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sur 89 notes
On ne lit pas Monstrueuse féérie, on plonge dedans, comme dans une eau rutilante où fleurit l'amour d'un gentil narrateur pour son elfe et là très vite on s'embourbe. Une vase gluante de visions et de descriptions, de mots nous retient par les pieds au plus profond de notre inconscient. Les apparitions prolifèrent : celles de nos légendes et contes des temps passés, les phantasmes les plus inavouables et les souffrances psychiques se font chair, pas toujours fraîche et belle à contempler. On vous l'avait dit : la féérie sera monstrueuse. Mais les monstres ne sont-ils pas ce qui montre, se montre tel qu'il est, ce que l'on dévoilait dans une foire ou l'on évoque au détour d'un conte ?
Troisième lecture cette année à propos des liens que peuvent entretenir la folie et la littérature.
Raphaël Gaillard nous rappelle que folie et création ne sont pas consubstantiels mais que les artistes comme les gens atteints de maladie mentale remettent en cause le rapport apparemment anodin que nous entretenons avec le langage.
Shoshana Felman, elle nous rappelle que la littérature pour évoquer la folie, se fonde sur un "rythme imprévisible" une forme de répétition qui exprime l'échec de cette folie à s'exprimer entre un "trop-plein-de-sens et le trop-vide-de-sens".
Qu'en est-il de Laurent Pépin ? Celui-ci prend le pari de nous parler de la folie dans un récit subjectif, en la vivant, (du moins le narrateur la vit), en la souffrant même mentalement, laissant sa paranoïa s'exprimer et ce de la façon la plus poétique et la plus lyrique possible.
Dans son récit, les grands complexes, le refoulé, les terreurs et les pulsion inavouables prennent forme, la terrible forme de ce qui nous hante mais aussi la féérique logique des contes de notre enfance.
Laurent Pépin fait le pari de la tendresse, il nous réconcilie avec cette folie ou avec nos propres démons et comment on les traite.
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Une vraie découverte. Un conte pour adultes poétique, grinçant, innovant, qui se lit d'un trait. Bravo à Laurent Pepin pour cette pépite !!! le style est alerte et précis. L'intrigue est déroutante. La langue est foisonnante et dense. On attend impatiemment la suite !
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Une fable onirique et horrifique

Conte singulier et captivant, 𝑴𝒐𝒏𝒔𝒕𝒓𝒖𝒆𝒖𝒔𝒆 𝒇𝒆́𝒆́𝒓𝒊𝒆 nous plonge dans l'univers halluciné d'un narrateur sans nom, psychologue travaillant en centre psychiatrique, dans le service des 𝑚𝑎𝑙𝑎𝑑𝑒𝑠 𝑣𝑜𝑙𝑢𝑏𝑖𝑙𝑒𝑠.
Il est confronté aux décompensations psychotiques - renommées poétiques - de patients qu'il appelle 𝑀𝑜𝑛𝑢𝑚𝑒𝑛𝑡𝑠. La démence de ses patients volubiles est une fête du langage, une folie créatrice composée de contenus délirants et lyriques, et on suit les inventions de Didier, Blanche-Colombe ou Jean-François, dont le narrateur adore parler à son Elfe.

Le narrateur a une relation amoureuse avec une Elfe qui va enchanter et réconforter sa vie. Il nous raconte sa liaison avec elle et les raisons de son départ. Cette Elfe, dont on ne sait pas très bien si elle est réelle ou imaginaire, va rompre et disparaitre. En souffrance psychique depuis le décès de 𝑙𝑎 𝑚𝑒̀𝑟𝑒, il vit enfermé dans sa bulle, seul sur l'îlot de son existence ; l'Elfe part petit à petit car le gouffre dans lequel le narrateur plonge l'aspire elle aussi.

