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Découvrir la prose d'un auteur par la lecture de son autobiographie, de près de huit cent cinquante pages qui plus est, reste particulier. Car je suis dans l'incapacité totale de juger l'homme de par sa fiction, je ne pourrai pas affirmer que ces pages correspondent à ce que le romancier écrit, que le style employé s'identifie à celui adopté dans ses romans, par exemple. Quoi qu'il en soit, lire, et encore plus écrire, sur un auteur israélien est une chose plutôt délicate puisque le lecteur sait par avance qu'il ne pourra éviter le sujet plus qu'épineux du conflit israélo-palestinien, même si de toute évidence, ce blog n'est pas l'endroit pour étayer mon avis à ce sujet. Revenons à notre récit. Quelques lignes nous présente l'homme, en guise de préambule, ce qui n'est pas inutile puisqu'elles contextualisent la position idéologique d'Amos Oz en tant que citoyen israélien, appartenant au parti sioniste de la gauche favorable au partage des territoires. Et finalement c'est un thème, même s'il n'est pas forcément sujet premier de son récit, qui restera constamment implicite lorsqu'il évoquera sa famille.

La famille, fil conducteur de cette autobiographie, constitue, on le ressent, l'essence même de l'homme et de l'auteur qu'incarne Amos Oz: la présence de ces aïeux ont nourri le petit garçon sur lequel s'ouvre cette histoire bien avant l'homme et l'auteur en lequel il s'est mué. C'est un lourd et héritage qu'est le sien, qui prend une place importante de la vie de l'homme, dont on comprend que la personne qu'il est devenu est un concentré et une lente fermentation du mélange des personnalités qui ont façonné son histoire familiale. Une histoire pour le moins complexe, enchevêtrée de personnalités autant multiples qu'uniques, définies par le mélange bigarré de cultures très différentes: rien que dans le cercle familial restreint, celui formé par Amos et ses parents, les deux adultes parlent russes entre eux, lisent en anglais et allemand, parlent l'hébreu avec leur fils, et selon ce dernier, « rêvaient probablement en yiddish ». Une famille composée entre autres du grand-oncle, figure éminente des haute-sphères littéraires de Jérusalem, Yosef Klausner, auteur prolixe, professeur de littérature hébraïque à l'université de Jérusalem, son frère et grand-père d'Amos, Alexandre Klausner le commerçant, poète incompris, qui a toujours tenu secret sa passion, et sa femme Shlomit, qui organisa un des premiers salons littéraires du temps de leur vie à Odessa.

Parmi cette profusion d'anecdotes sur ses aïeux, revient en point central et comme un leitmotiv incessant,

L‘Europe apparaît comme un mirage extraordinaire, l'eldorado de la civilisation culturelle selon le couple, la famille Klausner et Mussman, dont la littérature parsème à longueur de lignes le récit du fils, comme leurs auteurs, Tolstoï, Dostoïevski, Tchekhov, considérés comme des demi-dieux. Cette même passion de l'Europe et de son capital culturel atteint très tôt l'enfant. On ressent totalement cette double culture, occidentale et orientale, qui entache le jeune Amos, ses parents, ses grand-parents: la narration trouve ses sources à la fois en Europe et en terre d'Israël, Eretz-Israël, et c'est cette dualité-là qui confère toute sa richesse et sa complexité à la nature d'Amos: ce mélange d'occident et d'orient, dont les images défilent et alternent en se suivant, se juxtaposant, se succédant les unes aux autres. À côté de cette culture occidentale et de ses clochers de ses villages enneigés, il nous dépeint entrecoupant le récit personnel et familial, l'histoire de la ville sainte Jérusalem, de ses cafés étincelants et bruyants, des communautés qui arrivent encore à vivre ensemble. L'identité composite de cette famille est à l'image de la population disparate de Jérusalem d'avant-guerre, la guerre civile de 1947 qui a suivi le vote de l'ONU pour un plan de partage de la Palestine, véritable bouillons de culture où juifs, arabes, anglais se côtoyaient.

