AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,13

sur 930 notes
Quel fascinant roman !
Hypnotique et magnétique comme l'était celle dont il relate la possible histoire, l'actrice américaine Marilyn Monroe (1926 - 1962). Quelle autre figure pop nous incite davantage à juger sur les apparences ? Et pourtant, paradoxalement, c'est sans doute cette femme, entre toutes, qu'on devrait se garder de juger sur les apparences. C'est ce que propose l'auteur avec "Blonde".

MARILYN ! MARILYN ! MARILYN !

Pur produit manufacturé par Hollywood, univers vicié et vicieux, dont l'éphémère et fulgurant âge d'or a été rapidement suivi d'une décadence crasse et corrompue où sexe, drogues, alcool, pornographie et magouilles règnent en maîtres, masqués aux yeux du public par des myriades d'étoiles et de paillettes. Réalité.

Poupée crémeuse, femme objet, blonde idiote, icône pop, égérie en caoutchouc, sex-symbol, actrice médiocre. Cheveux platine phosphorescents, lèvres sanglantes pulpeuses, grain de beauté aguicheur, seins mammouthesques, hanches et cul de rêve. Fiction.

"Ce que le Studio demandait très raisonnablement […], c'était un retour à des comédies sexy assurées du succès comme "Certains l'aiment chaud" et "Sept ans de réflexion", car pourquoi diable les Américains devraient-ils se séparer de dollars durement gagnés pour voir des films sinistres qui les dépriment ? Des films qui ressemblent à leurs propres vies foireuses ? Quelques gros rires gras n'ont jamais fait de mal à personne, hein ? Quelques scènes affriolantes ? Hein ? Une superbe blonde, des scènes où ses vêtements tombent, des courants d'air qui soulèvent sa jupe jusqu'en haut des cuisses".

Orpheline de père, fille d'une mère schizophrène internée, fillette apeurée ballottée de l'orphelinat en familles d'accueil, enfant discrète et incomprise, femme soumise, âme révoltée, en perpétuelle quête d'identité, elle qui en possédera plusieurs : Norma Jeane l'amie, Marilyn l'ennemie.

Illusoire exemple de cette ascension sociale "made in USA", du mythique "rêve américain" soigneusement entretenu pour leurrer des générations de moutons, la Carotte d'Or du "peuple de la liberté", le même qui ne craint pas d'emprisonner la femme-orpheline glamour dans des robes camisoles cousues sur elle l'empêchant de s'asseoir ou de respirer.

La femme-orpheline, abusée et exploitée, seule, s'élèvera bien à la "force du poignet", comme le lui promettait son tendre Oncle Sam, mais pas de la manière qu'on imagine. "Se coucher pour arriver", seule voie possible sous le vernis du puritanisme hypocrite. Starlette-marionnette violemment soumise aux appétits voraces des hommes-bites qui contrôlent le monde dans lequel elle a eu le hasard de naître. "Tu as eu le rôle en tournant les talons, mon chou".

La femme-orpheline aussi fragile qu'un colibri "plongeant son long bec aiguille dans les jasmins trompettes pour en sucer le suc... […] Ils doivent manger tout le temps ou s'épuiser et mourir... des ailes minuscules qui battent si vite qu'on ne les voit pas... un bruissement, une tache floue... et leur coeur qui bat si vite..." ; toute une vie en quête d'amour, de liens, de reconnaissance et de talent.

La femme-orpheline, assidue lectrice de Darwin, Tchekhov, Schopenhauer et Pascal. La blonde qui rêvait d'être une actrice.

1 110 pages pour témoigner de 30 ans d'une (sur)vie tout en grands écarts. Misères et splendeurs de l'actrice-courtisane, parcours de l'orphelinat à la couche présidentielle, passage de l'innocence à la violence, de l'obscurité aux lumières artificielles des flash aveuglants.

Joyce Carol Oates décline ici le genre de la biographie. "Blonde" n'est pas une biographie romancée, "Blonde" est une biographie fictive, nuance. Ce n'est pas l'historien ou le biographe qui est aux commandes mais bien l'écrivain, et quel écrivain ! Qui annonce franchement la couleur en préambule : "Ceci est un roman". Contrairement à un biographe, l'écrivain va au-delà des faits et ne s'éloigne jamais du narratif. Ses mains libres lui donnent des ailes, elle s'autorise à pénétrer les sentiments supposés de son personnage et offre ainsi au lecteur une connaissance de Norma Jeane Baker moins superficielle que si elle s'était attachée aux seuls faits, vite lus, vite oubliés. Avec "Blonde", le lecteur accède à une compréhension intime et ressent avec intensité et sincérité les craintes, les espoirs, les désespoirs, le besoin d'amour et de reconnaissance, la déraisonnable utopie de Norma Jeane.

Mais c'est bien l'essence même du mythe d'être sujet aux interprétations. Ainsi naissent les légendes. Invérifiables, mystérieuses et puissantes. Immortelles.

Depuis l'enfance j'ai toujours été instinctivement fascinée par Marilyn, sans vraiment savoir pourquoi, n'ayant même pas vu ses films. Désormais, grâce à Joyce Carol Oates qui m'a suggéré sa part d'humanité, je comprends... et compte bien voir ses films.

Enfin, 1 110 pages et pas une minute d'ennui, c'est ce que personnellement j'appelle une réussite.


Challenge PAVES 2016
Challenge ABC 2015 - 2016
Challenge Multi-Défis 2016
Challenge Joyce Carol OATES
Commenter  J’apprécie          14225
Et Joyce Carol Oates créa Blonde... un roman, une fiction.

