Il était une fois, au tout début du XVIIIe siècle, un nobliau suédois désargenté et déserteur, rencontra un voleur à la morale sans faille (comprenez qu'il ne volait pas les pauvres, à chacun sa morale). Portant leurs casseroles respectives, ils cheminaient à travers l'Europe centrale, au carrefour de la Pologne et de l'Allemagne (qu'on appelle Silésie), pour échapper l'un à un enrôlement forcé, l'autre à une mort par pendaison.
Aussi dissemblables que possible, le destin se chargea pourtant de les unir à tout jamais. Christian von Tornefeld, notre nobliau suédois un peu poltron, ne vit que pour rejoindre l'armée de Charles XII de Suède aux ambitions territoriales immodérées. Lui, le Suédois de souche, rêve de gloire (enfin, sans sacrifier sa vie non plus, ne poussons pas mémé) auprès de son cher roi vénéré tandis que notre voleur, lui, rêve d'éviter la potence et se résigne à intégrer les forges démoniaques d'un prince-évêque, prêt à se constituer esclave pour garder la vie sauve. Par un étrange coup du sort (serait-ce de la magie), notre voleur usurpe l'identité de Christian von Tornefeld : d'humble manant il devient un hobereau respecté et aimé de la belle Maria Agneta, autrefois promise au vrai Christian, et donne naissance à l'espiègle et jolie Christine, sa fille adorée. Que de chemin pourtant pour parvenir à ce résultat : il aura fallu en voler des calices et encensoirs dans les églises pour devenir riche et prétendre à un destin hors norme ! Nonobstant les obstacles, quand on veut on peut ! Oui mais jusqu'à quand peut-on prétendre être un autre ? Mystère et boules de gomme.
Le cavalier suédois est l'exemple par excellence du roman picaresque ou les aventures de notre compère dans cette Europe en mouvement, voleur de grands chemins, noble au grand coeur et père aimant tout à la fois, un homme double, ambivalent qui m'a enchantée. le thème de l"usurpation et des faux-semblants est omniprésent sans pour autant servir de prétexte à une leçon de morale bien pensante : les personnages, notamment celui du voleur, sont comme ils sont, à nous lecteurs de les accepter dans toutes leur fourberie et leur petitesse. Car ainsi sont faits les hommes, humbles pécheurs.
Et puis surtout quel panache, quelle fougue, quel style ! Ce roman est un véritable petit délice littéraire savoureux. Tout est travaillé, chaque mot fait mouche et sert à la perfection le rythme enlevé de ce récit et son propos plus tortueux qu"on ne le supposerait de prime abord. Jusque-là inconnu pour moi,
Léo Perutz est pourtant un maître, je le sens à 10 kilomètres je vous le dis.
Certains livres se lisent, ne serait-ce que pour le plaisir de sentir les mots faire tilt et prendre sens, d'éprouver le bonheur simple de tenir entre ses mains un récit intelligent et maîtrisé, du travail d'orfèvre vous dis-je.
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