Remise en avant d'un autrice culte des années 2000 pour qui s'intéressait au manga au féminin pour un public adulte, remercions
Atelier Akatombo pour le retour de
Kyôko Okazaki avec son percutant Helter Skelter, un titre coup de poing marquant à l'image de la chanson où
il puise son inspiration.
Celui-ci avait déjà connu une première édition en 2007 chez Casterman dans sa collection Sakka. Jeune étudiante, je l'avais lu, mais bloquée par le style unique des dessins de l'autrice et la crudité de son propos, je n'avais pas apprécié plus que cela. 15 ans plus tard, ayant mûri et arrivant désormais à détacher le fond de la forme, c'est avec une petite claque que m'a accue
illie cette relecture.
Dans une nouvelle édition à la couverture bien plus actuelle,
Atelier Akatombo nous propose de redécouvrir ce titre devenu introuvable, qui porte un message universel toujours d'actualité, qu
i le mérite bien comme en témoigne son Prix culture
Osamu Tezuka reçu peu après sa sortie et son adaptation au cinéma en 2012 par Mika Ninagawa. On saluera d'a
illeurs les pages couleurs de cette nouvelle édition ainsi que la couverture à rabat (et non la jaquette) rendant la lecture et la conservation plus agréable.
Kyôko Okazaki, c'est un style ! Celui des Ladies des années 2000 avec ces dessins très marquants, loin du mainstream des shojo et josei d'alors. C'est un style beaucoup plus simple mais âpre, un style intemporel qui interpelle et peut sembler « moche » par son étrangeté, mais un style qui percute. Certains resteront peut-être bloqués sur cela, comme je le fus autrefois, et c'est dommage parce que l'histoire, elle, mérite vraiment d'être lue et que le dessins de l'autrice est certes particulier, mais
il y a une vraie recherche dans les angles, les cadrages, qui en font une oeuvre quasi cinématographique, rappelant ce qu'a pu produire
Satoshi Kon sur une autre starlette.
En effet,
il y a une f
iliation pour moi entre Helter Skelter et Perfect Blue, le chef d'oeuvre de ce maître de l'animation parti trop tôt. Les deux nous content les ravages de notre société des apparences et de l'industrie du spectacle à travers le portrait d'une jeune femme partie prenante et victime à la fois du système, le tout dans une ambiance polar/thr
iller des plus réussies. Ici, nous suivons Ririko, mannequin, actrice, chanteuse, qui est la marionnette de sa tante qu
i l'a fait refaire de partout, mais qui est en train de totalement vr
iller, dépasser par ce que devient sa carrière et ce qu'elle devient elle-même, à travers ce corps refait qu
i la lâche.
Racontée à travers le regard désabusé, perturbé et surtout totalement séduit, de son assistance personnelle, ce récit est des plus perturbants. J'ai aimé la façon dont
il nous plonge dans la psyché très perturbée de Ririko avec cette ambiance de thr
iller induite par les opérations véreuses qu'elle a subies dans une clinique pas très nette, qui a provoqué la mort de plusieurs autres femmes. C'était fascinant et malaisant à la fois de suivre cette femme terriblement belle mais terriblement souffrante car artificielle et dont l'esprit était en train de se briser en direct devant nous. Sa violence nous percute de plein fouet et nous chamboule, nous émeut, autant qu'elle nous heurte, nous poussant à nous interroger sur ce désir de beauté qu'on a tous peut-être un peu trop.
L'autrice nous pousse en effet à nous interroger, nous qui aimons tant le beau : les beaux intérieurs, les beaux plats, les beaux vêtements, les beaux livres, les beaux dessins, les belles personnes… Jusqu'où serions nous prêt à aller pour cela ? C'est la question qu'elle nous pose et la réponse à laquelle elle nous confronte est terriblement dangereuse. Car elle l'évite, mais la tante de Ririko est LE personnage dérangeant et dérangé ici qu'
il aurait été intéressant de mettre dos au mur vis-à-vis de ce qu'elle avait fait. Ririko, elle, est plus la victime de tout cela. La méchante en apparence, le tyran, n'est donc au final pas la vraie méchante de l'histoire mais la victime.
La lecture n'est cependant pas fac
ile. Elle dérange. Elle heurte. Elle nous confronte à une héroïne détestable dans son attitude aux autres et perturbante dans sa folie intérieure venant blesser les autres et elle-même. C'est donc un sentiment ambivalent qui nous pénètre tout du long et qui vient se mélanger à l'étrangeté de l'affaire en cours, impliquant d'autres victimes de cette course à la beauté, le tout dans une ambiance quasi psychédélique induite par les substances prises. Et au final, la seule, finalement, un peu passive dans cela est notre narratrice, l'assistante de Ririko qui subit et subit tout cela. Elle m'a profondément perturbée car au final, c'est nous qu'elle représente, nous qui participons et assistons à ce terrible système de culte de la beauté à tout prix.
Alors oui, Helter Skelter est une lecture étrange, malaisante qui va venir gratter sous notre surface et nous mettre face à un miroir reflétant une image de nous fort dérangeante. Mais c'est passionnant, extrêmement bien mis en scène, devenant un âpre écho du superbe f
ilm Perfect Blue, avec une héroïne dont la névrose nous heurt, nous blesse et nous émeut à la fois. Ce n'est pas une lecture dont on sort indemne.
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