« 𝐽𝑒 𝑛𝑒 𝑠𝑎𝑖𝑠 𝑝𝑎𝑠 𝑑'𝑜𝑢̀ 𝑗𝑒 𝑠𝑢𝑖𝑠 𝑚𝑎𝑙𝑎𝑑𝑒… 𝐸𝑛𝑓𝑖𝑛, 𝑠𝑖, 𝑗𝑒 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑗𝑒 𝑠𝑢𝑖𝑠 𝑚𝑎𝑙𝑎𝑑𝑒 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑚𝑎 𝑡𝑒̂𝑡𝑒 𝑑'𝑎𝑢𝑡𝑟𝑒𝑓𝑜𝑖𝑠. 𝑀𝑎𝑖𝑠 𝑜𝑛 𝑛𝑒 𝑝𝑒𝑢𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑔𝑢𝑒́𝑟𝑖𝑟 𝑑𝑒𝑠 𝑠𝑜𝑢𝑣𝑒𝑛𝑖𝑟𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑛𝑒 𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑎𝑝𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒𝑛𝑛𝑒𝑛𝑡 𝑝𝑙𝑢𝑠. »

Le narrateur est envahi d'une folie féérique et monstrueuse. Il est sujet à des hallucinations et nous fait plonger dans son passé où nous découvrons les fantômes et monstres de son enfance.
Le récit est parsemé de flashbacks : des allers et retours qui ressurgissent vers son enfance et son adolescence ; le poids de ces périodes formatrices pèse continuellement sur sa vie d'adulte.

« 𝐽'𝑎𝑖 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑜𝑏𝑙𝑒̀𝑚𝑒𝑠 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑑𝑒𝑠 𝑠𝑜𝑢𝑣𝑒𝑛𝑖𝑟𝑠… 𝐼𝑙𝑠 𝑚'𝑒𝑚𝑝𝑒̂𝑐ℎ𝑒𝑛𝑡 𝑑'𝑒𝑥𝑖𝑠𝑡𝑒𝑟 »

Des rêveries lui permettent de s'échapper pour oublier son quotidien d'enfant délaissé par 𝑙𝑎 𝑚𝑒̀𝑟𝑒 et qu'il ne verra plus à partir de son adolescence. Sa relation avec 𝑙𝑒 𝑝𝑒̀𝑟𝑒 est encore plus sombre ; d'une saleté repoussante, il lui fait peur depuis toujours : il a pour passion la taxidermie et a même pour projet le meurtre de ses enfants - une atmosphère d'infanticide parcourt l'histoire... Plutôt que de tuer ses enfants, il va les gaver, afin de les garder près de lui.
Au divorce de ses parents, 𝑙𝑎 𝑚𝑒̀𝑟𝑒, alcoolique, aide des SDF à apprendre le français, les cours d'alphabétisation se terminant dans le lit de 𝑙𝑎 𝑚𝑒̀𝑟𝑒. Elle enfantera des monstres qui terrorisent le narrateur.

Vers où sa 𝑓𝑢𝑔𝑢𝑒 ℎ𝑦𝑝𝑛𝑜𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 va le transporter ?

Laurent Pep, lui-même ancien psychologue clinicien au sein d'un centre psychiatrique fermé, s'est inspiré de son parcours pour l'écriture de sa 𝑴𝒐𝒏𝒔𝒕𝒓𝒖𝒆𝒖𝒔𝒆 𝒇𝒆́𝒆́𝒓𝒊𝒆.

Ce conte est le premier volet d'un triptyque qui se poursuivra en 2023 avec 𝒍'𝑨𝒏𝒈𝒆𝒍𝒖𝒔 𝒅𝒆𝒔 𝒐𝒈𝒓𝒆𝒔.
Lien : https://www.facebook.com/pho..
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Installé dans la ville de Saintes en Charente-Maritime, Laurent Pépin partage sa vie entre la psychologie et l'écriture. Monstrueuse féerie, son premier roman, explore les méandres de l'esprit des plus vulnérables en écho à son expérience de psychologue clinicien. Les prometteuses éditions Fables fertiles, tout juste écloses l'an dernier, nous font découvrir avec cette réédition une oeuvre magistrale, qui ne manquera pas de subjuguer et d'empoigner les amoureux de la littérature.

Ce qui plaît tout d'abord dans Monstrueuse féerie, c'est ce style empreint de clarté et de fluidité. Si le lecteur se demande aussitôt où ce récit singulier va le mener, une chose ne lui échappe point : Laurent Pépin sait manier la plume. Tout en simplicité, les phrases se succèdent dans un rythme harmonieux ; les images défilent dans notre esprit. L'on pourrait définitivement qualifier le style de l'auteur de cinématographique. La présence du “je” autobiographique plante le décor sans s'imposer à nous. Discrètement, les Monstres s'immiscent dans l'intimité du narrateur. Un face-à-face qui prête à réfléchir ; des personnages dans le personnage.

