Socrate est un séducteur à qui il est bien difficile de ne pas succomber. Est-ce précisément parce que
Platon fait précisément ce que Socrate dénonce, de la
rhétorique, c'est-à-dire de la flatterie ? Certes, Socrate ne flatte pas ses auditeurs, ils leur rentre dans le cadre, il les déstabilise en leur posant des questions dont les réponses sont des évidences mais dont ils ne voient pas les conséquences, que Socrate exhibe devant leurs yeux ébaubis, il reprend leurs discours en les ridiculisant, etc., etc.
Bref, ce que fait Socrate, c'est se mettre dans la poche le lecteur. le
Gorgias, tout en dénonçant la
rhétorique, est lui-même un texte bassement
rhétorique. Bassement ? Si l'on adhère aux thèses de Socrate (et de
Platon, bien sûr, bien plus), oui, car le lecteur, le Délos, éprouve, en voyant Socrate foutre la pâtée à Calliclès, à Polos et à
Gorgias, un plaisir certain, sans pour autant éprouver, me semble-t-il une élévation
de l'âme, à moins, mais dans ce cas-là il faut réfuter l'opposition plaisir-bien élaborée sur des a priori contestables par Socrate, comme le fera
Aristote, que le plaisir soit justement une élévation
de l'âme. C'est cette question du plaisir qui me semble être la faiblesse de la pensée par ailleurs séduisante de Socrate et
Platon. Qu'entendent-ils par plaisir ? C'est bien flou. Que retenir, alors, quelles idées méritent notre acquiescement ? La distinction entre la
rhétorique, qui est un savoir-faire, au même titre que la cuisine, et ce que je vais appeler, en m'éloignant un peu du texte de
Platon, le discours juste.
La
rhétorique produit la conviction, plaisir
de l'âme (le même que quand on rigole de la déformation par Socrate des propos de Calliclès), comme la cuisine produit le plaisir du corps. le discours juste, la
rhétorique dans son idéal, produit l'amélioration
de l'âme malade, comme la médecine provoque l'amélioration du corps malade. Si l'on transpose ceci sur le plan politique, on se trouve nez à nez avec
Sarkozy (et consort). Que cherchent à faire les politiciens en campagne ? à flatter l'opinion en promettant monts et merveilles ou à élaborer un discours qui dit, même si c'est contraire à l'opinion publique, la vérité ? Mais voilà le second problème. C'est quoi la vérité, en politique ? La vérité, est-ce vraiment une affaire politique ? Paradoxalement, Socrate fait de
la politique une éthique tout en refusant tout engagement politique pour lui-même. le politicien doit améliorer les citoyens, comme le juge doit améliorer, par les sanctions justes qu'il inflige, ceux qu
i ont commis une mauvais action, mais force est de constater qu'un politicien qui améliore les habitants de sa cité, ça n'existe pas, que ce sont seuls les philosophes, qui, loin des plaisirs du pouvoir, peuvent rendre meilleurs leur propre âme et, par la dialectique, c'est-à-dire par un dialogue permettant à l'autre de comprendre que sa façon de voir les choses contrevient à la raison, l'âme de ses amis. le philosophe, sans se mêler en aucune façon de politique, est finalement le seul à vraiment faire de
la politique. Voilà qui pose question à nos démocraties basées sur l'opinion publique, c'est-à-dire sur un socle majoritaire d'idées toutes faites qu'aucun Socrate ne vient interroger.
Le caractère subversif, dangereux pour la cité, de la méthode de Socrate, même s
i on peut et on doit critiquer ses a priori et sa logique, demeure sans doute encore aujourd'hui le meilleur moyen de faire évoluer ce qui doit évoluer pour qu'un peu plus de bien inonde un monde qui se complaît dans le confort des stéréotypes.