''les gens ici, à cause de mon accent, ils me disent « mais qui tu es, toi ? Tu es quoi, portugais ou italien ? Ou je ne sais pas quoi... ». Et moi je réponds toujours « je suis Abel Mucha, c'est tout. » Partout où je vais, je suis le même.'' (p. 159)
Un peu crispé sur le volant, je sentais renaître et grandir au creux de mon estomac une sensation familière.
Une vague nausée de petit garçon.
Celle des longs voyages en voiture que nous faisions en famille.
Je l'avais longtemps crue, dans mes souvenirs, provoquée par l'odeur un peu écoeurante de la bagnole . Celle du plastique chaud...des restes de sandwich ...mêlée au défilement sans fin du paysage, de plus en plus aride...comme sur un manège infernal....dont on ne pourrait s'échapper.
En observant aujourd'hui mon père s'enfermer en lui-même ... je retrouvais ce malaise de mon enfance.
Il n'était en fait que la perception, et l'expression dans mon propre corps, des tensions irradiées par mon père lorsque nous prenions la route pour aller chez mes grands-parents;
J'en ai marre que tu attendes que les autres aient envie pour toi.
J'écoutais les conversations avec avidité comme on prend un dernier bain avant de quitter la plage. Je pensais à mon grand-père. Je n'en ai aucun souvenir, il est mort dans ma petite enfance. J'ai toujours trouvé normal d'en savoir si peu sur lui. "Les absents on toujours tort". Il aurait dans les 90 ans aujourd'hui. Il ressemblerait peut-être à ce monsieur.
Si tout le monde parle français avec toi, jamais tu apprends le portugais...
(...) ce soir là s'est scellée la lente dilution de notre famille, ces ruptures répétées entre les générations... une famille où il est si difficile de se sentir libre. Où les hommes ont du mal à mener leur vie. En réalité je n'en savais foutrement rien. Mais le penser m'avait fait du bien.
Je ne pouvais pas m'empêcher d'imaginer tous ceux qui avaient traversé cette frontière avant moi dans une de ces nuits d'orage clandestines où il faut courir sur des rochers glissants le sac en bandoulière sans penser à ce qu'on laisse derrière soi.
« _ Tu penses à quoi, là, maintenant ?
_ Ben... À Fort Alamo.
_ Ahahah ! Tu es encore plus saoul que moi.
_ C'est possible...
_ Sérieux... À quoi tu pensais ?
_ Ben... À ça. Enfin, à nous... À notre famille, au milieu des 125 Bourguignons. Et après, ça m'a fait penser à Fort Alamo. Seulement... Dans Fort Alamo... on est menacé de l'extérieur ! Tu comprends ?
_ Pas du tout.
_ Laisse tomber. »
« _ Tu penses comme tu veux... mais moi je dis que on va en France pour le travail ! Parce que la France, c'est un pays comme ça ! Elle a sauvé des milliards de Portugais... que ici ils n'avaient rien du tout !
_ Quoi "sauvés" ?? Quoi ?? Les emigrantes, ils ont travaillé, personne ne les a sauvés...
_ Je...
_ Sim ! Ils ont travaillé ! Des fois comme des chiens ! Ce sont eux qui ont sauvé leurs vies, tout seuls, comme tous les travailleurs ! C'est pas la France. Ils ne doivent rien à la France. Rien. »
- Je pensais à nous. Je me disais... "En fait, il appelle pas parce qu'il n'a pas envie." Voilà. C'est aussi simple que ça. Comme il a plus envie d'écrire... ou de baiser... Il a "pas envie".
J'ai tellement l'impression d'aller te chercher... Tout le temps... Et moi, je sais plus... Je suis plus quoi faire...
Putain mais dis quelque chose !!