S'il existait une couleur plus noire que noire, plus obscure que le plus sombre des noirs, cette couleur serait Oates.
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Au commencement était la Vie » est, comme son nom ne l'indique évidemment pas, tout sauf un Ode à la Vie, et un de ses romans les plus obscurs, violents et incisifs et pourtant d'une vraisemblance et d'une justesse incroyables.
Un soir d'avril, le 06 avril 1991 précisément, Kathleen, petite fille de onze ans, est admise à l'hôpital ; son père, dans un accès de rage, aveuglé par son ivresse, roue de coups sa fille aînée Kathleen, et s'attaque ensuite à sa benjamine, Nola. En proie à une crise de terreur et de larmes, cette dernière, affaiblie par les coups de son père, ne cesse de pleurer… Dans un état second, sa grande soeur la fera taire pour l'éternité…
Après 26 jours passés dans son lit d'hôpital, Kathy peut enfin rentrer « chez elle » - mais où est-ce ? Commence alors un long périple, dans lequel Kathy sera ballottée de familles en familles ; d'abord au Foyer de l'assistance sociale, ensuite chez une famille d'accueil. Bien loin d'être « guérie » de tous ses maux, Kathy, dont l'innocence a été happée par la violence, est lasse - « ça m'est égal » est désormais son credo. Cette virulence, cette haine qui l'ont a jamais abîmée résident à présent en elle, irrépressiblement, irréversiblement … tel un acouphène, le son aigu du Mal persiste, et quoi de plus évident que de combattre le Mal par le Mal ? Envers les autres, envers elle… Souffrir… mais garder confiance.
Ainsi, incendies, relations tumultueuses, humiliations deviennent le quotidien de Kathleen et sa seule manière d' « exister » - car quoi de plus complexe que ce besoin de reconnaissance de ses pairs ? Si ce n'est par l'intelligence, par la bonté, alors que ce soit par la douleur, la résignation et l'humiliation.
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Au commencement était la Vie », mais qu'advient-il de cette Vie… Aura-t-elle sa chance sur Terre ? Verra-t-elle seulement le jour ?
Certes, celui-ci est un des romans les plus noirs de Oates, mais il semble pourtant si plausible. A travers Kathleen, Oates explore l'hérédité, les violences domestiques, l'Amérique (et ses nombreux travers, car que représente Kathy, sinon sa digne héritière…), la complexité de se construire sans aucune base solide, l'héritage et l'inévitable déchéance, autant physique que psychologique. Oates dérange, brise les tabous, elle nous perturbe… et cela dès 1991…
28 ans plus tard, ce thème universel reste tout aussi dérangeant, car pas moins actuel… ou l'inverse !