Imaginez combien le monde serait bouleversé, la géographie des câbles, des fermes de données, des centrales électriques et des hubs digitaux sens dessus dessous si les internautes étaient capables de patienter ne serait-ce qu’une seconde supplémentaire ! Il existe assurément une géographie de l’urgence, de notre impatience, tandis que nous condamnons l’industrie du numérique à une quête, perpétuelle (voire absurde), de performance et d’immédiateté.
Une fois n’est pas coutume, domptons la furieuse cavalcade du temps. Inversons le cours des horloges. Et figurons-nous le rythme auquel s’est écoulé le quotidien de nos semblables jusqu’au XIXe siècle. Qu’il s’agisse de cultiver le millet, de lever des armées ou d’édifier des pyramides, la moindre de nos actions était assujettie au pas des esclaves, au débit des fleuves et aux vicissitudes des brises océanes. De ce monde subsistent des réseaux de communication toujours visibles : voies romaines, comptoirs coloniaux ou anciennes écuries édifiées, dans l’Ouest américain, par les postiers du Pony Express.
Ces routines millénaires furent bouleversées le 6 octobre 1829. Ce jour-là, « la fusée », une locomotive à vapeur conçue par l’ingénieur britannique George Stephenson, s’élança à 40 kilomètres à l’heure sur la ligne de chemin de fer reliant Manchester à Liverpool, condamnant diligences et caravelles à l’oubli. Associé au télégraphe et aux aéronefs, le train a transformé notre rapport au temps. Les hommes, les marchandises et les idées purent sillonner le monde à une vitesse inédite, servis à présent par un réseau de transports planétaire mêlant ports, aérogares et tours relais.
Nouvelle étape le 2 octobre 1971, lorsque l’ingénieur américain Ray Tomlinson envoya le premier e-mail sur Arpanet, un réseau informatique prisé des scientifiques et des militaires américains. L’humanité fut soudainement projetée dans l’ère de l’immédiateté. Tout change et s’échange aujourd’hui à la vitesse de la lumière ou presque. Après les routes pavées de l’Antiquité et les chemins ferrés de l’ère industrielle, vous vous demandez peut-être quelles infrastructures rendent nos actions numériques quotidiennes désormais possibles.
(INCIPIT)
Puisque les données sont la nouvelle pierre philosophale qui peut transmuer une affaire déficitaire en machine à sous, les entreprises stockent tout et n’importe quoi. Les data non immédiatement utiles pourront l’être, demain, pour un objectif encore indéterminé.
au lieu de s’intéresser aux dégradations environnementales générées par les matières émanant d’un objet (les émissions de CO2), il allait au contraire se focaliser sur l’impact de celles impliquées dans sa fabrication. Regarder ce qui entre dans un objet plutôt que ce qui en sort, voilà un renversement complet de perspective.
Il est possible que nous diminuions un jour nos usages d'Internet, non pas parce que les réseaux ne le permettront plus, mais parce que la préservation de l'espèce, de l'environnement et de certaines valeurs l'exigera. En clair, les limites d'Internet seront moins techniques que politiques.
Sans remettre en cause ce sacro-saint principe, nous pourrions réfléchir à la manière d'imposer des forfaits dont le prix serait fonction des volumes de données effectivement consommées.
Google ne recueille pas seulement nos données à des fins commerciales; la firme fournit nos historiques de recherche à la NSA. L'agence américaine de renseignements collecte également le contenu de nos courriels, appels téléphoniques, reçus de parking, itinéraires de voyages, achat de livres...
Le résultat d'une telle ingénierie est époustouflant: «L'ordinateur de chaque smartphone est aujourd'hui cent fois plus puissant que les meilleurs ordinateurs conçus il y a trente ans», explique Jean-Pierre Colinge, un ancien ingénieur de l'industriel taïwanais TSMC, qui ne peut se retenir d'ajouter: «Quand on sait que cela sert à faire des selfies, c'est un peu désolant».
Bref, il n’est peut-être pas exagéré d’affirmer que vous et moi sommes encore plus vulnérables aux camaïeux que le sont les Français de Patrick Süskind à la fragrance de l’amour, et qu’une nouvelle génération de Jean-Baptiste Grenouille a désormais pris le commandement de nos émotions : les ordinateurs
Internet est un nouvel instrument au service de la quête de pouvoir et d’argent.