L'auteur écrit en préambule ce qui différencie son livre d'une biographie de Marilyn Monroe.
Alors qu'enfant, Norma Jeane a été placée dans de nombreux foyers, l'auteur a choisi de ne parler que d'un seul (fictif de surcroît)
Ses amants, problèmes médicaux, avortements, tentatives de suicide et rôles, sont réduits aux essentiels.

Vous l'aurez compris, Blonde n'est pas un récit historique, même s'il retrace les grandes lignes de la vie de Marilyn et que la plongée dans son esprit nous semble très réelle.

Je me suis lancée dans ce pavé de 1115 pages en lecture commune avec quelques amies, sans lesquelles je n'aurais probablement jamais ouvert ce livre.
D'une part à cause du nombre de pages, et d'autre part parce que je ne me suis jamais intéressée à Marilyn. Je dirais même plus, je saturais un chouia.
Donc, merci à ma Pépette, Anna-Choute et ma Caro,

Au début, Norma Jeane a 6 ans, et sa mère Gladys vient la chercher chez ses grands-parents, qui l'avaient élevée jusque là.
Quel déchirement de voir cette pauvre gamine sous le joug de cette mère déséquilibrée, qui vit dans un taudis à Hollywood.

Et puis l'orphelinat, le placement dans une famille d'accueil...
Mon coeur a saigné, et mon désintérêt pour la femme s'est envolé au fur et à mesure que je m'attachais à l'enfant.

Norma Jeane grandit. Elle est très belle, attachante, sexy... bon, vous la connaissez tous, au moins de nom et de vue.
Personne ne peut à échapper à Marilyn Monroe.

Norma Jeane en fera des choses pour devenir célèbre. Et dans un premier temps, pour tenir la tête hors de l'eau, parce qu'on ne peut pas dire qu'elle ait de quoi subvenir à ses besoins.

Une femme intelligente, gentille, charmante et charmeuse, qui "devra" se servir de ses atouts physiques et cacher sa culture, parce que ça ferait désordre.
Elle ne doit être qu'une ravissante idiote.

Et la façon dont les hommes l'ont traitée est juste innommable.

Mais elle a réussi à s'élever... Malheureusement plus on est haut plus on peut tomber très bas et la chute est douloureuse, voire dévastatrice.

Joyce Carol Oates a réussi à percer ma carapace, ce qui ne lui fut pas facile, en supposant qu'elle ait écrit ce livre pour moi.

Que vous aimiez Marilyn ou pas, ou qu'elle vous soit indifférente, je ne peux que vous conseiller ce roman magnifiquement écrit, la plume de JCO n'est plus à vanter, et très réaliste.

Elle m'a marquée, cette enfant-femme qui ne voulait qu'être aimée.
L'absence de son père et son manque de lui l'a amenée à le rechercher dans chaque rencontre qu'elle faisait.
Une plaie à vif qui ne s'est jamais refermée, jusqu'à sa mort.
Accident , suicide... assisté ou pas ? le mystère reste entier et on ne le saura jamais..

En fait, elle voulait que le monde entier l'aime. Et elle a presque réussi ce pari. Ne lui manquait que son papa... et un bébé.
Un roman touchant et inoubliable.
.
.
Commenter  J’apprécie          129129
Monumental.

C'est le premier mot qui me vient à l'esprit après la lecture de cet ouvrage.

La rencontre de deux monstres sacrés. Joyce Carol Oates raconte Marilyn Monroe.

Kaléidoscope captivant, émouvant et passionnant, ce livre est d'une richesse incroyable. D'une profondeur terrible. Il pénètre en son héroïne et tente d'en livrer la substance. C'est parfois chaotique, souvent enivrant, terriblement prenant.

Véritable roman qui invente la vérité et raconte cette blonde pas tout à fait comme les autres. A travers une construction fascinante et hypnotique, Joyce Carol Oates décortique le rêve américain et dévoile les choses étranges qui se meuvent derrière les tapis et le rouge sang appliqué sur les lèvres des starlettes hollywoodiennes.

Ne nous méprenons pas, il ne s'agit pas d'une biographie. C'est bel et bien un roman qui tente de pénétrer un mythe, une icône et d'en faire une femme. Oates construit le roman autour d'une chronologie qui éclate et se tord pour mieux pénétrer la tête blonde de son héroïne. On peut se perdre, parfois, dans les méandres de ce roman immense, mais sans déplaisir.

L'auteur, comme à son habitude, peut nous mener où elle veut. Je l'ai suivie. Sans hésiter.

J'ai lu ce livre en plusieurs fois, sur plusieurs mois. Comme imprégné. Comme si les images devaient s'imprimer sur ma pellicule intime. Raisonner pour pouvoir continuer. S'imprégner sur mes rétines.

C'est l'histoire d'un mythe. Un conte défait de fées absentes ou trop présentes. Les petites filles sont parfois terriblement solitaires. Elles gardent dans le coeur les douleurs de l'abandon et cherchent, une existence entière, à ce qu'on les aime un jour vraiment.

Ce livre est un monument. Ces femmes, des oeuvres d'art et de vie. Et pourtant humaines. Follement libres. Réellement inspirantes.

Lien : https://labibliothequedejuju..
Commenter  J’apprécie          1098
Qui est véritablement Norma Jeane Baker?
Joyce Carol Oates, dont toute l'oeuvre s'appuie sur un solide travail de documentation et qui use ici d'une palette variée de modes d'expression, n'hésitant pas à entrecouper son récit d'extraits tirés du vrai-faux journal de Marilyn Monroe, ou de vrais fausses déclarations de ceux, maris, amants, amis, professionnels du cinéma l'ayant bien connue, ne prétend pas répondre à cette question, nul ne le peut. Mais il est fort possible, et même probable, que son roman se soit approché au plus près, bien plus près qu'une biographie rigoureuse et exhaustive, de la véritable Norma Jeane.

