« Un jour, écrit le narrateur de Végétal, j'ai changé d'odeur. Je me suis mis à sentir le végétal. D'un coup. Moi, je n'avais rien demandé à personne. »
Mais ce n'est pas tout. Peu à peu, les signes d'une transformation plus radicale se font jour : « Quand j'ai commencé à chier tout vert, j'ai su que rien n'arrêterait ma métamorphose. Ça commençait à sentir mauvais pour moi. »
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, de la métamorphose d'un jeune homme en arbre. Avec lucidité, celui-ci raconte en détail la transformation de son corps : « Je commençais à être dur au contact, mes bras devenaient âpres, rugueux, blessants si je ne faisais pas attention[…] Mon corps se transformait en une jardinière qu'on regarde pousser avec attention. »
Rapidement, une idée va l'obséder : en quelle espèce d'arbre va-t-il se transformer ? Plusieurs scénarios sont envisagés, parfois avec colère, le plus souvent avec humour (car on le sait, l'humour est, avec l'écriture, l'arme ultime, la dernière flèche de ceux qui n'en ont plus pour très longtemps...)
Cet étrange et beau récit doit en effet être lu comme une métaphore du mal qui a emporté son auteur, à 25 ans à peine, et des dégâts physiques et psychologiques causés par ces maladies dites « longues », chez ceux qui en sont atteints.
Comme Ivan Illitch, le héros tolstoïen, le malheureux personnage de Végétal peut éprouvrer ce faisant la fragilité des liens qui l'unissent aux autres : les pages où il sent que sa copine s'éloigne de lui parce qu'il est devenu une sorte de monstre à ses yeux, comptent ainsi parmi les plus poignantes.
Quelque part du côté d'Ovide, de Kafka et de Matheson, ce très court récit est une merveille.
Commenter  J’apprécie         222
Les platanes regardaient défiler ma voiture et je les laissais plantés là, sans doute occupés à compter les bolides pour trouver le sommeil, tandis que je disparaissais dans le noir. Bientôt sans doute je connaîtrais le même sort : platane de route ! Tu parles d'une vie, regarder les bagnoles passer ! Imaginez un peu : vivre à la campagne et border une route si ce n'est pas une frustration de voir des paysages mais de sentir la puanteur : ne même pas être considéré dignement, avec un peu d'amour, d'intérêt, ou de respect, mais juste presque comme un panneau de circulation : dormir par intermittence, réveillé non seulement par les phares en pleine gueule, et puis par le bruit. Ça ne m'étonne pas qu'ils aient toujours l'air crevés, déprimés, pas en forme quoi.
J'allais finir tout en feuilles et en fleurs : un arbre, quoi. Putain quelle mort. Mes veines ressemblaient à un delta homérique, devenaient noueuses, formant une sinuosité de plus en plu complexe, avec des boules par endroits, des nœuds ailleurs. Le plus difficile, c'était que j'étais devenu froid, gelé, et presque insensible. Quand je me glissais dans le lit apaisant, chaud, j'essayais avec toute la prudence possible, mais je n'arrivais qu'à déclencher une avalanche de menaces.
Je ne rêvais que de me rouler dans la mousse, la pluie, que l'humus mouillé abreuve et délivre mes racines. Je ressentais ce besoin de la terre, celle fraîchement arrachée, pour m'en recouvrir et me vautrer dedans , la sentir sur mon corps et pouvoir enfin la flairer.