Alors que dans Bordeaux pavoisé, les rues du centre de la ville devenaient une véritable fourmilière en révolution ou une kermesse désordonnée, la répression spontanée et la justice populaire s'exerçaient déjà: à l'angle de la rue Vital-Carles et du cours de l'Intendance, on jeta à la rue, sans discernement, le contenu de la bibliothèque allemande; place Gambetta, les vitrines du café Régent, fréquenté naguère par l'occupant, volèrent en éclat sous les pavés vengeurs; cours Georges-Clémenceau, une cinquantaine de personnes en délire menèrent un homme blême porteur d'un panonceau "Vendu"; place Tourny, des maquisards excités tirèrent au jugé sur d'invisibles miliciens, qui cherchaient, parait-il, leur salut sur les toits des immeubles; près de l'Hôtel de ville, rue Bouffard, dans la cour de l'hôtel Lalande, qui abritait un poste de police, quelques femmes tondues furent parquées, craintives et inquiètes, sous l'oeil goguenard d'hommes armés.
Bordeaux était libéré.
Au Royal-Gascogne, demeurait en résidence surveillée, une personnalité destituée: Adrien Marquet. Deux jours plus tard, Gabriel Delaunay le fera enfermer au fort-d-Hâ. Quelques années plus tard, Marquet lui témoignera sa reconnaissance pour cette incarcération qui lui avait certainement sauvé la vie.
La police française, de son côté, se signalait par le zèle qui animait certains de ses membres dans la chasse aux résistants. L'un d'eux se fit remarquer plus particulièrement par son activité répressive: le commissaire de police Pierre Poinsot, qui ne dissimulait pas sa sympathie pour les cagoulards dont il se vantait d'avoir fait partie.
Nommé à Bordeaux en octobre 1938, il avait été affecté au poste de la gare, où il avait pu donner la mesure de "ses aptitudes" en organisant la surveillance des réfugiés espagnols. (...) Avec l'arrivée des troupes allemandes, il avait élargi son champ d'activité, s'intéressant aux membres des loges maçonniques, aux Gaullistes, bref, à tous ceux qui s'opposaient au régime en place ou à l'occupant.
Dès lors, poursuivant sa tâche avec méthode et ténacité, il arrêta en quelques mois plus de trois cents suspects et procéda à près d'un millier de perquisitions, n'hésitant pas à se mettre à la disposition des autorités allemandes qui lui confièrent des missions répressives. Sa haine des communistes, des gaullistes, des francs-maçons ou des juifs, son admiration sans borne pour les méthodes nazies et son dévouement pour la collaboration firent de lui le plus zélé des partisans français que la Gestapo et la Feldgendarmerie aient pu trouver dans le Sud-Ouest.
Guy Penaud, Commissaire honoraire Historien
Festival Simenon 2010 (Les Sables d'Olonne, France)