« Il est mort et parti, madame,
Il est mort et parti ;
À sa tête une étendue de gazon vert ;
À ses talons une pierre. »
Hamlet, acte IV, scène 5
Je ne connaissais pas Maggie O'Farrell. Je l'ai découverte en lisant la très tentante critique du roman «
L'étrange disparition d'Esme Lennox » par Cascasimir. Ma libraire ne l'ayant pas en rayon, elle m'a proposé son tout dernier roman, «
Hamnet ». J'ai bien essayé de résister, mais comme elle est vraiment très convaincante, je suis repartie avec.
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«
Hamnet » est une oeuvre fictive, mais Maggie O'Farrell a remarquablement imaginé à travers les écrits qui nous restent de
William Shakespeare et en particulier «
Hamlet », l'histoire de sa famille et le décès de son fils unique à l'âge de onze ans.
Dans ce roman, le père de
Hamnet restera sans nom, relégué à un rang de second rôle, laissant la parole à sa femme Agnès, à une époque où les femmes étaient si peu considérées.
C'est donc un magnifique portrait de femme, impressionnant de force et de réalisme que nous relate l'auteure.
On ne connaitra
William Shakespeare que par le regard qu'elle porte sur lui.
Un regard pénétrant.
Un regard intuitif.
Agnès lit en lui comme dans un livre ouvert, il apparaît comme un homme bon, mais secret et mystérieux.
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Eté 1596, Stratford, Angleterre
Seuls dans la maison, les adultes vacant à leurs occupations,
Hamlet et Judith, sa soeur jumelle, jouent, jusqu'à ce que la fillette fatiguée et fiévreuse délaisse ses jeux pour rentrer s'allonger.
Très vite, son état s'aggrave.
Hamlet se blottit contre elle.
« Il forme un crochet avec son petit doigt, le glisse sous le petit doigt de sa soeur. Une larme solitaire tombe de son oeil, atterrit sur le drap, puis roule en dessous, sur le jonc. »
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Agnès veille son enfant inerte.
Agnès rêve éveillée.
Elle rembobine le temps comme une pelote de laine et repense à tous ces moments de bonheur simple. Amour, partage, bienveillance.
« Ne jamais tenir pour acquis que le coeur de vos enfants bat, qu'ils boivent leur lait, respirent, marchent, parlent, sourient, se chamaillent, jouent. Ne jamais, pas même un instant, oublier qu'ils peuvent partir, vous être enlevés, comme ça, être emportés par le vent tel le duvet des chardons. »
Agnès tremble.
Elle se sent totalement démunie face à cette ennemie puissante et impitoyable.
« le silence enfle ; il s'étire, les enveloppe tous les deux ; il possède maintenant une silhouette, une forme, des tentacules qui s'agitent, comme les fils d'une toile d'araignée détruite. »
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Le fond historique est très intéressant. Maggie O'Farrell restitue incroyablement bien les moeurs, la condition des femmes et les mentalités de l'époque élisabéthaine, restituant l'atmosphère rurale insalubre, la promiscuité, par des descriptions minutieuses telles que l'on s'y croirait.
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Au-delà du récit et du contexte historique, il y a également des qualités littéraires indéniables dans ce livre.
La magnifique écriture de Maggie O'Farrell, précise, sensible et acérée, excelle à décrire les ambiances, à disséquer les émotions et la psychologie de chaque personnage, à raconter dans les moindres détails le destin du jeune
Hamnet et la souffrance de sa mère.
L'auteure aborde des thèmes forts : l'amour, le chagrin à la perte d'un enfant. Elle le fait avec beaucoup de force en imposant un rythme lent au récit. Une polyphonie d'émotions contradictoires et douloureuses m'a submergée.
C'est la première fois que je ressens autant cette impression d'oppression, d'étouffement, de souffrance partagée, d'un écoulement très lent du temps qui ne laisse que peu d'espoir à un dénouement heureux.
Comme si l'auteure freinait le temps pour que la mort trop impatiente choisisse une autre victime.
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Maggie O'Farrell signe un roman remarquable dans lequel le récit et le style de l'auteure sont en parfaite harmonie.
Une lecture qui me laissera un souvenir poignant.
« Souviens-toi de moi. »
Mes yeux se sont embués de larmes.
Oui, je me souviendrai de cette magnifique histoire et de cette auteure. Un très gros coup de coeur !