La dimension réaliste du témoignage se mêle à la poésie de l'autofiction. L'auteur ne se limite pas dans ses envolées lyriques ; il en parsème l'ouvrage, tout en retenue. Il saisit la magie quotidienne des éléments, en écho à son désespoir latent. Une sensibilité à mi-chemin entre la poésie surréaliste et les haïkus japonais. Et comme le rappelait Sainte-Beuve, “tout écrivain capable d'écrire un bon roman est plus ou moins poète”.

Monstrueuse féerie, ce n'est pas seulement un ouvrage sur la folie – et là encore cette “folie” réductrice fait tâche. C'est aussi le conte d'une histoire d'amour avec ses prémices, sa plénitude et son déclin. Un topos qu'il exploite avec brio, dans l'esprit de Pierre le Coz dont l'oeuvre est une succession de variations d'un même motif amoureux. Histoire d'amour qui se prête parfaitement à une telle mélancolie poétique.
Lien : https://zone-critique.com/20..
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Est-ce un conte? Est-ce un roman? C'est en tout cas une histoire perturbante à plus d'un titre pour moi... on oscille entre réalité et rêve, et en même temps on s'interroge sur nos propres folies...
On dit toujours qu'il faut être un peu fou pour être psy... on en a ici la confirmation.
Je ne peux pas dire que je n'ai pas aimé ce livre parce qu'à certains moments j'étais comme hypnotiser par les lettres et j'avais envie d'aller plus loin, plus vite. Et à d'autres je devais me forcer pour avancer.
Je ne peux que vous le conseiller pour vous faire votre propre opinion (mon elfe et moi sommes d'accord, c'est déjà ca 😉) et surtout merci 🙏 à l'auteur de m'avoir fait découvrir cette lecture
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"Monstrueuse féérie" ou le Bestiaire des rêves

Avec le conte, « Monstrueuse féérie », de Laurent Pépin, publié aux éditions Fables Fertiles, « L'épanchement du songe dans la vie réelle » de Nerval prend un relief tout particulier, insolite et envoûtant.

Sous des dehors de sobriété et de simplicité, le texte de Laurent Pépin entrouvre les portes de la perception pour laisser les Monstres faire leur lit de nos terreurs, de nos effrois d'enfance ; car, comme écrivait Michaux, « La nuit remue » en nous, le narrateur ouvre sa nuit intérieure à ce qui le hante, et cela remue, cafards, bêtes empaillées, hommes et femmes toxiques ou parents saturniens, prêts pour la dévoration des enfants.

Et pourtant, le narrateur, psychologue clinicien, se plaît à se confronter aux « Monuments », à la fois attachants et bouleversants, ceux que l'on nomme les « fous » et, dans sa vie déchirante, l'espoir survient, une Elfe, l'effraction de l'amour dans le désert des solitudes. le conte vient alors faire battre le coeur en féérie, les instants passés avec cet être fantasque relèvent d'un autre monde rêvé, plus réel que le réel.

Mais les enfants dépossédés de l'amour peuvent parfois devenir des adultes « possédés » ; il en est ainsi du narrateur qui développe, peu à peu, des rites de possession intimes vis-à-vis de l'Elfe, elle qui tentait de le sauver de ses démons ; mais les elfes ne respirent qu'en liberté : les enfermer, c'est les perdre, et c'est aussi, pour celui qui emprisonne, la perte de la raison, les mutilations, l'intrusion du bestiaire des rêves, toute une cosmogonie de monstres et de fin du monde. Laurent Pépin écrit : « J'y suis allé, moi, à la fin du monde. Les bords du Monde, c'est juste un fin rideau peint aux couleurs d'un ciel étoilé. Quand on le soulève en tirant dessus par la languette, il n'y a rien derrière. »

L'auteur nous l'apprend : rêver, c'est être rêvé : le néant nous absorbe, investit notre vie. Les monstres ne sont bientôt plus en nous: ils deviennent ce que nous sommes. Impossible de les circonvenir : ils reviennent, obstinés, têtus et toujours douloureusement invasifs.
Merci à l'auteur pour être allé si loin dans l'auscultation de ses terreurs les plus intimes et merci de nous emporter ainsi avec lui, dans l'effroi ou l'amour retrouvé, grâce à son style dépouillé et visionnaire, jusqu'à la fin de ce conte, si poignante et si belle.