Issu, par chaque lignée parentale, de l'immigration juive, la famille d'Amos Oz était clairement sioniste, la création d'un état hébreu allait pour eux naturellement de soi. L'auteur, quant à lui, était plus modéré et pacifiste dans son approche géopolitique de cette zone du moyen-orient, prônant une réconciliation israélo-arabe. Cette communauté juive en son sein est elle-même déchirée entre plusieurs corps distincts: les pionniers, ceux qui sont en Palestine avant la création de l'état d'Israël, les immigrés russes, les immigrés des pays arabes, les rescapés de la Shoah eux-mêmes méprisés par les plus sionistes d'entre eux. Il est intéressant d'observer comment ce narrateur, annexionniste, arrive à prendre habilement ses distances par rapport à ce discours rigoureusement sioniste qu'il ne cesse d'entendre au sein du cercle familial. Tandis que ces derniers tiennent des positions plutôt tranchées, sans concessions, Amos Oz de son côté a choisi la modération et penche plutôt en faveur d'un compromis entre palestiniens et israéliens. Se détachant de son héritage familial par cet aspect-là, il est n'en demeure pas moins qu'il ne peut contester cet héritage culturel qui ne cesse de se transmettre: la littérature se transmet chez eux comme un patrimoine inépuisable de richesse. du grand-oncle, Yosef Klausner, figure incontournable de la Jérusalem littéraire, au père, Arieh Klausner, bibliothécaire, dans l'ombre permanente de cet oncle malgré un travail acharné, finira par obtenir à Londres à un âge déjà avancé une place de professeur à l'université, jusqu'au narrateur lui-même, qui avoue bien volontiers avoir commencé à lire très tôt. le livre comme objet rassurant qui le place dans un cocon atemporel et bienfaisant, un lieu d'entre-soi qui le ramène à cette enfance, qui lui apparaît a posteriori comme une sorte de paradis perdu. Ces bibliothèques reconstruites par son récit, mais passées, celle de son grand-oncle, de son père, d'amis, la sienne propre constituent un univers complémentaire, l'univers spirituel, à celui de cette Jérusalem ancrée dans la réalité de ses conflits larvés.

Finalement, on ressent pleinement le plaisir, la douleur aussi, qu'Amos Oz prend à faire revivre cette famille, et plus que tout, ses parents, sa mère. Sans aucun doute, celle-ci est totalement mythifiée, sa figure idéalisée, son empreinte indélébile. Plus qu'une simple autobiographie, c'est un document d'une incroyable complexité, d'une richesse sans égale en termes de culture, d'histoire, de géopolitique, d'une érudition rarement égalée mais aussi d'un travail mémoriel, de réflexion, et stylistique, incroyable. Cette lecture a été un véritable choc pour moi, car l'intelligence de l'homme n'a d'égale que son humanité et le bonheur que m'a procuré son écriture. Il me tarde de découvrir d'autres oeuvres de l'homme de lettres, rien que pour me confirmer le talent d'Amos Oz.



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J'ai dévoré ce livre. Je le relirai dans quelques années... Il fait partie des livres que l'on peut relire avec profit.
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Si vous avez envie de sortir de l'ornière "Israéliens méchants Palestiniens gentils", voilà le livre idéal. Amos Oz est né en 1939, à Jérusalem. Fils unique de la jolie dame de la couverture, et du monsieur gentil et malhabile aux grosses lunettes, le petit enfant blond grandit, ni dans l'opulence ni dans la misère, regarde, écoute. Il ne donne aucune leçon, il ne défend pas une thèse, non. Il raconte.
Il raconte d'où viennent ses parents, là-bas en Europe de l'Est. Il raconte ce qu'il sait de leur arrivée à Jérusalem en 1937, pour ceux qui ont eu la bonne idée de quitter leur Lituanie ou leur Pologne avant la guerre. Il raconte l'itinéraire des ancêtres, les grands-parents et même leurs parents, la filiation, ceux qu'il connait et regarde vivre, et les autres qu'on découvre sur les photos.
Il raconte le quotidien planplan et pourtant riche de détails, tous ces intellectuels ultra-cultivés qui peinent à trouver une place un tant soit peu brillante dans ce monde tout neuf où on cherche plutôt des bras à bronzer et à muscler dans les kibboutz. L'école, les livres qui envahissent la maison, les visites aux grands-parents, les coups de coeur, l'imagination au pouvoir de l'enfant unique. Ce moment du vote de l'ONU en 1948 où le pays revendiqué, Israël, allait obtenir l'agrément du monde - ou au moins de 51% du monde - et dix secondes après, l'attaque des Arabes pour essayer de vite éradiquer ces gens dont ils ne voulaient pas. Mais tout ça est moins important que papa et ses jeux de mots foireux, maman et ses remarques énigmatiques, grand-père devenu veuf et soudain, gros dragueur à la remarquable courtoisie, grand-mère qui est morte de propreté, tous ces portraits de gens de bonne volonté avec leurs caractères à la noix. En mettant tout à plat, sans plaider, sans chercher à convaincre.
La photo sur la couverture se fait bien présente tout du long de la lecture du livre. A présent que je les connais, tous les trois, et si j'encadrais cette mini-famille que je viens de rencontrer ? C'est qu'on l'a suivi goulûment ce petit, qui aime les mots, aime leur histoire et les histoires qu'ils composent, aime lire, aime imaginer, de tout temps romancier, en quelque sorte, même s'il met du temps à s'en donner l'autorisation. On sent qu'il ne veut rien oublier, qu'il veut graver tout ça pour longtemps, que ça soit fait, clair, exhaustif. Pour lui, pour ses enfants, pour passer à autre chose la conscience tranquille.
Il est resté beau, Amos, et son histoire personnelle l'a conduit bien haut, avec cette sorte d'humilité paisible qui guide le petit garçon.

