Mon résumé :
Une route déserte. Une voiture qui fonce à tombeau ouvert. Soudain, une silhouette surgit au beau milieu de la chaussée. L'accident inévitable, le drame épouvantable, la mort brutale, sans artifices. Et puis, la lâcheté, la fuite, le déni. Pour le chauffard, pris en étau entre remords et fatalité, commence une lente descente aux enfers mais qui, paradoxalement, va s'accompagner d'une effervescence créative d'une puissance incommensurable. Lui, l'écrivain, prisonnier de sa page blanche, va se dévoiler, lors d'une lente et mortifère retraite solitaire aux allures de cavale spirituelle, en démiurge barbare, en génie de la plume, en automutilé de la prose…
Mon avis :
Pour ce second roman,
Jean-Michel Philibert reprend le processus narratif qu'il avait éprouvé dans «
L'homme qui court » à savoir une alternance de points de vue un chapitre sur deux. Sauf que, à la différence de son précédent ouvrage (qui, d'un chapitre à l'autre, nous faisait passer du passé au présent), l'auteur s'essaie, cette fois-ci, à la mise en abyme, nous plongeant dans le roman qu'est justement en train d'écrire son personnage principal. Exercice ô combien périlleux dont l'écrivain ligérien s'acquitte pourtant avec brio, construisant un habile parallèle entre la réalité et la fiction, perdant le lecteur pour mieux le surprendre. Les références littéraires et philosophiques sont nombreuses dans le récit démontrant une solide érudition, sans toutefois verser dans la pédanterie, ni le snobisme. Surtout,
Jean-Michel Philibert nous fait nous interroger sur le caractère profond de la création et sur ce qui anime fondamentalement l'artiste. Faut-il détruire (et se détruire) pour pouvoir créer ? N'est-ce pas se prendre pour dieu que de vouloir donner vie à des hommes et des femmes de papier ? à des paysages imaginaires ? à des sentiments factices ? Au-delà de cette réflexion sur l'acte de création, l'auteur nous interpelle sur le moteur de nos vies, sur ce qui nous anime et nous fait avancer (ou pas) au travers du néologisme de « désesperrance », titre du livre dans le livre, concept violent et absolu, que nous avons pourtant tous croisé, chez nous ou chez les autres.
En conclusion :
Moins descriptif et plus intimiste que «
L'homme qui court », «
La dégradation » nous entraîne dans les tréfonds de l'âme humaine, dans l'expression des puissances conscientes et inconscientes qui se jouent en chacun de nous, contradictoires, paradoxales, tendant vers la vie et la mort, vers la création et la destruction, vers l'altruisme et l'égoïsme, vers la folie et la sagesse, vers l'excès et la retenue. Plus exigeant et plus éprouvant que le premier roman de l'auteur, «
La dégradation » se mérite aussi sans doute plus, le lecteur étant forcément amené à s'interroger sur sa propre existence. En aura-t-il le courage ? En aurez-vous le courage ?