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Où je vous parle de brocolis...

Une histoire d'amour, de la psy-(chanalyse)(chologie)(chiatrie), de la poésie : bref, un condensé de ce que je déteste lire.
C'est comme les brocolis, c'est dégueulasse et pourtant j'en mange et c'est parfois très bon. Même que je me régale. Et que j'en redemande. Car tout n'est pas dans les ingrédients, la recette et le talent du cuisinier feront que le plat est digne de Flunch, ou d'un restaurant étoilé...

Monstrueuse Féérie, c'est des brocolis délicieux, cueillis juste à maturité, choisis avec passion. de petites fleurettes tendres et légèrement croquantes. Sublimés à la vapeur d'un bouillon d'une culture foisonnante. le cuistot a su capturé l'essence des ingrédients pour un faire plat unique, indéfinissable et dont les saveurs restent longtemps en bouche et en mémoire.

Lorsque je regarde des émissions culinaires avec de grands chefs étoilés, je les entends toujours dire qu'un plat est une histoire, et sans histoire, pas de bons plats. Ce qui m'a toujours fait bien marrer : des histoires pour péter plus haut que son cul ! Mais un jour devant cette assiette de brocolis, j'ai su que c'était vrai. J'ai su capter la malice du cuisinier, qui a exploité avec talents les combinaisons d'épices (noires) pour en révéler le parfait accord.

C'est la parfaite recette. Et c'est toujours un plaisir que de retourner dans ce troquet déguster ces brocolis. Ici, le chef a révisé sa recette initiale pour lui donner une subtile variation, tout aussi délicieuse. Il parait qu'il va concocter d'autres recettes, cette fois avec des épinards et une autre avec des choux de Bruxelles. Et vous savez quoi ? Je suis très impatient d'y goûter.
 