Plein de citations joliment troussées, comme :

"Un amphithéâtre de cheveux noirs auréolait une légère calvitie"

"Je détestais les omelettes et le corned beef. En fait, je crois bien que j'enviais les petits Indiens qui mouraient de faim et que personne n'obligeait jamais à finir leur assiette".

"En Amérique, par exemple, où il y avait des hold up de trains postaux, des chercheurs d'or, celui qui avait massacré le plus grand nombre d'Indiens gagnait la plus jolie fille. Telle était l'Amérique au cinéma Edison : la jeune fille récompensait le meilleur tireur. Mais qu'en faisait-il, je n'en avait aucune idée. Nous aurait-on montré une Amérique où, au contraire, celui qui avait tiré le plus grand nombre de filles gagnait le plus bel Indien, j'aurais crû que c'était dans l'ordre des choses, un point c'est tout."


Des passages sur l'amour des mots, de la langue et sa liberté.
Par exemple, l'hébreu était quasi une langue morte, qu'on a fait renaître de ses cendres pour unifier le pays… Une langue qu'il a fallu enrichir avec tous les mots de la modernité :

"Dans mon enfance, je vouais une grande admiration à mon grand-oncle Yosef parce que, m'avait-on dit, il avait inventé des mots quotidiens, des mots qui semblaient avoir existé depuis toujours, comme mensuel, crayon, iceberg, chemise, serre, toast, cargaison, monotone, bigarré, sensuel, grue, rhinocéros. Qu'aurais-je porté le matin si mon grand-oncle Yosef ne nous avait pas donné la chemise ? La tunique rayée de Joseph ? Et avec quoi aurais-je écrit sans mon crayon ? Avec une mine de plomb ?
Un homme capable de créer un mot et de l'injecter dans le principe vital de la langue me semblait à peine inférieur au Créateur de la lumière et des ténèbres. Un écrivain aura peut-être la chance d'être lu quelques temps, jusqu'à ce que son livre soit supplanté par d'autres, meilleurs que le sien. Mais l'inventeur d'un mot entre dans l'éternité.
En fermant les yeux je revois ce vieillard frêle et distrait, sa moustache douce, ses mains délicates, se frayant un chemin dans un pays de géants, peuplé d'une foule bigarrée d'immenses icebergs, de hautes grues, de rhinocéros à la peau épaisse qui tous, les grues, les rhinocéros et les icebergs, s'inclinaient poliment pour le remercier."

"Dans le conte qu'elle me racontait, ma mère ne mâchait pas ses mots, et sans considération pour mon jeune âge, elle me dévoilait les provinces reculées et pittoresques de la langue, que le pied d'un enfant n'avait jamais foulées, là où demeuraient les oiseaux de paradis du langage."

