Un vieil homme s'installe dans un petit village de montagne. « Je suis venu ici pour disparaître dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant », dit-il. Et on ne sait pas vraiment ce qu'il entend par là. Veut-il se cacher ? Fuir des indésirables ? Mourir ?
Sa seule occupation : rester assis devant la maison, pendant des heures, sans rien faire. Mais soudain, lorsque la nuit est bien noire, sur le flanc rocheux en face de lui s'allume une petite lumière. Que représente-t-elle ? Y a-t-il quelqu'un, de l'autre côté, qui, comme lui, veille ?
Pour le savoir, il faut qu'il aille s'en rendre compte de visu.
Ce roman graphique est l'adaptation de l'oeuvre d'
Antonio Moresco, que je ne connais pas, mais je vais y remédier dans les plus brefs délais.
L'histoire est étrange et terriblement envoûtante. Assis à côté du personnage, le lecteur ne sait plus s'il rêve ou s'il est éveillé.
On ouvre l'album sur une belle double page dans des tons verts, marquant une forte opposition entre des hirondelles qui s'approchent, venant de l'infini, fixent, droit dans les yeux, celui qui les regarde et bifurquent vers le village perché. Cette construction humaine semble minuscule et dérisoire. Les oiseaux qui accompagnent la lecture jusqu'au bout, eux, ont l'air énormes.
Tout au long de son aventure, l'homme rencontre des créatures étranges : les blaireaux aux yeux phosphorescents qui l'obligent à dévier de sa route, un molosse qui semble le poursuivre, un berger spécialiste des extraterrestres, qu'il nomme « les Aliènes » et bien d'autres. Régulièrement, des sons inquiétants se font entendre. Ils apparaissent sous forme d'onomatopées énormes, qui se détachent, la plupart du temps, en blanc sur fond noir : « CRR...CRAC », « BRRRRRRRRRRR », « VRAAA », mais ce ne sont pas les seuls. de nombreux cris d'animaux, bruits de pas sur le plancher de l'étage, ou encore sabots de chevaux sous la pluie, sans parler des chats qui se pressent à ses pieds en miaulant dès qu'il va faire ses courses, ou des chiens qui semblent lui en vouloir et aboient furieusement.
Le découpage est original : aucune des vignettes d'une page n'a la même taille qu'une autre. Elles occupent tantôt toute la largeur de la planche et, tantôt carrées ou rectangulaires, voire gigantesques, colonisent la totalité de l'espace, quand ce n'est pas de la double page.
Les couleurs sont un peu ternes, dans les verts et les ocres, comme un paysage automnal, parfois quelques taches rouges ou bleues, mais une bonne partie de l'histoire se déroule de nuit. le noir est alors profond, quelquefois constellé d'étoiles.
Forcément peu de phylactères, puisque ceux-ci servent à contenir des dialogues et que notre homme est solitaire. Mais son monologue intérieur ou ses pensées se matérialisent par des mots ou des phrases, parfois un récitatif, qui se baladent partout autour de sa silhouette.
Il y a énormément d'implicite. C'est au lecteur de se forger sa propre opinion. Et j'apprécie tout particulièrement qu'on nous fasse un peu travailler, qu'on ne nous mâche pas la besogne.
J'ai trouvé l'histoire très touchante, même si elle est forcément triste. Et que dire de la fin, sinon qu'elle est très belle et que les dernières images persisteront longtemps sur la rétine.
C'est un album que j'ai adoré et que je recommande chaleureusement, mais à éviter pour les dépressifs ou ceux qui ont simplement envie d'une historiette à déguster sur une plage. Pour les amateurs éclairés, je dirai : « Attention, chef d'oeuvre ! »