Je reviens de quelques jours en enfer. Quelques jours se terminant, heureusement, par la paix.
Ces moments de lecture, je les ai passés si près de
Bakhita, cette petite fille arrachée à sa famille à 7 ans par des vendeurs de chair humaine, que j'en ressors retournée, émue jusqu'aux larmes.
Car
Bakhita m'a eue !
Tant d'horreurs, tant de tortures, tant d'arrachements, et une si grande force, une si grande douceur, une si grande bonté.
L'enfant-esclave a perdu sa maman pour toujours mais la porte toujours en elle. Elle lui parle silencieusement, elle lui demande pardon de lui causer une si grande peine en ayant été enlevée, si peu de temps après sa grande soeur.
Toujours, elle l'a recherchée, cette grande soeur. Elle a cru l'apercevoir un jour, mais peine perdue.
Car jamais, jamais elle ne retrouvera ceux qu'elle aime, ni son enfance d'avant le traumatisme absolu. Ni la petite fille à laquelle elle s'attache lors de son long chemin du Soudan vers El Obeid puis vers Karthoum, en route vers le marché aux esclaves.
De maitre en maitre,
Bakhita va grandir dans la souffrance, l'humiliation, l'absence d'amour, le mépris. Et pourtant, toujours, elle essaie de protéger les plus petits. Souvent en vain, d'ailleurs, dans ce monde atroce. Et pourtant, toujours, elle garde foi en la vie, elle qui est recluse dans sa solitude.
« La vie est d'une beauté insoutenable. Elle ne sait pas pourquoi ce qui est beau lui fait tant de peine »
Et puis un jour, le consul italien l'achète, l'emmène en Italie. A partir de là, sa vie bascule. D'esclave, elle deviendra libre, puis religieuse. Elle finira adulée par tous. Elle, la Noire, la Moretta, la bête curieuse que tout le monde venait regarder et dont beaucoup se détournaient au début de son séjour en Europe. Nous sommes fin 19e, puis début 20e, n'oublions pas.
Et puis les guerres surviennent.
« le monde est partout le même, né du chaos et de l'explosion, il avance en s'effondrant (...) Elle voit la peur d'où surgit la colère, et le désespoir d'où surgit la haine. le spectacle de l'humanité. Cette bataille qui les déchire tous. »
Bakhita avance, malgré tout. Elle boite, elle a mal partout, elle vieillit, mais sa douceur demeure, augmente, même. Les petits enfants ont pour elle de la dévotion. Elle les comprend, sait leur parler malgré sa difficulté d'apprendre la langue.
« Reliée aux autres par l'intuition, ce qui émane d'eux elle le sentira par la voix, le pas, un regard, un geste parfois. »
Oui,
Bakhita m'a eue!
« La violence des maitres. Leur pouvoir éternel sur les petites filles et sur les femmes. le déshonneur. La mort intérieure. La partie brûlée. »
Tout cela fait partie d'elle. Cela a fait partie de moi durant ces quelques jours.
Mais l'amour a gagné. La douceur a étendu son manteau de velours sur les âmes.
Une langue poétique, des phrases courtes, choquantes, bienfaisantes, aussi.
Véronique Olmi m'a envoûtée, comme elle-même l'a été par
Bakhita l'esclave, la merveilleuse
Bakhita.