En conclusion, les brocolis, c'est délicieux, mangez-en !
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Monstrueuse féérie
Oxymore : figure de rhétorique qui consiste, selon les dictionnaires, à « allier deux mots de sens contradictoire. » Rien de plus contradictoire, en apparence, que l'épouvantable monstre et l'elfe gracieux, qui finit toujours par le détruire ou le dompter à la fin du conte.
Mais les fous, les poètes et les lecteurs savent bien que la vérité est plus complexe. Ils savent que la Bête cache un coeur comme la Belle. Ils savent que la fée est aussi, par définition, un monstre, « être fantastique et terrible », capable, d'un coup de baguette, de pétrifier la Bête, de la réduire en cendres ou de l'engluer d'amour.
Les fous, les poètes et les lecteurs savent que les mots jouent de leurs sens multiples, que les êtres, banals ou monstrueux, sont tous infiniment complexes, que des univers prétendus étanches, comme l'ordre et la confusion, se révèlent poreux et communiquent, faute de gouffres, par d'innombrables micro-fêlures.
Nés de ses limbes, les Monstres intimes du narrateur – ô ironie, il est psychologue en milieu fermé – envahissent le récit dès l'incipit, enfantés à la chaîne par une mère-monstre elle-même, reine des abeilles promise à un bel avenir de mante religieuse, acharnée à pondre au point d'être réduite à un terrifiant oviducte : telle est pour lui l'origine du monde. le père, ogre minable, taxidermiste autodidacte confit dans sa crasse, rêve tour à tour de gaver ou d'empailler ses rejetons dans la meilleure intention possible : les sauver de la vie. Cauchemar organique qui oblige le fils à lutter pied à pied, dans un combat exténuant, contre sa propre décomposition.
Aux Monstres, il oppose les Monuments, ses patients psychotiques, dont il absorbe chaque jour, avec une tendresse à fleur de peau, la décompensation volubile. Chacun d'eux s'efforce de construire sa logique intime à partir de mots simples en apparence, mais chargés de nuances vibratoires, créant ainsi son propre langage. Ce langage ou plutôt ces langages multiples, le narrateur s'est donné pour mission non de les traduire pour ramener leurs inventeurs à notre pauvre réalité, mais de les apprendre, pour mieux pénétrer la leur. Loin d'être de simples malades, ils sont les passeurs d'une vérité dérangeante mais authentique, doux et fantasques piliers de la sagesse. « Aujourd'hui encore, j'entre en contact avec des gens extraordinaires parce que les autres me semblent affadir jusqu'au sentiment d'exister. »
Enfin, il y a l'Elfe, la bien-nommée, fluide, tendre, insaisissable – il ne faut pas emprisonner les elfes – et pourtant si présente au monde qu'elle peut en ouvrir tout grand la porte… encore faut-il avoir la force nécessaire pour s'y glisser à sa suite. « Je me suis servi de notre histoire pour me protéger, au lieu de la vivre avec joie… » regrette, trop tard, le narrateur.
Mais faire de Monstrueuse féérie l'histoire d'un soignant qui s'enfonce peu à peu dans sa propre psychose serait aussi réducteur que poser sur ce personnage un diagnostic clinique « en termes de neurones, de synapses ou de cognitions », comme sa collègue psychiatre. Fortement structuré, quoique de façon invisible, le conte est aussi foisonnant, semé de de chausse-trapes, de trous de souris, de bulles irisées, de coffres au trésor où des joyaux barbotent dans les fluides corporels.
Aux monstres privés du narrateur viennent s'en rajouter d'autres, extérieurs. Laurent Pépin ne vise pas la science qui recherche ; il sait qu'elle fait son possible, que ce possible est fragile et que, pétrie de doute, elle avance à pas de fourmi, se gardant de toute agression. Mais ses mauvais prêtres, ceux qui pensent avoir trouvé une fois pour toutes, décidés à tout nommer, tout normer, tout numériser, sont des monstres secs aussi redoutables que les créatures glaireuses engendrées par la mère. Ainsi de la psychiatre armée de sa DSM-V comme d'une Bible, pour qui l'Elfe n'est qu'une « personnalité histrionique » ne valant pas l'internement. Ainsi de ces soignants bien intentionnés, qui font subir aux patients le supplice de l'inclusion au cours d'une douloureuse journée porte ouverte, digne de la Salpêtrière où le beau monde allait se distraire au spectacle de la folie. Bien sûr, on a évolué en deux siècles : tout célèbre l'empathie, la résilience, la bienveillance et autres valeurs consensuelles, dans un univers prophylactique. Il n'en faut pas moins, le soir, récupérer dans un arbre un patient-héron, « agenouillé, immobile, les coudes repliés contre lui et les doigts écartés comme des serres ».
Normer, échantillonner, classifier sans fin, c'est considérer la métaphore comme un mensonge au point de « vider le sens du monde » en coupant toutes les passerelles. le narrateur atteint d'un carcinome sait qu'il s'agit en réalité d'un « horcruxe ». Laurent Pépin sème en Petit Poucet les références à Harry Potter : un horcruxe est un fragment d'âme démoniaque, incrusté par la mère dans la peau du fils. Mais le médecin, d'un geste, balaie l'image. Son job à lui, c'est la dermatologie. Pas la somatopathie.
Pourtant, Dumbledore le répète : « Ce n'est pas parce que c'est dans ta tête que ça n'existe pas, Harry. »
La solution consisterait-elle à abandonner la narration aux forces qui régissent les contes traditionnels ? Non. L'auteur se garde bien d'embaucher la baguette magique. On sait, depuis Todorov, qu'à partir du moment où un pouvoir quelconque devient acteur du récit (qu'il s'agisse de sorcellerie ou d'anticipation scientifique) celui-ci obéit à une logique interne et perd tout aspect fantastique. Monstrueuse Féérie se situe aux antipodes de ces résurgences New Age de croyances poussiéreuses qui font la fortune des gourous de tout poil. le seul pouvoir qu'invoque Laurent Pépin, et qu'il déploie magistralement, est celui du Verbe :
« … ce qui était difficile pour elle, en tant qu'hydrothérapeute, c'était sa peur de s'investir dans l'expérience au point de n'en pouvoir plus revenir. Lorsque son corps épousait la forme de l'eau, ça étonnait toujours les curistes, cette façon qu'elle avait de s'écouler, soudain, de devenir diaphane, puis de disparaître. Un trait d'écume, des vaguelettes luminescentes marquaient le lieu de la vaporisation de son corps. Ils devaient se dire qu'il était tout de même rudement perfectionné, ce centre. »
Sans grandiloquence ni effets de manches, tout est dit ici de la porosité des mondes, le normé et l'impalpable, par la porosité des mots et des images. Incapables de s'adapter à la norme par de mesquines névroses, les Monuments se sont effondrés et se retrouvent obligés de reconstruire un univers qui leur est propre. Ainsi placés en position créatrice, voire divine – donc terrifiante – il leur reste la voie, la voix d'une « décompensation poétique » ouverte, à l'opposé de la définition clinique, cadenassée, de leur parole, la « décompensation psychotique » qui les renvoie à cette norme pour mieux les en exclure.
La décompensation poétique ouvre-t-elle une brèche praticable vers la création ? le narrateur, bien parti pour l'explorer, n'est plus en état de répondre. L'essentiel, il le sait pourtant, comme l'auteur dont il est la créature : la frontière qui sépare entre eux « les assoiffés d'azur, les poètes, les fous » est bien mince, bien poreuse.
« Dans le tissu du poème doit se retrouver un nombre égal de tunnels dérobés, de chambres d'harmonie, en même temps que d'éléments futurs, de havres au soleil, de pistes captieuses et d'existants s'entr'appelant. le poète est un passeur de tout cela qui forme un ordre, et un ordre insurgé » écrit Char.
Contre l'asphyxie d'un monde robotisé reste cet ordre insurgé, inépuisable, de la création poétique. En passeur virtuose, Laurent Pépin ouvre le labyrinthe à ses lecteurs, leur laissant une chance de s'y perdre et, par-là même, de s'y sauver.