Qui est Norma Jeane Baker? Et qui cela intéresse-t-il au fond?
Parce que le monde, lui, ce qui l'a captivé, ce qui l'a fasciné et le captive encore aujourd'hui, c'est Marilyn, pas Norma Jeane. C'est l'être imaginaire, l'être fabriqué, l'être de fiction, c'est l'être de pellicule, pas l'être de chair, d'humeurs et de sang.
« Pourquoi le monde voulait-il baiser Marilyn ? Pourquoi le monde voulait-il baiser baiser baiser Marilyn ? Pourquoi le monde voulait-il s'enfoncer jusqu'à la garde sanglante comme une grande épée tumescente dans Marilyn ? »
Pourquoi le monde se soucierait-il de la femme derrière le masque de poupée blond platine ? de son âme et de son coeur meurtris? de ses réflexions et de ses inflexions, de ses désirs et de ses peurs? de ses lectures, de son goût pour la poésie, un goût directement hérité de sa mère qui composait des poèmes — d'ailleurs elle aussi compose, mais qui cela intéresse-t-il? Qui s'est jamais demandé ce qui se cachait derrière son sens de l'humour caustique et dissonant, ou derrière son obsession pour la perfection qui la poussait à refaire, éternellement, la même prise — « S'il vous plaît. Je peux faire mieux, je le sais » ? Et son jeu, qui cela intéresse-t-il au fond? Elle est fascinante à contempler, ça, c'est sûr. Enfin, son cul monté sur ressorts, ses seins, sa bouche sont fascinants… Mais elle? du reste, elle ne joue pas, regardez-là, elle n'a aucune technique. Elle est intense, incandescente, une allumette que l'on frotte, une flamme qui jaillit soudain… une actrice-née, un génie. Mais elle ne sait pas jouer. À l'instar du chorégraphe et danseur Vaslav Nijinski dont la figure charismatique et blessée parcourt le livre tel un fil rouge, elle joue juste sa vie à chacun de ses films, à chacune de ses prises inlassablement recommencées, mais elle ne joue pas au sens où un acteur joue. le génie n'a pas besoin de technique. Or la « technique », n'est-ce pas justement ce qui autorise une distance entre l'acteur et son rôle, n'est-ce pas le meilleur garant de sa santé mentale?

« Certains jours, elle brûlait de talent. Il y avait en elle une fièvre qui faisait rage et cherchait à s'exprimer. On voyait que c'était du génie et peut-être que le génie tourne à la maladie s'il ne réussit pas à s'exprimer. »

Alors, qui s'intéresse à Norma Jeane? Joyce Carol Oates, indubitablement, sinon elle ne lui aurait pas consacré un bouquin de près de mille pages. Et moi, qui ai lu le bouquin. Et aussi les copines qui ont lu le bouquin avec moi, Chrystèle, Nico-Choute et Marie-Caro. Et aussi les millions de lecteurs qui ont lu le bouquin avant moi. Et pourquoi? Qu'est-ce qui a poussé l'autrice prolifique JCO à mener sa double enquête? Sur Norma Jeane d'abord puis, à mesure que celle-ci disparaissait, insidieusement phagocytée par la créature qu'elle contribua à créer, sur Marilyn. Pourquoi?
Parce que la folie?
La folie d'une femme à la beauté incandescente qui, de film en film, d'amant en amant, aux prises avec l'alcool et les médicaments, finit par s'effondrer, par perdre son âme puis sa vie alors qu'elle est au faîte de sa gloire? Une folie puisant aux sources mêmes de la vie, mère schizophrène paranoïaque ayant manqué de peu la brûler vive ? Parce qu'arrachée à sa mère malade mentale, placée dans un orphelinat à l'âge de huit ans? Parce que les larmes de honte et de douleur jamais étanchées? Est-cela qui a fasciné Joyce Carol Oates? La douleur, la honte, la rage d'une petite fille mal aimée?

« Elle avait assez de maturité pour exprimer ce souhait : J'ai tellement honte, personne ne veut de moi, j'ai envie de mourir. Elle n'en avait pas assez pour comprendre la rage contenue dans un tel souhait. Ni les transports de folie que cette rage alimenterait un jour, l'ambition démente de se venger du monde en le conquérant. »

Parce que la rage?
La rage comme moteur d'une ambition démente, conquérir le monde? Mais la célébrité est un leurre, c'est bien connu. Chercher le bonheur en elle, c'est comme attendre le soleil dans une grotte orientée au Nord… Ce n'est pas elle qui comblera le désir éperdu, inassouvissable d'être aimé. Est-ce cela le drame de Norma Jeane?
Le désir d'être aimée toujours, mais jamais, jamais véritablement aimée?
Est-ce ce désir ardent, désespéré qui consumera Marilyn, fragile, fascinante et hypnotique « flamme dansante »? Est-ce que JCO s'est reconnue dans ce besoin éperdu, jamais comblé ?A-t-elle été touchée, bouleversée par l'abîme entre les aspirations de l'actrice, ce à quoi son talent, sa sensibilité, son génie pouvaient prétendre et ce à quoi le monde l'a cantonnée : un objet de fantasmes? A-t-elle voulu dénoncer l'iniquité, la violence d'un système de domination, celui des hommes sur les femmes, de l'industrie du cinéma sur les acteurs, des puissants sur les faibles ? A-t-elle voulu montrer que Marilyn était également et avant tout sa propre victime, prête à vendre son corps, et aussi son âme, pour être désirée, aimée, admirée?

