a pris le parti d'illustrer le roman, plus que de le raconter.
La première planche marque déjà l'ambiance, le noir, le blanc, brossés, raclés, en lutte, la lumière est reproduite par le coup de pinceau agressif, on ressent le remous des vagues à l'intérieur de la cabine du bateau, et la statuette de la Vierge ouvre le récit, comme dans le roman. Tout de suite, la dureté de la vie et le poids des traditions nous oppressent. C'est vraiment
Pierre Loti, tel que je me souviens l'avoir lu. Les décors s'apaisent à terre, légèrement. Puis les vignettes se succèdent sur les 110 pages de chaque tome, lourdes et chargées de drames.
C'est une lumière de tragédie, sombre, laissant passer des éclats cinglants. On retourne vite en mer, toujours agressive et violente, les images sont somptueuses d'intensité, des marines, comme des vieilles photos passées, usées, mais d'une justesse de description un peu glaçante. Dans le deuxième tome, la terre reprend le dessus, mais comme marquée par une profonde tristesse, une fatalité. Les silhouettes des bâtisses côtières sont représentées avec une fine observation de ce pays, celles de ses habitants semblent fantomatiques et résignées.
Gaud est amoureuse de Yann et espère l'épouser, Yann ne veut pas se marier avec Gaud, la pêche en Islande est sa raison de vivre elle a un pouvoir hypnotique, mais il sait aussi que c'est une machine à fabriquer des veuves. Sylvestre, son petit frère est tué en Asie lors de son service militaire, ils vivent dans un pays où les gens ne sont pas très causant, c'est sombre, un peu lent, on vit au rythme des saisons de pêche. Cela m'a rappelé un film vu il y a longtemps, Finis Terae de
Jean Epstein, avec le noir et blanc très constrastés, le rythme lent, la Bretagne de la mer et le drame réaliste.
Le vent, la mer, les vagues, les embruns, la brume, la tempête, les landes, le granit, et toutes les odeurs, les sons, c'est toute cette société de pêcheurs bretons, de Ploubazlanec et Paimpol (22), avec la religion, la famille, l'économie, la dureté de la vie et de la mort qui sont superbement décrites dans le roman, de
Pierre Loti, C'est ce qu'a su reproduire
Alexandre Noyer. Peut-être que les personnages sont en retrait par rapport à la mer et la côte bretonne. L'ambiance que l'illustrateur nous impose prend le dessus, les personnages sont assez éteints, ce qui pourrait freiner l'enthousiasme quelqu'un qui n'aurait pas lu le roman.
Pour ma part, j'ai vraiment aimé cette adaptation faite de noirs lumineux et de blanc ténébreux
Cette critique est identique aux deux tomes que j'ai reçus dans le cadre d'une opération Masse Critique. Merci à Babelio et aux éditions Ouest-France, c‘était un beau cadeau de Noël !