La diagonale du Fou, c'est ce trail mythique qui traverse l'île de la Réunion sur plus de 160 kilomètres et qui, sous la plume de
Jean-Michel Philibert, devient tout à la fois, un but, une toile de fond et un prétexte.
Un but, celui d'Ulysse, un trentenaire paumé, un ex-coureur prometteur et brillant qui s'est perdu dans l'alcool et la fumette et qui va redonner un sens à sa vie en croisant la route du narrateur. Celui-ci est un des enfants de la Creuse, ces gamins déracinés, arrachés à leurs familles et à leurs origine pour soi-disant repeupler les zones rurales de la France des trente glorieuses, pas franchement métropolitains, mais plus vraiment réunionnais. Sa rencontre avec Ulysse, si elle ne le guérit pas de sa lancinante quête de sens et de repères va lui offrir l'opportunité de se muer en ange gardien, accoucheur d'une rédemption et d'une résurrection.
Une toile de fond, car l'auteur nous dépeint avec à-propos et subtilité cette île de la Réunion, souvent fantasmée et travestie en un eldorado de l'océan indien. Si le dépaysement est total au travers des descriptions colorées et sensuelles de paysages grandioses et d'une population à la légendaire hospitalité, on est cependant bien loin de l'image d'Epinal, car l'écrivain n'occulte jamais l'envers d'un décor en apparence paradisiaque : violence, alcoolisme, drogues, chômage, passé esclavagiste,...
Un prétexte, celui qui conduit les deux principaux protagonistes à utiliser la course à pied pour, au-delà de la pure performance sportive, se racheter, s'accomplir en tant qu'être humain et même, plus fondamentalement, en tant qu'être vivant. Sous la plume de
Jean-Michel Philibert, courir ce n'est pas seulement, un départ et une arrivée, c'est une philosophie, une parenthèse hors du temps et de l'espace, un don, celui de soi et une réminiscence, celle de temps anciens où l'homme ne se déplaçait d'un point à un autre que grâce à ses deux jambes.
La diagonale du fou est un roman court, 110 pages, qui se dévorent, s'avalent comme des kilomètres d'asphalte et de pistes, le souffle court, la foulée parfois légère, allongée d'autres fois, pesante, chaotique en se laissant bercer par la brise qui caresse les cheveux, le battement de la pluie sur le visage et la musique de
Bernard Lavilliers qui résonne dans la tête.