"Pour écrire un récit de 80.000 mots, il faut prendre environ un quart de million de décisions : non seulement concernant le développement de l'intrigue, qui vivrait ou mourrait, qui serait amoureux ou volage, qui s'enrichirait ou se ridiculiserait, quels seraient les noms les images les habitudes et les occupations des personnages, les divisions en chapitre, le titre du livre (c'était là les décisions les plus simple), ce qu'il fallait raconter, passer sous silence, ce qui venait avant ou après, ce qu'il convenait d'exposer en détail ou par allusions (décisions faciles là aussi),
mais aussi des myriades de choix subtils s'imposaient encore, comme, par exemple, écrire bleu ou bleuté dans la troisième phrase avant la fin de paragraphe. Ou peut-être azuré ? Azur ? Bleu foncé ? Ou bleu-gris ? Et ce bleu-gris là, fallait-il l'introduire au début de la phrase ? Ou valait-il mieux le placer à la fin ? Au milieu ? Ou encore en faire une indépendante très brève, avec un point devant et un point après, suivi d'un autre paragraphe ? Ou valait -il mieux que cette nuance soit entrainée par le courant d'une phrase ondoyante et complexe, riche en subordonnées ? A moins de se contenter de quatre mots : "la lumière du soir", sans la colorer de bleu-gris ou d'azur cendré ?…"
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La mort d'Amos OZ (nom de plume d'Amos KLAUSNER), en 2018, a été l'occasion de rappeler l'excellence de cet auteur, que l'on présente souvent comme "poète", mais qui était aussi romancier. Ici, ce n'est pas un roman, mais tout simplement l'histoire de sa famille, et la sienne, du moins celle de son enfance et de son adolescence. Famille juive de l'Europe de l'Est, elle pût en partie échapper aux poursuites nazies en rejoignant Jérusalem en 1933. Certains, toutefois, périront dans les camps. le récit d'Amos Oz est par conséquent un témoignage de cette époque, et de la façon dont les juifs ont vécu ces événements: leur arrivée en Palestine arabe, le vote de l'ONU, fin 1947 qui déclare l'Etat d'Israël, la guerre immédiatement déclenchée contre cette décision par le pays arabes, la victoire l'Israël en mai 1948. Et une multitude d'anecdotes empruntées à la vie quotidienne.
D'un point de vue historique, ce récit est tout à fait intéressant. Il est de plus écrit dans une belle langue, avec au fil des pages de superbes envolées poétiques.
"Amour", car cette famille d'intellectuels est aimante et bienveillante. "Ténèbres", car A.Oz a connu un drame: le suicide de sa mère alors qu'il avait 12 ans. Ce souvenir pèse tout au long du livre.
850 pages: ici, cela ne paraît pas long. Ceux qui s'intéressent à ce pan de l'Histoire trouveront dans cette lecture énormément de sujets de satisfaction et feront beaucoup de découvertes.
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Magnifique autobiographie. Des pages bouleversantes. Beaucoup de noms cités, trop à mon goût. Des redites. Peut-être pas assez "édité", manque un coup de ciseaux ici ou là. C'est l'avis de VG. A la réflexion c le mien aussi. Néanmoins un monument. Je l'achète après lecture et le garde.
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Dans Une histoire d'amour et de ténèbres, l'auteur convoque tous les personnages de son enfance, parents et grands-parents, famille, voisins et amis, en re-créant un monde disparu. Il mêle son présent au souvenir des siens, européens convaincus ayant fui l'antisémitisme pour s'installer à Jérusalem, où l'émigration ne ressemble pas au paradis annoncé (intellectuels polyglottes condamnés à parler un hébreu hésitant, à exercer des tâches ingrates, à vivre dans un certain dénuement…).
Ce texte inclassable, à la structure complexe, composé de récits enchâssés, d'épisodes drôlatiques et de scènes émouvantes ou pathétiques, mêle la chronique intime et l'Histoire. le suicide précoce de la mère d'Amos, souvent évoqué au cours du roman, clôt ce récit magistral d'une enfance aux premiers jours de l'Etat hébreu.
Lien : https://balises.bpi.fr/litte..
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Pas pu lire plus de cinquante pages. Mal à l'aise avec cette culture. Peut-être à reprendre plus tard.
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Un écrivain remarquable il a écrit son livre comme un musicien écrit une partition de musique avec des mélodies qui sont reprises de manière systématique comme des refrains que l'on fredonne et chaque personnage est un instrument de l'orchestre. Excellent
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Très bel ouvrage présent dans ma bibliothéque pas si facile que cela â lire ,mais d'une richesse ,historique ,fraternelle,religieuse ,.On apprend beaucoup et on met du temps à le (digérer)si j'ose une expression triviale!!!!!
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Livre un peu decevant, vu l'enthousiasme des critiques à sa sortie. je me suis accroché tant que j'ai pu mais aucune empathie avec les personnes.
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