Personne n'a peur des gens qui sourient

Que fait-on d’une colère que l’on garde toujours en soi ? devient-elle une vilaine tumeur ?

Gloria était alors à la fois comblée et emplie de tristesse. De cette tristesse tranquille et fantomatique qui lui tenait compagnie depuis la disparition de son grand amour. Une tristesse habitable, confortable, sur mesure, qui était devenue une façon de vivre et d'élever ses filles le plus tendrement et le plus attentivement possible.

Et si cela ne se passe pas ainsi, si le motif cosmique reste incompréhensible, alors on demeurera délicatementet acrobatiquement penché sur la prolifération des détails, parce que, lorsqu'on a choisi le silence, on voit mieux, cela va sans dire, et on cesse d'accorder aux choses plus d'envergure et d'importance qu'elles n'en recèlent.

La Traînée n'était pas le genre de bar feutré tout en teck où l'on sirote des cocktails acidulés et pétillants (ombrelles, rondelles de citron vert, feuilles de menthe, etc.), immergé dans une lumière tamisée et une sélection musicale , assis en équilibre sur des tabourets de bar, à tuer le temps en jetant des regards en biais alentour, l'air absent et la jambe croisée bien haut. Rien à voir. La Traînée était un bistrot pour type qui revient du boulot ou pour poivrot basique sans domicile ni objectif précis. Il y avait aussi des clientes. Même profil que les mâles.

Comment aurait il pu se souvenir, ranimer cette personne qu'il était quand il avait une vingtaine d'années, où était-elle passée cette personne, elle était là, indiscutablement, tapie dans les recoins de son corps, chaque âge était comme une enveloppe de plus autour de son noyau central, son fil a plomb, la pointe du compas, son être pur et indemne, son essence d'enfant minuscule, tout était encore là, tous les âges de la vie étaient encore là, mais impossible de les retrouver car ces enveloppes, autour du noyau central, étaient devenues des pelures, aussi fines et sèches que des pétales de bougainvillées froissés.

Mais elle entretient, comme beaucoup d'anciens enfants tristes, une relation particulière aux choses invisibles.

Le récit de la vie de l'autre, avant notre surgissement dans son existence, achevait de nous hérisser comme l'aurait fait un chat a force de nous tournicoter dans les jambes.

Si le motif cosmique reste incompréhensible, alors on demeurera délicatement et acrobatiquement penché sur la prolifération des détails, par ce que, lorsqu'on a choisi le silence, on voit mieux, cela va s'en dire, et on cesse d'accorder aux choses plus d'envergure et d'importance qu'elles n'en recèlent.

L'arrogance s'apparente souvent à la bêtise : il n'y a personne de plus vulnérable que celui qui n'imagine pas plus fin, plus malin, plus intelligent que lui. Son angle mort crée une forme d'engourdissement cognitif. Il se retrouve dans la situation du vaniteux qui s'attend en permanence à un compliment comme une otarie à un anchois.

Ça fait plus d'une semaine que je ne t'ai pas vu sourire.
-C'est une expérience.
-À notre intention?
-Je m’entraîne.
-Tu t’entraînes à quoi?
- Tu n'as pas remarqué qu'on nous demande de toujours sourire pour ne pas effrayer les hommes?
-Il suffit d'un sourire pour que l'on te croit neutralisée.