« Je n'étais ni une poule ni une pute. Mais il y avait le désir de me percevoir de cette façon. Parce qu'on ne pouvait pas me vendre autrement je crois. Et je comprenais que je devais être vendue. Car alors je serais désirée, et je serais aimée. »

Parce que la beauté sans l'amour est un piège effroyable, une véritable malédiction?
C'est toute l'ambivalence et la fragilité du personnage imaginé par Joyce Carol Oates. Norma Jeane effrayée par sa beauté, blessée à l'idée que l'on puisse la confondre avec elle, et pourtant soignant son apparence avec une attention maniaque, consacrant des milliers d'heures à faire renaître, sous les doigts agiles de son maquilleur, l'icône « Marilyn ».
Condamnée à chercher dans les yeux des autres la confirmation de sa propre existence. Condamnée à contempler éternellement son reflet dans les miroirs ou dans l'oeil de la caméra au risque, tel Narcisse, de s'y perdre.
Parce que la mort si souvent appelée, enfin, est venue la délivrer.

« La mort est venue à l'improviste parce que je le voulais. »
Vaslav Nijinski



Commenter  J’apprécie          10474
Attention, livre dangereux. Bombe à bord.
Pas celle que vous croyez, pas juste cette bombe-bombasse blonde dont l'éclat saisissant abasourdit pourtant encore, mais une bombe à fragmentation qui continue d'exploser dans la profondeur de l'être longtemps après avoir tourné chacune des pages de ce roman terrible.
Je ne sais pas pourquoi l'écriture de Joyce Carol Oates m'évoque toujours l'univers de l'eau, mais le fait est que « Blonde » n'échappe pas à la règle : la lecture de « Blonde » est une immersion, presque une noyade, dans les méandres de l'esprit complexe, multiple et extraordinairement sensible de Norma Jean Baker.
Il faut tout le talent de JCO, dont la plume souvent un peu trop… vagabonde dirons-nous, colle cette fois-ci parfaitement à son sujet, et réussit à chaque ligne de ce gros pavé (1100 pages mais pas une de trop, une gageure !) à nous ancrer dans une profonde empathie pour cette lumineuse pauvre fille et nous faire entrer à l'intérieur même de ses fêlures. Et ce grâce aux deux plans de lecture qui s'entrecroisent pour nous ferrer comme des insectes dans une toile.
Il y a le plan linéaire déroulant les étapes de la tragédie : les pages terribles sur l'enfance et la mère toxique, les pages douloureuses sur l'orphelinat, les pages sordides sur Hollywood, les pages incandescentes sur la naissance de « Marylin », les pages belles à pleurer sur l'amour véritable et protecteur d'Arthur Miller
Et puis il y a le plan syncopé, brouillé dans lequel JCO superpose et entremêle plusieurs faces de Norma Jean, assez confusément pour que l'on ne sache pas parfois à laquelle l'on a affaire, assez inexorablement aussi pour que l'on comprenne que les plus noires finiront par définitivement polluer les plus pures, jusqu'à l'issue fatale.
Je ne suis pas à proprement parler une fan de Monroe, mais ce livre m'a profondément émue et troublée, et donné envie de voir ou revoir certains films de Marylin pour tenter de percevoir la profondeur quasi-monstrueuse de ces décalages de personnalités que JCO donne à voir dans le livre (si délicieuse dans « Certains l'aiment chaud », si dévastée sur le plateau ; si cavalière dans « Bus stop », si terrifiée dans la vraie vie ; si vénale dans « Niagara », si infantile entre deux prises)…
Commenter  J’apprécie          965
Sous la plume boulimique de Joyce Carol Oates, Marylin Monroe n'est pas seulement une star mythique, un canon de beauté à la plastique hallucinante, un sex-symbol wharholisée, elle n'est plus une vulgaire poupée peroxydée, plus une fragile grue camée, nymphomane, suicidaire et schizo, c'est une vraie femme, enfin ! Une femme tout simplement emblématique de son époque et de son temps.

Ce pavé de près de 1000 pages est tout bonnement stupéfiant. le génie de Joyce Carol Oates est indéniable. Elle réussit à nous fasciner, page après page, que nous aimions ou que nous soyons totalement indifférent à la mythique Marylin Monroe, comme c'était le cas pour moi je dois bien l'avouer. Et sans doute, grâce à ce livre, je vois désormais au-delà du mythe. En cela, JCO a réussi un vrai tour de force. La plume est fluide et le livre un véritable page-turner.
Oui, un livre véritablement captivant malgré tout ce que nous connaissons déjà de cette artiste emblématique, depuis l'enfance chahutée marquée par l'absence du père, une mère névrosée et le placement dans de nombreuses familles d'accueil, en passant par son ascension de simple pin-up à icône suprême, ou encore de ses multiples amants jusqu'à la relation adultérine avec JF Kennedy, jusqu'à sa mort encore aujourd'hui mystérieuse à l'âge de 36 ans seulement…


