C'est un déchirement de tenter de rédiger une critique, sinon un billet sur un livre qui me fut offert à mon dernier anniversaire par mon fils. Sur ce geste, ce cadeau n'est pas anodin, j'y reviendrai plus tard, à la fin de mon billet.
Bakhita, biographie romancée, écrite par
Véronique Olmi, fait partie de ces livres qui témoignent de choses très fortes, qui ne peuvent nous laisser indifférents.
Ici, le parcours de ce personnage de
Bakhita est totalement sidérant. Dans cette lecture, j'ai été confronté à une attitude paradoxale : l'écriture est indéniablement très belle et elle vient se poser sur un thème d'une tonalité incroyablement tragique, sur des événements vécus. L'itinéraire de
Bakhita, dès son enlèvement à l'enfance au bord de son village, parce qu'elle a eu l'imprudence de s'en éloigner durant quelques instants, force le respect. Elle va se relever malgré les chaînes aux pieds, malgré les souffrances, malgré les humiliations...
C'est peut-être cette juxtaposition d'une écriture belle et d'une histoire douloureuse qui m'a déstabilisé.
Aussi, c'est une lecture ici en demi-teinte.
Avec une citation de
Primo Levi en préambule, il est vrai que je m'attendais à quelque chose de différent...
Le chemin de
Bakhita est un chemin qui côtoie l'effroi et l'insurmontable. Son corps s'en souviendra à jamais, sa mémoire effacera l'enfance qui fut la sienne, une enfance qui s'arrêta vers l'âge de sept ans.
J'aurais voulu autre chose, attendre de ce livre de vrais personnages, entiers, douloureux, attendre que cela se passe peut-être différemment.
Les personnages sont au rendez-vous. Mais moi lecteur, je n'ai pas été au rendez-vous auquel j'étais invité, ne serait-ce que par mon fils.
J'aurais voulu saisir les oscillations du personnage de
Bakhita, autant dans sa vie d'esclave que dans son parcours religieux, savoir et comprendre cette brutale conversion à un tournant de sa vie. Pourquoi ?
J'aurais voulu lire ce livre avec mon corps, avec mon ventre, j'aurais voulu ressentir autre chose que la beauté d'une écriture, faisant écran, un peu comme un mur presque infranchissable entre moi et les personnages, entre moi et l'histoire.
Ce fut pour moi une sorte de rendez-vous manqué.
Pourtant l'histoire de
Bakhita est belle, elle dit de ne jamais faire naufrage. Résister. Se réparer à travers les autres. C'est aussi cela la résilience, celle de
Bakhita, comme tant d'autres comme elle...
Elle ne se souvient plus de son nom, de son village, des siens. Ballotée de douleurs en humiliations, comme une barque sans attache, elle a perdu l'histoire et la géographie de sa vie. Elle n'est plus qu'un corps, son corps martyrisé, mutilé, survivant, qui ne peut plus enfanter, elle qui aima toute sa vie les enfants, peut-être un peu pour cela d'ailleurs, son corps broyé est le seul territoire auquel elle appartient désormais, marqué de l'intérieur et de l'extérieur par la barbarie humaine.
En effet cette écriture m'est apparue trop belle, trop lisse, je ne sais pas s'il faut le dire ainsi, je pense que cette écriture m'a éloigné de toute émotion possible, a gommé les aspérités qui auraient pu visiter et saisir les personnages - à commencer par le personnage principal de
Bakhita – je pense que la puissance d'un récit s'écrit aussi dans ses zones d'ombre, les zones d'ombre des personnages qui y sont convoqués.
L'esclavage et les camps de concentration font partie de ce que l'humanité a été capable de produire de pire... L'esclavage continue en Afrique, quasiment sur le même territoire qu'évoque le livre, cent cinquante ans plus tard... Ce livre nous permet de nous le rappeler...
Plus tard, je reviendrai parler de ce livre avec mon fils et aussi avec ma fille, l'Afrique est leur berceau qui les a vu naître tous deux, l'un au Burkina Faso, l'autre en Éthiopie. Je voudrais qu'ils le lisent à leur tour, ce ne sont pas des lecteurs, ma fille m'a cependant promis de le lire... Je sais pour cela que ce cadeau d'anniversaire n'est pas anodin. Je sais que ce livre aura cette vertu : parler, dire, partager.