Ce mouton fut si heureux de voir la guerre terminée, qu'il en devint fou, de la même folie qui s'empare des bêtes à la repousse du printemps, mais plus fou encore. On le vit bêler au vent, cabrioler, gambader, ruer des sabots, foncer de la tête, rouler sur la pente des montagnes. Finalement il se lança tout seul dans les airs. Il flotta longtemps, se laissa porter indolemment par les courants narguant les hommes et les oiseaux, avant de s'enflammer dans l'atmosphère.
On raconte à mots couverts que ce mouton a fini par tuer le Verbe, et qu'ainsi il est devenu le roi du monde. Il a fixé les lois de tout, ordonné la marche de la terre et les circonvolutions des étoiles. Il est devenu plus particulièrement le dieu de la foudre.
De temps à autre, le mouton réapparaissait sous la forme d'une comète de feu, et dévalait sur la terre pour lutter contre quelques-uns de ces énormes arbres qui n'avaient pas brûlé pendant la guerre, notamment l'arbre Mlanjzi, qui lui avait toujours résisté et qui s'opposait à son pouvoir avec une indifférence altière.
Jean-Pierre Otte, "Ah! noms de dieux", une heure d'entretien en toute ivre liberté et pour le plaisir d'exister.