Et pourtant, il y a un côté « poil à gratter » dans ce livre…tout au long de ma lecture, j'ai éprouvé une sorte de malaise car nous naviguons tout du long entre réalité et fiction, l'auteure ayant voulu faire un roman se basant sur quelques éléments vrais, sans tous les mentionner, et surtout en en romançant une bonne partie, c'est donc une sorte de biographie mais pas tout à fait non plus. Une « biofiction » sur le principe de la synecdoque, une partie seulement est révélée, censée représenter le tout. le tout étant plus que la somme de ses parties, les parties dévoilées sont ainsi hautement allégoriques. Pas de révélation de la vie entière donc et part belle faite aux sentiments de Marylin, aux sensations, aux affects comme se les représente en tout cas Joyce Carol Oates, au point parfois de se demander si finalement l'auteure ne révèle pas des choses d'elle-même, la frêle brune se cachant derrière la pulpeuse blonde
L'auteure, en reprenant et en renouvelant quelques éléments du parcours de Marylin, donne ainsi vie à la fille derrière la star, à Norma Jean, fille pleine de failles que le produit marketing et iconique Marylin Monroe allait ensuite venir boucher, colmater…

N'empêche, j'ai ressenti cet entre-deux, ne m'abandonnant jamais tout à fait car dès que je commençais à lâcher prise, je m'interrogeais aussitôt sur la véracité des faits, j'essayais de percevoir à quoi correspondant tel ou tel événement. Ma lecture a été sans cesse ponctuée d'aller-retour sur Internet pour chercher, voir, comprendre…Oui, j'étais troublée par cette façon de faire de JCO, celle de s'approprier la vie de Marylin pour finalement nous avertir que non, c'est un roman, ne vous méprenez pas. Où est la frontière entre le vrai et le faux, quelle place donnée à la mémoire de la personne, voire à son respect, l'auteure pouvant finalement inventer ce qu'elle veut et nous la rendre soit attachante, soit détestable ?

Parfois, en parlant avec mes proches, j'évoquais un fait de la vie de Marylin (il faut dire que lorsque nous lisons ce livre, celui-ci ne cesse alors de nous hanter), parfois de simples petites anecdotes (comme les 5h de maquillage nécessaires avant un événement public) et aussitôt, j'étais troublée, m'arrêtant de parler…ah oui, c'est vrai, ce n'est pas-être, sans doute, pas vrai…Finalement qu'ai-je vraiment appris de sa vie ? Je ne sais pas. Mais n'est-ce pas cette façon même de faire qui m'a tant fait aimer ce livre ? En supplantant les biographies innombrables qui existent sur Marylin Monroe ?

Bref, vous percevez comme je suis troublée et partagée sur cette notion de bio-fiction…
Je veux bien admettre surtout qu'avec ce procédé l'auteure permet d'atteindre l'universelle : celle de toute belle femme, à la fois victime, proie, incarnation de tous les fantasmes masculins, dans les années 50, aux Etats-Unis. Celle de la condition féminine qui prévalait alors où les viols, les intimidations, les avortements, les mariages précoces, les violences conjugales, les humiliations, la condescendance, le fait de devoir passer à la casserole pour atteindre ses objectifs sur le plan professionnel, étaient légion. Rien n'aura été épargné à la star, elle semble condenser tous les maux de ce qu'on pouvait faire aux femmes à cette époque. En ce sens, pour narrer l'épopée de la condition féminine, partir de Marylin est un matériau de choix pour l'auteure.
Après soulignons cependant que l'auteure ne dénonce pas vraiment, ce n'est pas son objectif ici, au contraire elle ne fait que constater et enfoncer tout en nous faisant entrevoir des pans insoupçonnés de la personnalité de la jeune femme, nous la rendant complexe, touchante, mystérieuse, comme peuvent l'être toutes les femmes réifiées qui, au-delà de l'objet manipulé et abusé qu'elles deviennent au sein d'une société patriarcale, cachent des pans entiers de personnalité et de singularité. Tel est à mon sens le véritable sens de ce livre.


Près de 1000 pages donc, en cinq actes telle une tragédie, dans lesquelles Joyce Carol Oates jongle avec virtuosité avec tous les styles littéraires, tous les tons, tous les angles de vue. Nous y trouvons les pensées intimes de Marylin, comme si nous étions réellement dans cette tête aux boucles blondes, des extraits de son journal, des discours, les témoignages – vrais, faux, mystère - de toutes les personnes ayant côtoyé de près ou de loin la fille puis la femme, voix multiples secondaires donnant de la profondeur au personnage, des lettres, des cauchemars…permettant de multiplier les points de vue, de faire le tour des différentes facettes du personnage et du mythe.

« Comme la mer, cette beauté changeait constamment. Comme sous l'effet de la lumière, des gradations de lumière. Ou de la gravitation lunaire. Son âme, mystérieuse et effrayante à ses yeux, ressemblait à une sphère en équilibre précaire au sommet d'un jet d'eau : frémissante, toujours en mouvement, tantôt montant, tantôt descendant… ».

Quelques scènes marquantes et archétypales, supposées ou réelles d'ailleurs, sont décrites de façon éminemment romanesque pour bien mettre en valeur cette incarnation du rêve américain et de ses failles. L'agression sexuelle de son agent juste avant l'audition qui lancera sa carrière, la fausse couche lors de son mariage avec le dramaturge (Henri Miller), ses souffrances incroyables chaque mois lors de ses menstruations qui sont doublées en réalité d'endométriose, maladie à cause de laquelle elle commence à prendre des cachets puissants, sa rencontre et sa relation avec le Président JF Kennedy, le fameux Happy Birthday chanté dans cette robe moulante brillante de mille feux, et la fin de sa vie nimbée de mystère, autant de scènes revisitées avec talent par l'auteure américaine. Sans oublier les différents films, les conditions de tournage, comment Marylin Monroe s'approprie à chaque fois les personnages, ses exigences pour refaire sans cesse chaque scène, sont décrits avec sensibilité et empathie.