Anne-Catherine Blanc

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Laurent Pépin m'a confié Monstrueuse féérie pour lecture et avis en me présentant son livre comme un conte psychiatrique.
J'aimais bien l'oxymore du titre, alors j'ai accepté sans trop savoir de quoi il retournait… En revanche, ma PAL « Services de presse » étant ce qu'elle est, j'ai mis beaucoup de temps à le lire.

Le narrateur est psychologue dans « le service pour malades volubiles » d'un centre psychiatrique et il s'intéresse au rapport entre la poésie classique ou contemporaine et le contenu des décompensations délirantes des patients dont il s'occupe.
En fait, son discours aussi est un peu délirant, voire poétique, entrecoupé de souvenirs personnels… J'ai pris le parti de ne pas contrarier ce personnage et d'entrer dans son jeu, de partager sa vision professionnelle auprès de ses « Monuments » (avec une majuscule), les « bizarres », « les trucs en kit » (c'est ainsi qu'il nomme les malades), sa vie amoureuse fantasmée auprès de son elfe et ses démons (car il m'a paru un peu cabossé, lui aussi…).
Le récit est partagé entre le délitement d'une relation amoureuse et les souvenirs récurrents d'une enfance malmenée, peuplée de cauchemars et de monstres.

Ce court roman est superbement écrit… J'ai adoré la plume originale, élégante, poétique, désinvolte et profonde à la fois de Laurent Pépin.
Il connaît bien son sujet, étant lui-même psychologue clinicien, et je me demande même s'il n'a pas quelques comptes à régler avec les pratiques de la profession.
J'ai apprécié la proximité de l'écriture à la première personne, l'usage des métaphores, comme celle du horcruxe (en référence à Harry Potter dont l'univers est souvent convoqué dans ce livre) pour évoquer un cancer de la peau… J'ai visualisé les nuages noirs au plafond, la pluie dans le salon pour cacher les larmes…

Le mélange est audacieux et subtil entre l'anormalité de l'ambiance générale de ce livre où se côtoient des symptômes pathologiques, des élucubrations, des abominations et l'évocation d'un monde merveilleux et fantasmagorique pour raconter une histoire somme toute universelle de sentiment d'abandon et de désamour.
Il n'est pas toujours aisé d'écrire des histoires d'amour à la manière de Boris Vian… Ici, cela fonctionne bien. J'ai adhéré à la proposition de Laurent Pépin, y ai lu des accents de sincérité jusque dans la formule récurrente - « il ne faut pas emprisonner les elfes » - largement déclinée.
Pour la partie souvenir, je reconnais que c'est parfois plus difficile voire impossible de se l'approprier, un peu trop glauque, grouillant et même gluant à l'image de fluides corporels peu ragoutants,
Le dénouement ne m'a pas surprise… Quelque part il était annoncé ! Mais il arrive à bon escient après un récit bref à la manière du conte poétique, philosophique ou… psychiatrique.

