"L'égalité des sexes, quel ennui!" C'est cette affirmation un brin iconoclaste qui ouvre le message qui figure en quatrième de couverture de "
Croque-monsieur", recueil de nouvelles de
Ray Parnac. Considérant que l'ennui naquit un jour de l'égalité, l'auteure, qui vit à Londres depuis vingt ans, offre ici quatre nouvelles courtes et tranchantes qui sont autant de variations sur les jeux de pouvoir entre les sexes. Sachant que souvent, le sexe faible n'est pas celui qu'on croit, et vice versa. le tout, avec un certain sourire...
Questions de distance
L'auteure prend du recul par rapport à ses personnages, et préfère le plus souvent les regarder évoluer avec un sourire en coin, qui évacue l'idée de jugement mais ne se montre jamais dupe. Ce sourire est souligné par de discrètes formules astucieuses ou décalées: par exemple, et pour évoquer le titre de la dernière nouvelle, qu'est-ce qu'une "femme à 90%"? Et que peut-être un "
Croque-monsieur", à part une spécialité culinaire - surtout si l'on comprend l'expression au sens littéral?
Enfin, certaines ellipses ironiques confèrent à la narration une couleur ingénue: "Elle fit ainsi allusion à une mystérieuse valeur ajoutée puis se laissa glisser sous son bureau. - La petite affaire faite, elle déposa son butin dans la tasse en porcelaine de l'homme,...", lit-on au terme du récit d'un entretien qu'on devine important - embauche, peut-être.
De ce point de vue, "Ricky Love et moi" se place à part dans le recueil: c'est la seule nouvelle écrite à la première personne. Dès lors, ce n'est plus la voix de l'auteur qu'on entend, mais celle de Soo, le personnage principal: une femme en détresse psychique. Une voix crédible! Celle-ci crée un supplément d'empathie entre le lecteur et le personnage de Soo, et adopte une démarche de rapprochement qui tranche avec la prise de distance teintée d'ironie qui caractérise les autres textes.
Questions de pouvoir
"
Croque-monsieur", ai-je dit - j'ajoute que c'est une manière comme une autre de prendre le pouvoir. Au fil des nouvelles, l'auteure montre des femmes qui prennent le pouvoir, sans armes, sans haine et sans violence.
Il y a aussi une manière de tenir les hommes par le sexe dans "A la force du poignet" (superbe double sens dans le titre - je ne vous en dis pas plus, mais en fait vous en savez déjà trop...). Il s'agit d'une évocation fataliste de la violence conjugale pratiquée par une femme à l'encontre de son conjoint ("Je te tiens..."). Dans cette nouvelle, cependant - pouvoir suprême de l'auteur, celui de manipuler le lecteur - a-t-on vraiment envie de prendre le parti de ce mari battu? Si oui, on adopte le point de vue d'une sorte d'eunuque; sinon, on cautionne la violence conjugale au féminin. le choix est impossible...
Enfin, le pouvoir de l'amour, d'autant plus fort qu'il n'est jamais vraiment dit, a des conséquences tragiques dans "Ses mains de gaucher", une belle évocation sentimentale de l'incommunication qui caractérise notre société.
Questions de modernité
Ce recueil de nouvelles est résolument actuel, et touche à des situations et des thèmes généralement des plus ordinaires pour notre temps - avec un surcroît de romanesque dans "Gabriel se décarcasse", nouvelle portée par un certain humour à l'anglaise; mais quelle femme n'aimerait pas que son amoureux se décarcassât pour elle comme Gabriel?
L'actualité des nouvelles de "
Croque-monsieur" est soulignée par une ambiance cosmopolite, faite de l'utilisation discrète d'anglicismes. Ceux-ci s'accompagnent d'un décor qui, au fil des nouvelles, oscille entre France et Grande-Bretagne - cette oscillation étant illustrée au mieux par la nouvelle "
Croque-monsieur". Quant aux noms, ils ont volontiers une consonance bien anglaise.
Présente de façon discrète (quelques répliques, des noms de personnages, des anglicismes) dans ce recueil, la langue anglaise pourrait figurer ici, voire souligner, la volonté d'universalité des nouvelles du recueil. Une universalité évidente: il est question d'amour, de pouvoir, de relations humaines... autant de choses qui devraient parler à des lecteurs avides de textes courts et incisifs, finement ironiques, à lire et à méditer.
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