Des scènes marquantes donc et un personnage ô combien touchant…Derrière ces cheveux blonds barbe-à-papa si peroxydés qu'ils en paraissaient blancs et exhalaient une odeur de produit chimique, derrière les épaisses couches de maquillage, derrière ces robes chatoyantes quasi-transparentes mettant en valeur ses seins « mammouthesques » et les « deux fesses jumelles de son cul fantastique », robes parfois décolletées dans le dos quasiment jusqu'au coccyx, derrière cette sensualité incandescente telle qu'aucun homme ne pouvait résister - alors qu'elle-même ne savait pas comment avoir des rapports autres que sexuels tout en éprouvant si peu de désir et de plaisir - il y a une femme terrifiée, il y a une femme qui vit une tragédie, qui recherche son père dans tous les hommes aimés, une femme abusée, méprisée, une femme bien plus intelligente que sa timidité le laisse entrevoir, une femme effrayée par sa propre beauté, une femme poète, sensible, délicate…Une enfant fourrée à l'intérieur d'un mannequin voluptueux…Une femme bouleversante et drôle à la fois ingénue et tentatrice. Une mendiante d'amour et de reconnaissance…
Cette femme-là, grâce au talent de JCO, m'a touchée en plein coeur !


« Nous courons sans souci vers le précipice, après que nous avons mis quelque chose devant nous pour empêcher de le voir » - Journal d'écolière de Norma Jean.

Un livre ainsi inoubliable, mais aussi perturbant pour moi, que j'ai eu bonheur de partager avec Anna, Nico, Marie-Caroline et que je n'aurais sans doute pas lu sans cette lecture commune. Merci mes amies blondes et brunes, la « blande » que je suis a aimé ce partage riche en sororité !
Commenter  J’apprécie          9442
« Ici, les gens pensaient que Marylin Monroe ne faisait que jouer son propre rôle. Tous les films qu'elle faisait, si différents fussent-ils les uns des autres, ils trouvaient moyen de les déprécier : « Cette nana ne sait pas jouer. Elle ne joue que son propre rôle ». Mais c'était une actrice née. Un génie, si on croit au génie. Parce que Norma Jeane n'avait aucune idée de qui elle était, et qu'elle devait remplir ce vide en elle. Chaque fois, elle devait inventer son âme. Nous autres, on est tout aussi vides ; peut-être qu'en fait tout le monde a l'âme vide, mais Norma, elle, le savait. »


J'ai préféré commencer ma critique de « Blonde », ce roman de mon auteure-fétiche sur une actrice que je ne connaissais très peu, par cet extrait qui résume tout le propos du livre.
Entendons-nous bien : Oates n'a pas voulu retracer la biographie de Marylin Monroe, elle l'a bien affirmé. Elle ne fait « juste » que tenter de comprendre l'insaisissable personnage qu'elle était. Insaisissable car considérée souvent comme une « grue », une moins que rien qui ne pensait qu'au sexe et à affoler les hommes par la même occasion, mais qui faisait preuve d'une telle profondeur de réflexion au-delà de son apparence superficielle qu'elle mettait souvent très mal à l'aise.
« Il était plus sage de rire que de pleurer. Plus sage de rire que de penser. Plus sage de rire que de ne pas rire. Les hommes l'aimaient quand elle riait. »


Personnage complexe, aussi. Etonnamment complexe. Et ici, Oates joue au psychiatre. Elle explore avec ténacité et lenteur extrême l'enfance de Norma Jeane, qui n'a jamais connu son vrai père et dont la mère est devenue folle alors qu'elle avait à peine six ans. En perpétuelle quête d'affection auprès de cette mère mythomane, elle a fini par aller en foyer pour orphelins. Puis recueillie dans une famille d'accueil, elle est poussée au mariage à 16 ans. Et la voilà jetée dans cette vie de femme à laquelle elle n'était pas préparée : vie de femme se déployant sous les regards concupiscents d'une multitude d'hommes.
« La vérité fondamentale de ma vie, que cela ait été la vérité ou une parodie de vérité : quand un homme vous désire, vous êtes en sécurité. »
« Les hommes étaient l'adversaire, mais il fallait faire en sorte que l'adversaire vous désire. »


Le désir de plaire, d'être aimée à tout prix vient donc de son enfance dévastée par un manque cruel d'affection et même de « reconnaissance » en tant qu'enfant.
Toute sa vie, d'ailleurs, sera une quête perpétuelle de reconnaissance de soi, y compris sa vie d'actrice : « Echouer dans sa carrière d'artiste c'était échouer dans la vie qu'elle avait choisie pour justifier sa naissance injustifiée. »


Amant après amant, film après film, producteur après producteur, elle trace sa voie, la petite Norma qui se distanciera toujours de la grande Marylin.
Tant bien que mal, encensée par beaucoup, heurtée par tous.


Bon, je dois vous avouer quelque chose : j'ai lu les trois quarts de ce roman-fleuve, de plus en plus agacée par l'écriture chaotique de Oates mimant, je le reconnais, l'esprit tumultueux de cette femme-enfant, sa personnalité complexe ainsi que multitude d'autres voix .
A la fin, n'en pouvant plus, obsédée par cette femme, ses amants, ses films, par ce style lancinant et tortueux, j'ai jeté l'éponge.
Bien m'en a pris, car je me rends compte que ma critique a pris dangereusement le pli de la longueur ! Trêve donc de bavardages, je tente de me déprendre de cette oeuvre tentaculaire. Figurez-vous que j'étais prête à visionner les films de Marylin! Et toutes les nuits, ne parvenant pas à m'endormir après quelques pages de lecture, je me ruais sur Google pour voir ses photos !