Un livre complexe où il est malaisé de distinguer les frontières entre les rêves et/ou les cauchemars, les souvenirs et les désirs, les hallucinations ou les faits réels.
Une bouffée de fantaisie bienvenue dans mon horizon littéraire.
Une découverte intéressante qui me donne envie de lire les autres livres de Laurent Pépin.

Lien : https://www.facebook.com/pir..
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Étonnante et redoutable initiation à une psychiatrie merveilleuse, comme d'outre-monde : un exercice poétique, tendre, cruel et inattendu, de haute volée.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/03/09/note-de-lecture-monstrueuse-feerie-laurent-pepin/

D'une enfance nourrie de quelques franches bizarreries dont les traumatismes se révèleront peut-être en temps voulu, et d'une solide pop culture de fantasy dans laquelle le Seigneur des Anneaux cohabite presque paisiblement avec Harry Potter, le narrateur a décanté, en une étrange confrontation au réel, permanente et feutrée, une vision du monde qui lui permet une lecture bien personnelle de son quotidien au centre psychiatrique où il exerce : là où la plupart des gens voient au mieux des « patients » et au pire des « fous », il voit des Monuments. Bien entendu, à l'intérieur des Monuments, comme en chacun de nous, des Monstres peuvent rôder. Mais on y trouve aussi des Elfes, comme celle avec qui il partage désormais un bon bout de sa vie.

Alors que des bribes du passé, jusqu'alors plus ou moins soigneusement enfouies, se mettent à émerger des limbes où elles étaient confinées, et que des forces sibyllines semblent s'amonceler dans ce quotidien pourtant paradoxalement bien réglé, cet équilibre de vie, aussi dynamique que fragile, résistera-t-il à ce bouillonnement sous un crâne qui s'esquisse désormais ?

Avec cette « Monstrueuse féérie » publiée en octobre 2020 chez Flatland, Laurent Pépin nous offre une incursion rare dans ce qui pourrait sans doute s'intituler scientifiquement, comme il existe des échecs féériques, une psychiatrie merveilleuse. Se tenant au barycentre d'un cercle de protection sur le pourtour duquel on remarquerait sans doute aussi bien la « Psychanalyse des contes de fée » de Bruno Bettelheim (ou plutôt ce qui apparaîtrait comme sa source réelle, le travail de Julius Heuscher) que le « Marcher droit, tourner en rond » d'Emmanuel Venet, le « Soi et les autres » de R.D. Laing que « L'Anti-Oedipe » de Gilles Deleuze et Félix Guattari, ou encore la série entière des aventures de Bobby Potemkine de Manuela Draeger (c'est peut-être bien dans ces textes prétendument « pour enfants » de cet hétéronyme-là d'Antoine Volodine que l'on trouverait la congruence la plus forte en termes de tonalité, de maniement méticuleux et pourtant comme « mine de rien » de la tendresse et de l'inquiétude) que le « Chant de la mutilation » de Jason Hrivnak ou « L'écrouloir » de Nicolas Rozier, il en surgit formidablement armé par la grâce d'une écriture bien peu commune, une écriture qui joue avec la tentation de la confession mais s'en échappe crânement à la moindre opportunité, retravaillant continuellement l'insertion de ses horcruxes (jalons psycho-fantastiques ô combien pertinents ici) dans une poésie discrète mais agissante, sous couvert de travail psychologique de terrain et d'enquête au près sur ce qui peut lier, encore et toujours, la création et la psychose. D'abord intrigantes, puis rapidement envoûtantes, les 100 pages à peine de cette novella donnent résolument envie de se plonger sans attendre dans leur suite, « Angélus des ogres ».


Lien : https://charybde2.wordpress...
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