Marylin Monroe est dangereuse, finalement ! Ou, bien réfléchi, ce serait plutôt Joyce Carol Oates...et là, je viens de comprendre. Elle m'a bien eue, cette auteure.
Commenter  J’apprécie          8013
Joyce Carol Oates (Ou JCO pour les intimes) est une bavarde, une incroyable bavarde !
1110 pages pour raconter Marylin Monroe...ça peut paraître trop et pourtant, quand vient la fin, on a presque envie de dire : « C'est déjà fini ? Il manque des passages, non ? »
Alors, bien sûr, certains paragraphes peuvent paraître trop verbeux mais on pardonne tout de même à l'auteure (comme souvent) parce qu'elle a une façon bien particulière de vous mettre dans l'ambiance. Et quand je dis dans l'ambiance, je devrais plutôt dire, dans la peau de Norma Jeane Baker.


Norma Jeane, Miss Golden Dreams, l'Actrice blonde, Marylin Monroe...autant de qualificatifs qu'use Oates pour nommer cette sublime actrice, cette divine Blonde, cette femme-enfant aux multiples facettes.
Et on sent là toute la fascination et l'implication de Oates, toute sa volonté à exposer ce mythe hollywoodien dans toute sa complexité, à la mettre à nu devant les lecteurs, à la rendre à la fois intouchable et vulnérable, à la fois si mystérieuse et si ordinaire, à la fois si belle et si misérable...
Après avoir lu Blonde, on ne pourra plus associer Marylin Monroe à la simple image d'un Sex Symbol à la vie dissolue et auto destructrice.
Il apparaît indéniablement dans ce roman que Norma Jeane fut victime de sa beauté et de son sex appeal. Joyce Carol Oates dénonce bien évidemment une société bien trop misogyne et tient particulièrement à rappeler que Marylin Monroe, malgré ses allures de cruche blonde, était une actrice studieuse, douée d'imagination et de sensibilité.
Elle n'en fera pas pour autant une héroïne modèle et c'est tout à son honneur de rétablir sans fard ni artifice la divine et sublime Marylin dans une fiction qui, finalement, ne semble pas si éloignée de sa véritable vie.


Cette biographie – qui n'en est pas une- est digne d'intérêt et j'ai pris beaucoup de plaisir à la lire.
Il est vrai que j'ai parfois peiné et trouvé certains passages répétitifs et inutiles. Je n'ai pas aimé/ pas compris l'emploi de groupes nominaux ou d'initiales pour désigner les personnages tels que « L'Ex-Sportif » ou « Le Dramaturge » à la place de Joe Dimaggio ou Arthur Miller. Etait-ce pour signifier ou rappeler aux lecteurs qu'il s'agissait bien d'un roman et en aucun cas d'une biographie ?

Néanmoins, cette plongée dans la vie de Marylin fut une expérience véritablement inattendue !

Commenter  J’apprécie          793
L'histoire de Norma Jeane Baker alias Marilyn Monroe réinventée par Joyce Carol Oates.
On aurait pu croire que JCO ait fait un travail titanesque de documentation sur la vie de Marilyn Monroe, il n'en est rien. L'auteure a mis son immense talent de conteuse, à l'imagination sans borne, pour aller très loin dans le détail de cette vie autant hors norme que tragique. Personne n'aurait pu décrire avec autant de précision l'histoire de Norma Jeane, à part Norma Jeane elle-même. Et bien JCO l'a fait.
Dans un style toujours « Faulknérien », la plume de JCO décortique, dissèque, répare, raccommode avec une précision chirurgicale, la vie et la psychologie de la « Blonde ». Loin du cliché de la femme fatale qui a crevé les écrans technicolors ou inondé les couvertures des magazines, l'auteure nous décrit un être plein de faiblesses, la proie d'un monde machiste, le nouveau jouet des producteurs, une femme persécutée par les angoisses de son état d'orpheline.
S'il n'avait pas été précisé au début qu'il s'agissait d'une fiction, on aurait pu être persuadé que la star hollywoodienne avait livré tous ses secrets par le récit laborieux de Joyce Carol Oates. La multiplicité des chapitres, les longues énumérations d'anecdotes loin d'être ennuyeuses, fastidieuses ou soporifiques, finissent par créer un trouble hypnotique et fascinent.
« Blonde » est une oeuvre monumentale sur une femme non moins extraordinaire, bien mal grés elle.
Le récit de JCO restitue parfaitement le mythe, celui de la déesse qui s'est faite mortelle le temps d'une fraction d'existence.
En ce qui me concerne, je garderai le souvenir de cette version de l'histoire.
Traduction de Claude Seban.
Le livre de poche, 1110 pages.
Commenter  J’apprécie          700
J'ai lu ce roman de 1110 pages pendant un week-end marathon auquel je m'étais engagée, et l'ai parcouru à la façon du coureur. L'expérience fut unique, l'essoufflement aussi. Surtout une très belle découverte : la plume de grande qualité de Joyce Carol Oates, que je connaissais pour l'avoir écoutée souvent.
Blonde, saga-épopée dédiée à une étoile filante, Marilyn l'éblouissante, l'enviée, la désirée, la marchandée, passagère éclair entre les deux portes de la vie.
Images célèbres de la célébrissime se mirent à défiler devant mes yeux, souvenirs de quelques films vus et revus : Sugar Kane dans Certains l'aiment chaud de Billy Wilder, Kay dans Rivière sans retour de Otto Preminger, Angela dans Quand la ville dort de John Huston, Rose dans Niagara de Henry Hathaway, la voisine dans Sept ans de réflexion de Billy Wilder, Lorelei Lee dans Les hommes préfèrent les blondes de Howard Hawks, Roslyn dans Les désaxés de John Huston.
Biographie fictive, d'une vie brève qui a laissé en héritage un mythe, a fait couler des fleuves d'encre, a rempli des océans d'images.
"La célébrité était un incendie que personne ne pouvait maîtriser, pas même les patrons de studio qui s'en attribuaient le mérite.". "Vie et rêve... feuilles d'un même livre", Marilyn Monroe, Norma Jeane, rêve ? réalité ? ou les deux ? dans un mélange pas toujours équilibré et dont elle a été la proie.
Le roman effeuille l'habit éclatant de la star pour pénétrer la grotte cachée de la femme, y découvrir un coeur, des interrogations, des doutes, des faiblesses, des blessures mal soignées, des profondeurs non atteintes, inimaginables, rarement imaginées, des ambitions, une détermination et une lutte pour avancer et tenir. La transformation d'une femme en produit marchand, d'une vie privée en vie publique sous les projecteurs éblouissants. Être et paraître, jeu aveuglant des miroirs, les dessous d'une étoile filante, tricherie reconnue, acceptée et rejetée, jeu de ping-pong. On ne se demande pas qui est la balle.
Livre-film en cinq séances rythmées sur des ombres accouchant des éclairs en plans séquence, gros plans, fondus enchaînés, aussitôt apparus aussitôt disparus, pages-images où l'incroyable surréalisme fait des passages rapides, l'arrêt sur image surprend un instant, après, il s'évapore, travellings sophistiqués, enchaînements des mouvements et une voix off à multiples voix. Sa longueur impressionnante, à mon avis, ne fait qu'équilibrer le passage rapide de la comète Marilyn. le roman va dans les coulisses de la vie privée et des arrangements et négociations qui préparaient le choix des acteurs, les contrats, la naissance du film. Il s'arrête souvent, surtout pas pour des pauses, sur la scène américaine après la guerre, le maccarthysme et la chasse aux sorcières, toute une mentalité, hommes et femmes très inégaux, essais nucléaires désastreux et à longue portée.
Les plusieurs niveaux d'écriture suivent de près les plusieurs niveaux de réalités : la vie intérieure de la femme Marilyn/Norma Jeane, la scène sous les feux des projecteurs, les rôles, ce qu'elle était et ce qu'elle représentait pour les autres. Sous l'oeil de la caméra, sous les feux des studios, lumières d'étoiles, nuit sombre et froide, elle est à la recherche d'un feu qui chauffe sans brûler.
Le réel et le fantastique, la mémoire et ses farces, jeux cruels. "Une grande partie des souvenirs sont des rêves, je crois, de l'improvisation. Un retour dans le passé, pour le changer."
Rythme syncopé d'une vie surprise, méprise et confusion, erreur, vie glissante comme une patinoire, miroir alléchant et cynique, vie timide dans un feu d'artifices, aguichante, grisante, perturbante, et finalement décevante. "Norma Jeane n'aimait plus autant les films. Ils étaient si... pleins d'espoir. A la façon dont les choses irréelles sont pleines d'espoir."
Des voix s'entremêlent, se confondent, rêve, réalité, les images-souvenirs envahissant la mémoire n'en font qu'une toile.
Le style, comme la vie, entre rêve et réalité, épouse la narration, la voix off, les souvenirs, les témoignages ; tantôt vif et enlevé, tantôt serré, chargé, il effleure le fantastique, finit par s'alourdir jusqu'à l'obsession pesante qui devient rivière sans retour vers les chutes de Niagara qui emportent tout.
Très peu allaient plus loin que la surface de Marilyn, beauté éphémère aimée et exploitée ; mais elle-même, Norma Jeane, jusqu'où allait-elle ? elle avançait et reculait, dans les deux sens avec hésitation et courage fêlé, une hypersensibilité mortifère sans issue, des hauts et des bas épuisants, des absences, sa mère une absente, son père une photo, une absence. La vie est-elle une parenthèse ? entre quoi et quoi ?
Joyce Carol Oates regarde à la loupe la surface miroitante, et interroge chaque reflet à l'aide du microscope, et finalement laisse beaucoup de points d'interrogation tels qu'ils sont, sans réponse.
Les projecteurs éblouissants se sont retirés dans les coulisses avec leur lumière aveuglante, les bruits extérieurs assourdissants et blessants se sont tus, et la part d'ombre de Marilyn, Norma Jeane, s'est ouverte à la lumière du jour celle qui émerveille sans faire de mal.
Elle voulait être aimée pour ce qu'elle était vraiment ! Mais ce "vraiment", le savait-elle ? Etre et paraître, souvent le pont entre les deux est instable et ce quelque chose qui manque crée un point faible, une fragilité empêchant le lien solide. Une feuille frémissante de vie, un coup de vent peut l'emporter mais tant qu'elle y est elle habite l'arbre, ainsi que Marilyn habitait tous ses rôles.
Norma Jeane voulait rester ce qu'elle était. "Elle voulait être reconnue pour une grande actrice et en même temps être aimée comme une enfant et on ne peut manifestement pas avoir les deux."
Elle a eu tout, mais pas l'essentiel.
Commenter  J’apprécie          5920




Lecteurs (2636) Voir plus



Quiz Voir plus

Un viol virtuel pour sauver une famille

Par qui l'adolescent est-il trahit ?

Sa soeur
Son père
Son ami
Sa mère

7 questions
6 lecteurs ont répondu
Thème : Blonde de Joyce Carol OatesCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..